Où que se portât mon regard, je ne distinguais que périls et obstacles. Je me voyais au milieu d’une immensité sauvage, nu et solitaire, cerné par les bêtes féroces et des hommes encore plus redoutables. A ce moment-là, en dépit de ces pénibles considérations, mon œil fut irrésistiblement captivé par l’extraordinaire beauté des sporophores d’une jeune mousse.
Tourner les pages de ce livre suscite des vagues de réminiscences, comme si je feuilletais l'album-souvenir d'une vie antérieure.
C’était de frissons, de désir et de volupté qu’il était affamé, de la tiède moiteur d’un corps féminin.
Tous les soirs, avant que je parte pour le bureau de l'InfoTech, Alexandra se promène à travers la maison en se débarrassant de son col roulé, de sa jupe mi-longue et de ses collants de bibliothécaire guindée; elle s'allonge alors sur la table de la cuisine, nue et avide. Ses yeux suivent le mouvement de mes mains avec une vivacité d'écureuil pendant que je défais ma ceinture. Dehors, les chasse-neige descendent la rue obstruée par les congères, leurs lames en acier écorchant le bord du trottoir. Alexandra a l'odeur des archives - colle, papier moisi et encre indélébile -, et elle aime le sexe comme un bonhomme de neige aime le froid.
Tu sais, toutes les villes américaines sont identiques. Des foules de gens pressés, des odeurs incroyablement tenaces. L’été les rues sont poussiéreuses, l’hiver elles se transforment en ruisseaux de fange. Les voitures sont bruyantes et les pensions crasseuses, et à tous les coins de rues, on voit des dames en robe de soir côtoyer les plus misérables des chiffonniers. Il y a des Irlandais et des Chinois, des Italiens et des nègres, personne ne se connait et tout le monde s’en fiche. On y trouve toutes les choses imaginables, à l’exception de l’air pur.
Emportant une torche, il se pencha pour s’introduire dans une réserve basse, d’où il revient avec une cruche en terre cuite. Il en ôta le bouchon de liège et l’approcha de ses narines.
« Du whisky ! Indien, mais du whisky quand même.
- Calmez votre joie ! Ce n’est qu’un brut de fût maison, bon pour les indigènes. Si vous avez de la chance vous ne perdrez que la vue. »
Elle était la plus belle femme que Dieu eût jamais façonnée, avec une peau couleur chocolat et des lèvres suaves comme un sirop d’érable.
À l'ouest s'étend l'obscurité de la forêt d'Ottawa, encore plus noire que la nuit elle-même. Un frisson me passe dans le dos, car une forêt inconnue est semblable à une contrée exotique, avec ses monarques et ses coutumes, ses lois et ses guerres.
La nuit venue, ses pas le menaient de nouveau sur Franklin Street. Ce n’était qu’une étroite allée au sol d’argile, éclairée de flaques de lumières, résonnant du vacarme des violons désaccordés et peuplés d’Irlandais, de nègres, d’ouvriers et d’avoués. Les hommes étaient ivres, la figure barbouillée de saleté, la chemise tachée de boue et le chapeau mis de guingois. Appuyé contre le pilier d’un auvent, le révérend Stone observait avec un agacement feint leurs allées et venues entre le saloon, la salle de bowling et le bordel. Jamais, il n’avait été témoin d’une telle concentration de sentiments : âpres querelles et éclats de rire, regards empreints de regrets et déclarations d’amour mensongères. Il ne manquait plus qu’un temple et un cimetière, se disait le pasteur, pour que Franklin Street embrasse toute la gamme des émotions humaines.
J'ignorais que la solitude pouvait prendre des formes aussi diverses. Pourtant, à la mesure que se prolonge mon séjour, j'apprends à distinguer la solitude impatiente d'un vendredi soir sans visiteurs, la solitude désolante d'un dimanche, quand la neige nous retient à l'intérieur, et celle aride et morne d'un lundi matin dans le Bureau désert. Chacune de ces solitudes possède sa propre saveur douce-amère.