Quelque chose lui a été dérobé au cours de son voyage en train, qui ne reviendra pas. Ceux qui survivent à ce à quoi il a survécu, s’ils réchappent à la mort de leur vie antérieure, sont néanmoins contraints de la conserver en eux.
J’ai mis des décennies à me faire une idée de ce qu’il avait vécu. Je m’y suis efforcé car je voulais mesurer l’impact que son enfance avait eu sur la mienne, savoir pourquoi j’avais une conduite d’échec, pourquoi je ne réussissais rien, pourquoi je ne voulais pas parler aux gens, pourquoi le monde me paraissait souvent haïssable…
Mon père n’était pas disponible pour moi, je ne l’étais pas pour lui, et bien que cela ait pesé sur mes épaules dès mon plus jeune âge et que je me sois efforcé de remédier à nos mutismes respectifs, c’était ainsi…
Plus tard, je me suis demandé quel besoin m'avait poussé à accomplir ce genre de chose. J'ai fini par comprendre que si mon père et moi ne pouvions communiquer par des mots, nous partagions l'intuition que, par le biais de ces expériences hors du commun, nous cherchions à rester en vie, que nous ne désirions pas mourir mais au contraire vivre vraiment. Ces moments intenses nous guérissaient des périodes banales où exister ou non nous laissait indifférents. Le danger extrême provoquait en nous un dévorant appétit de vivre.