Live avec Anaïs Mony - Auteure de "Versaces - Les anges oubliés"
Les lectures de Florian Allain
- Le jour de ta naissance, elle est venue me voir à la maternité. Elle était ravie que tu sois là. Elle était si fière alors que tu découvrais tout juste le monde. Et elle m'a demandé de te parler de ça, cette année, précisément celle de ta trentaine. Je pensais qu'elle aurait oublié, mais le jour où je suis allé la voir sur son lit de mort, elle m'a rappelé cette promesse faite des années auparavant. Je tiens à honorer la dernière promesse fait à ma mère.
Édouard la cajole telle une enfant, une main dans le dos, l’autre dans les cheveux. Ces deux-là vivent l’amour comme au premier jour, comme leur première fois. Ils s’aiment indéniablement. Édouard, la voix légèrement chevrotante cherche un peu ses mots puis enfin il se lance dans un monologue de vérité :
« À l’époque où nous avons perdu la petite, j’ai été anéanti. J’ai tout fait pour que cela ne se voit pas ou ne se ressente pas. Tu le vivais bien assez mal et je n’ai pas voulu en rajouter. J’ai essayé d’oublier, j’ai essayé d’implorer le Seigneur pour cette tragédie mais en vain. Je te voyais dépérir, sombrer dans la dépression. Tu ne voulais plus faire l’amour, j’avais mal, j’avais besoin de penser à autre chose. Un des soirs où je suis sorti, j’ai rencontré une femme. Nous avons bu des heures durant, alignant les shots de tequila. Les uns après les autres. Au fur et à mesure que l’alcool m’emplissait, ma douleur s’estompait jusqu’à ne plus rien ressentir, jusqu’à l’oublier pendant un moment. Puis il s’est passé ce qu’il s’est passé. Lorsque je me suis réveillé, avec un mal de crâne inoubliable et cette femme à mes côtés, je me suis maudit. Parce que je t’avais toi à mes côtés, parce que mon cœur t’a toujours appartenu, je me suis senti minable et plus encore. Tu étais à la maison seule à pleurer ta perte pendant que moi, je faisais le con. J’ai cru te perdre à ce moment-là, parce que je savais qu’un jour tu saurais et je ne voulais pas que tu me quittes. »
On s’évertue à m’appeler mais je n’ai pas envie de répondre. Je préfère m’évader dans mon imaginaire et rejoindre cet homme qui me manque tant. Mais le garde de la prison ne me laisse pas en paix et d’un petit coup de matraque me fait lever de ma couchette. J’ai envie de dire à ce type de me foutre la paix mais je ne peux pas et je n’ai pas envie de me retrouver au trou encore une fois.
Mon adolescence s’est déroulée sans heurt et puis au lycée j’ai rencontré Édouard. Toutes les filles lui couraient après. Je n’osais même pas le regarder. Il venait d’une famille aisée, moi, d’une famille d’ouvriers. Nos destins, pourtant, se sont croisés au détour d’une soirée. Je m’étais fait entraîner par ma seule amie de l’époque, je n’aimais pas les soirées, je n’y étais pas à l’aise. La soirée avancée, je me sentais seule malgré les dizaines de gens présents. Je me suis mise à l’écart dans le jardin au bord de la piscine. J’attendais que Gisèle, mon amie, veuille bien me ramener. Puis il s’est assis à côté de moi, nous avons discuté jusqu’au petit matin. Je l’avais mal jugé. Édouard était bel homme mais pas seulement. Il savait parler aux femmes et surtout il me faisait fondre. Notre relation a pris son temps.
Elle sentit le sexe du visiteur se dresser contre elle. Élia sourit. Elle aimait qu’il la rejoigne sous la douche. Lorsqu’elle sentit tout le corps de l’autre se frotter contre elle, elle gémit. Une plainte de plaisir comme elle n’en avait pas eu depuis la mort de Lohan, les mains se baladaient d’un sein à l’autre, sur son entrejambe, dans ses cheveux. Il aimait lui faire une queue de cheval et la lui tirer au moment où il la pénétrait. Elle aussi aimait ça. Elle reposa sa tête contre le carrelage, recula ses jambes et son postérieur. Pendant qu’il faisait des va-et-vient rapides, la jeune rousse criait. Les mains de l’homme étaient passées sur ses hanches pour mieux la tenir. Au moment où sa jouissance se préparait à exploser, il la redressa pour lui faire face.
Dans son esprit, cette femme a toujours été là. Depuis tout petit, il l’a toujours connue. À un moment donné ils ont même été proches, comme une mère et son fils. Elle le cajolait lorsqu’il tombait et s’égratignait les genoux. Elle lui donnait des chocolats quand un chagrin le prenait. Le soir, elle lui lisait une histoire, toujours la même, celle d’un valeureux pirate prêt à tout pour obtenir les faveurs d’une jeune demoiselle. Lorsque l’heure du bain était venue, elle se débrouillait pour recouvrir l’eau de mousse parfumée afin de lui ôter cette peur de l’eau. Elle prenait soin de lui. Et puis il était arrivé, l’enfant miracle. Et tout avait changé. Il était relégué au second plan. Il l’avait toujours été depuis.
Le thérapeute s'assoit derrière son bureau, patiente. Une fois que je suis prête à écouter, il me dit.
- Méline, je suis ravi des progrès que nous faisons. Aujourd'hui, j'ai voulu insister sur cette partie de votre vie, celle de votre journal. Je ne sais pas si vous avez sauté des pages ou bien si les séances d'écriture se faisaient plus espacées, plus dangereuses, mais en peu de temps, on peut comprendre qu'Ayan a eu une emprise totale sur vous, sans jamais avoir de limites. Mon avis est que votre corps et votre esprit se sont délibérément détachés de tout cela au point de vouloir se donner la mort. Il vous a manipulée psychologiquement. Vous étiez sa prisonnière durant toutes ces années.
Le docteur l’aide, elle en est certaine. Il est un protecteur, une sorte d’ange gardien. Quelque chose en lui l’attire, la pousse à se confier, à lui raconter ses rêves, sa réalité. Depuis quelques temps, elle se sent mieux, un peu plus vivante. La blouse blanche lui a parlé de thérapie cognitive, « ça a l’air chouette » s’est-elle dit sans savoir de quoi il en retournait, mais il est vrai que depuis elle se sent plus libre, plus elle-même. L’impression de se découvrir ou de se redécouvrir. Dans ses moments de lucidité, elle a appris qu’elle était schizophrène paranoïaque et qu’elle avait plusieurs superpositions de troubles de l’humeur et du comportement.
Le viol, elle pouvait le supporter, elle l’avait fait durant des années. Mais souillée par son propre frère, ça lui était inconcevable, impensable. La vie ne voulait pas d’elle, c’était impossible. Toutes ces épreuves depuis sa naissance, toutes ces horreurs qu’elle avait dû subir pour défier la vie, aujourd’hui elle n’en pouvait plus, elle ne le supportait plus. Effondrée, les larmes restent sèches, elle n’en a plus. Édouard lui jure qu’ils le retrouveront, quoi qu’il lui en coûte, pour lui, pour elle et pour tous ceux qui ont eu le malheur de croiser son chemin.
Bien qu’elle ait su qu’il n’était pas tout rose et que son état catatonique des dernières semaines était en partie sa faute, elle ne lui en tenait pas rigueur. Cependant elle avait une rage folle envers Bastian. Cet homme, elle le connaissait depuis cinq ans, cinq ans où elle l’avait laissé entrer dans sa vie, dans son foyer. À la mort de Lohan elle l’avait même autorisé à dormir dans leur appartement. Et qu’avait fait cet enfoiré ? Il l’avait droguée, malmenée puis violée. Il avait tenté de tuer Michelle et qui sait ce qu’il avait fait d’autre.