Je suis un bon vivant. J’aime la vie et elle me le rend plutôt bien. Je pouvais m'inviter à la dernière minute, ne pas donner des nouvelles pendant des mois, critiquer ouvertement tel homme politique devant des gens qui en étaient fervents partisans. J’étais un fin psychologue, alors j’arrivais bien à toujours m’engouffrer dans les brèches, pour mon plus grand plaisir. Je comparais ces petits plaisirs de la vie à un caramel mou qu’on laisse fondre, collé au palais : le goût de mon enfance, et, cette sensation de suspens lorsque je les dégustais en cachette !
Pour me décrire, je crois que beaucoup ont employé le terme de « goujat », pour ma famille c’était plutôt « paria ».
Je voulais être moi et c’était impossible. Je devais être le fils unique dont mes parents avaient toujours rêvé, celui sur qui de grands espoirs de réussite étaient projetés. Je devais être un parfait petit soldat.
Au fils des ans, je m’étais plu dans ce rôle. Je m’étais adapté à tout cela, ce personnage était devenu moi. J’étais devenu un acteur en herbe. J’avais laissé de côté mes désirs, mes envies, mes goûts, mes sentiments, m’abandonnant à ceux que les autres projetaient sur moi. Je n’aimais pas les conflits, en agissant ainsi j’avais la certitude de ne jamais en provoquer.
Mon père, lui-même grand expert-comptable d'une multinationale avait réussi. C’était un homme sérieux et très travailleur. C’était un mathématicien très cartésien. Il savait calculer et calculait tout, car tout était calculable. Cette addiction du chiffre lui conférait une certaine rigidité. Un millimètre était un millimètre et un centime d’euros, un centime d’euros. L’approximation n’existait pas pour lui. Arrondir était impensable, donc les angles ne l’étaient jamais. Tout devait être parfait, le perfectible étant d’emblée un échec.
Je devais avoir un statut, un rang, car les « déviants » comme les appelait mon père, n'avaient pas d'existence aux yeux de mes parents, ni même de la société. Ils n’étaient pas dignes d’exister. Les déviants, « Ce sont des ratés !», les déviants ce sont des gens qui méritent leur situation sociale « parce qu’ils l’ont bien cherché ! Ils ne font pas d’effort, et la société devrait les aider ? Quelle ignominie pour notre pays ! »
Ne te raccroche pas à moi, je ne serai plus jamais là. Garde seulement les bons souvenirs et vit au présent. Le passé nous a construit, a fait ce que nous sommes. J’ai perdu du temps dans le chagrin et dans la peine. Il est trop tard maintenant. Paddy, tu ne dois pas avoir de regret, vis, et vis pour toi.
C'est lorsque les êtres chers partent que l'on se rend compte de l'importance qu'ils avaient dans nos vies.
Je suis un anonyme. Je suis seul...
Depuis ma naissance, je n’étais pas maître de mes décisions. J’étais télécommandé par les autres. Ils n’avaient qu'à appuyer sur un bouton, et je devenais celui qu’ils voulaient que je sois.
« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas,
mais parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. »
Sénèque
Il y a parfois des silences qui en disent long.