Citations de Judith Duportail (48)
En design, le fait de construire un outil qui pousse les individus à adopter certains comportements pour ensuite en rendre responsable ces même individus porte un nom: un dark pattern, un circuit noir. Le terme a été inventé en 2010 par Harry Brignul, un designer britannique.
D'ailleurs, le responsable produit de Tinder le précise dans l'article: quand votre profil est montré à quelqu'un, vous êtes matché "contre" quelqu'un d'autre. Si la personne "contre" vous a une cote haute et vous like, vous gagnez des points. Si elle a une cote basse et vous ignore... vous en perdez.
Pourquoi est-il inscrit dans le marbre qu’on doit aimer certaines personnes ? Les liens toxiques ne doivent pas être maintenus à tout prix parce qu’il s’agit de notre famille.
Je m’étais dit que rien n’était grave, non rien. Car le sang de mes règles serait toujours là pour expulser ma douleur, pour expulser la violence. Que je saignerais comme les chats vomissent pour se purger. Que je m’expurgerais, et que je n’avais rien à craindre, car je m’expurgerais tous les mois, toute ma vie, qu’il n’y avait rien, rien que personne ne puisse me faire qui resterait inscrit à l’intérieur de mon corps. Tout disparaîtrait.
Comment ne pas devenir tarée quand les injonctions contradictoires résonnent en stéréo dans notre tête, dans ce monde où il faudrait à la fois se faire respecter sans parler trop fort, être désirable sans faire salope, être intelligente sans être menaçante, être bonne vivante sans être grosse, être femme en ayant le corps d’une enfant.
Car la liberté, sans conscience, sans effort collectif, se transforme en loi de la jungle. La liberté est une valeur exigeante.
L’attirance ne serait-elle rien d’autre que l’anticipation d’une validation ?
Au cours de ma jeune carrière, j’aurais au moins appris une chose : la résistance au rejet est une qualité essentielle au métier de journaliste. Il faut pouvoir encaisser les râteaux, comme un chirurgien doit supporter la vue du sang.
Mais ce n’est pas tous les jours une tâche aisée.
Avec les Journalopes, pour en tirer notre parti, nous comptabilisons tous les râteaux que nous prenons sur une feuille et visons les cent par an. Avec l’idée que plus nous nous prendrons de vestes, plus nos projets aboutiront.
C'est aussi la bête qui plante ses canines glaciales quand, assis à une table de café, on déroule ce qu'on fait sans la vie avec des mots déjà tant répétés qu'ils semblent caoutchouteux à prononcer. Avant de réaliser que, vu de l'extérieur, personne ne saurait distinguer si cette interaction est un entretien d'embauche ou un rendez-vous amoureux. C'est le sentiment de mort qui durcit au sein de son cœur lorsqu'il nous semble emprunter pour le millième fois le même ascenseur émotionnel, entre espoir, date, projection, ghosting et déception. C'est quand on se répète que la prochaine fois, on ne se laissera pas avoir. On y croira un peu moins fort, on en donnera un peu moins, on restera davantage recroquevillé à l'intérieur de soi. Mais alors, si on se renferme trop, ne risque-t-on pas de passer à côté de quelque chose ? Le "dating fatigue", c'est ce dilemme.
D'un côté, je rêve d'être une Zoé, une bombe officielle, un 9.5 sur 10. De l'autre j'enrage qu'on soit notés, objectivés, évalués comme des objets.
(..) son "mieux en rayon" que j'ai toujours en travers de la gorge. Mieux, mieux, mieux, qu'avez-vous tous, putain, à vouloir optimiser vos vies sentimentales, à craindre de manquer une opportunité ? Putain de génération de gros coincés, à force de ne pas vouloir se fermer de portes, on va passer notre vue dans un putain de couloir.
Son existence vient appuyer pile-poil au cœur de mes angoisses et contradictions, entre ego, désir d'être belle et désir de m'en foutre d'être belle, désir de séduire et désir d'être considéré comme une personne et non un objet, entre frivolité et féminisme.
En tant que Millenial typique constamment vissée à mon téléphone, ma vie virtuelle est devenue ma vraie vie. Il n'y a plus de différence. Tinder est l'outil avec lequel je rencontre des gens, c'est ma réalité. Une réalité qui est en permanence influencée par d'autres – mais je n'ai pas le droit de savoir comment.
Putain de génération de gros coincés, à force de ne pas vouloir se fermer de portes, on va passer notre vie dans un putain de couloir.
En fait, c'est un miracle l'amour, c'est un miracle que les gens continuent à s'aimer. Un miracle que parfois l'on se comprenne. Qu'on arrive à se frayer un chemin entre ces bombardements d'injonctions contradictoires, ces incitations à se duper, à chercher à extraire sa petite valeur à soi dans ce que l'autre peut offrir, dans ce brouhaha de tout ce qu'on ne se dit pas quand on se parle, dans ce putain de jeu de billard à trois bandes entre ce que l'on veut croire, ce qu'on croit que l'autre croit et ce qu'on pense devoir faire croire. Un miracle que dans toute cette tempête il y ait quand même, parfois, un signal, un bout de sincérité qui passe.
Est-ce tout le monde, ou est-ce juste moi, qui passe par toutes les émotions en quelques secondes, comme quand on passe sa souris sur les boutons du like Facebook ? Tac, les logos grossissent et défilent, j'aime, j'adore, je suis en colère, je ris, je pleure, est-ce tout le monde, ou est-ce juste moi ?
J’appartiens à la génération de femmes et de journalistes qui assument leur subjectivité pour espérer - je dis bien espérer, car nous savons, nous, qu’il n’est pas possible de l’asséner - porter un propos universel. Mon livre est un appel à l’introspection, un appel à creuser au fond de soi pour déconstruire les entraves à notre liberté que le patriarcat nous a imposées. Une fois ces carcans explosés, notre devoir est d’aider quelqu’un d’autre à s’en libérer : « La fonction de la liberté est de libérer quelqu’un d’autre », écrivait Toni Morrison.
Comment, dans ce contexte, dans une société qui nous insulte des centaines de fois par jour depuis notre enfance, qui, selon le philosophe Simon Lemoine, fait de nous des « manque d’être », des personnes qui ne se définissent plus que parce qu’elles ne parviennent pas à être, prendre conscience de notre valeur ? Se respecter soi-même dans un tel contexte relève de l’acte de bravoure extrême.
Je repense à toutes les fois où j’ai ri à des blagues que je trouvais humiliantes pour ne pas avoir l’air coincée, où je me suis couchée tard quand l’autre ne voulait pas dormir, à toutes les fois où j’ai souri pour avoir l’air agréable, toutes les fois où j’ai tu mes opinions pour ne pas envenimer les choses, toutes les fois où le bien-être de l’autre est passé avant le mien, toutes les fois où je me suis écrasée, rapetissée toute seule (enfin toute seule…, plutôt bien aidée par la société), et je me rends compte que ce sont toutes ces fois-là où je me suis manqué de respect. Ce n’est pas le sexe qui salit, non, c’est de se trahir pour correspondre aux attentes d’un autre.
Est-ce que je devrais essayer de me convaincre, de tordre mon coeur histoire de ressentir les choses autrement, de vivre les choses moins intensément ?
La dating fatigue. C’est un épuisement mental d’un nouveau genre. La version XXIe siècle de la mélancolie amoureuse.