Quand on déménage aussi loin que ça, quand on parcourt une telle distance, il peut se produire deux choses : soit on a tout le temps le mal du pays et l’on garde un contact étroit avec lui, soit on ne regarde pas une seule fois en arrière et on recommence tout à zéro.
Le printemps finit toujours par revenir. Même s'il faut d'abord qu'il y ait l'hiver.
Pourquoi suis-je si seule ? Pourquoi n'arrivé-je pas à dormir ? Pourquoi n'ai-je rien d'autre à faire qu'attendre ? Attendre, chercher, soupirer. Tu crois que je vais devoir attendre plus de cent ans ?
Tu te souviens ? On était si bien. Tout était si bien. Toi et moi , sur le sentier. Sous les arbres. Moi devant, toi derrière. La lumière quand on sortait de la forêt, le soleil sur la bruyère. Ouvrir la porte, entrer. Voir que tout était en ordre, que tout était à sa place. Que personne n'était venu en notre absence. Rester assis sur le perron. Le nôtre. Une bière dans le sac à dos, encore fraîche. Préparer un repas dans notre petit coin cuisine. Comme quand on joue à la dînette. Tu te souviens comme c'était bien ? Se recroqueviller sur le banc, se blottir l'un contre l'autre pour se tenir chaud. Une légère odeur de moisi. Mais surtout de pin. De mousse et de bruyère. De tourbe. Ah, l'odeur de la terre, Les moustiques qui viendraient bourdonner dans nos oreilles. Tu te lèverais pour essayer de les écraser. Ça me ferait rire, mais tout bas. Et le lendemain matin, je me réveillerais avec une piqûre sur la joue et une autre sur le bras. Je me rappelle encore comme ça démangeait. Une petite boursouflure rouge sur la peau claire de mon avant-bras ; cette peau alors diaphane, nacrée que tu aimais tant, tu te souviens ? Tu me couvrais de baisers, me serrais fort. Si fort. Et puis tout s'est arrêté net. Si tu me voyais aujourd'hui...
Sentir soudain la fatigue dans ses jambes, le sentier escarpé, tout le chemin parcouru. Le casse-croûte en fin de matinée, une fois arrivés au sommet, le thermos de café. La soirée qui se prolongeait à l'infini.