Citations de Karen Merran (105)
Oublier, ça nous rendra peut-être moins malheureux. J'aimerais que le temps s'accélère pour ne plus garder aucun souvenir de là-bas.
-Mais je te préviens, on n'a pas le droit de se marier ensemble.
-Pourquoi ?
-Parce que tu n'es pas juive.
-Et alors ?
-Ça cause des problèmes de coeur. Et après, tu pleures, tu pleures tellement, qu'en plus d'avoir mal au coeur, tu as mal aux yeux. Quand un juif est amoureux d'un catholique, crois-moi, ça se passe mal.
-Il suffit que le catholique devienne juif ou le contraire !
- Tu crois qu'on peut changer de Dieu comme ça, toi ? Ce serait trop facile ! Et puis, c'est important de respecter les quantités de départ. Si tout le monde devient juif, il n'y aura plus de catholiques ! Et si tout le monde devient catholique, il n'y aura plus de juifs !
-Il faut que tu mettes ton adresse pour la réponse. Il vaut mieux qu'ils ne viennent pas avec improviste.
-C'est quoi " un proviste" ?
-C'est quelqu'un qui vient sans prévenir. Ma mère, ça la met toujours dans des états !
- Oh, mais toi aussi, tu finiras par venir habiter en France ! Papa et maman n'arrêtent pas de parler de quitter le Maroc si la situation se dégrade encore. (...)
- Quitter Safi ? Mais non ! C'est impossible ! Je ne veux pas partir !
- Les parents y pensent pourtant depuis longtemps !
Je suis affolé.
- Depuis quand ? Et pourquoi ils ne m'ont rien dit ?
- Ils se posent la question depuis l'indépendance du Maroc, bien avant ta naissance ! Le Maroc est un pays musulman et nous, les juifs, nous ne sommes pas nombreux ici. Peut-être qu'un jour les musulmans ne voudront plus de nous.
C'est super d'être un héros, mais le héros s'ennuie et grelotte pendant que les amoureux s'embrassent.
Dommage qu'il n'y ait pas de sonnerie spéciale du téléphone pour les terribles nouvelles. Il suffirait de ne pas répondre.
C'est tellement injuste qu'Odette soit malade. (...) Mes grandes sœurs peuvent avoir des informations, mais moi, je suis trop petit pour tout. Personne ne répond vraiment à mes questions pour ne pas m'inquiéter. (...)
- Ne t'inquiète pas, mon Jacob. Odette est une fée et il ne peut rien arriver aux fées.
Mais elle me prend vraiment pour un débile !
- J'ai envie d'aller aux toilettes !
Je fuis loin d'elle sans me retourner. Je m'enferme. J'y resterai jusqu'au dîner s'il le faut. Depuis les cabinets, je me fais une promesse. Si plus tard j'ai des enfants, je leur expliquerai tout, tout le temps, même si c'est très grave, même s'ils ne sont encore que des bébés.
Mon père a décidé que je devais m'asseoir à côté de lui pendant la prière. Il m'a dit que j'étais assez grand pour suivre, maintenant. Je suis assez grand seulement quand ça l'arrange !
- Papa, c'est quoi le sionisme exactement ?
Mon père fait un effort pour que ce soit simple.
- C'est le mouvement de retour des juifs en Israël.
- Mais pourquoi il faut se battre contre le sionisme ?
- Pour le sionisme ! Pas contre ! C'est important que les juifs aient un pays à eux, pour qu'ils puissent s'y réfugier si on les attaque, pour qu'ils se sentent en sécurité.
- Mais qui voudrait attaquer les juifs ?
Certaines familles ont des problèmes de santé, des problèmes d'argent, de dispute entre des frères. Nous, on a des problèmes de retard.
De manière générale, ma mère s'inquiète de trop. Elle voit le mal là où il n'y a rien de spécial. Et puis j'ai découvert ce que ça voulait dire être angoissé. La peur s'est installée chez nous, comme si c'était un nouveau membre de la famille.
J'ai huit ans presque et demi et je suis un garçon. Il vaut mieux le préciser car il n'est pas bon de naître sans zizi à Safi. C'est la première chose qu'on regarde lorsqu'une femme vient d'accoucher, avant même de voir quelle tête a le bébé. S'il y a un zizi, on prépare une grande fête pour la circoncision et on invité toute la famille et les amis. Mais s'il n'y en a pas, j'entends ma mère et ses amies répéter : "La malheureuse, elle a eu une fille. Si Dieu veut, le prochain sera un garçon."
- Et toi, Jacob ? Que veux-tu faire quand tu seras plus grand ?
- Musulman, je réponds en mettant un morceau de poulet au citron à la peau croustillante dans ma bouche.
Je n'ai pas eu le temps d'esquiver la main de mon père qui claque sur ma joue avec l'intention de me faire recracher ce que je viens de dire.
- Wouliwouliwouli ! s'écrie ma mère. Man hdars ! Que Dieu préserve.
Mauvaise réponse ! Ma mère et mes sœurs me regardent comme si j'étais devenu fou. J'ai huit huit ans presque et demi et, même si ça a l'air clair pour tout le monde, personne n'a pris le temps de m'expliquer qu'on ne peut pas devenir musulman, ni à table ni jamais. Pire, on n'a même pas le droit d'y penser. Quand on naît dans une famille juive, on peut devenir grand, fort, riche, pauvre, chauve, boulanger, coiffeur, épicier, garagiste, mais pas un musulman. C'est comme ça. C'est impossible.
Pour ma mère, tous les refus de manger sont des mauvaises réponses. Un non-merci pour elle, c'est un oui qui a mis un chapeau pour pas qu'on le reconnaisse.
Il fait beau, pourtant tout semble gris dans cette ville. Le trottoir, les immeubles, les gens qui passent dans la rue. Plus que les choux farcis, plus que les devoirs, plus que les piqûres d'ortie, plus que tout, je hais Paris !
- On n'a vraiment pas besoin d'une guerre en ce moment, répond ma mère, inquiète.
C'est bizarre de dire ça. Je me demande qui pourrait avoir besoin d'une guerre.
- Tu vois, quand je serai grand, je serai réparateur de tout. Des voitures, des hommes, des poteries, des chaussures, et des oiseaux.
Brahim et moi (Jacob), nous avons beaucoup de points communs.
Monsieur Tobelem est juif, mais il se prend pour le roi Hassan II dans sa classe. Chaque matin, il attend qu'on s'installe à nos places et il entre après tout le monde. Il s'assoit royalement.
La peur s'est installée chez nous, comme si c'était un nouveau membre de la famille.