Un soir on s’est saoulé, des petits rhums cul sec, un alcool vieux, fort et hors de prix, un zeste de citron vert. A chaque gorgée, on s’ébrouait comme des chiens mouillés, en jetant la tête en arrière. Les douleurs se diluaient dans l’ivresse. On riait en cascade, le corps secouait de spasmes, l’une relançant l’autre, quand le rire s’atténuait ; on riait en trinquant, cyniques, à nos ratages, à cette garce de vie qui se foutait de notre gueule... On riait aux larmes, aux larmes qui bientôt n’étaient plus de joie, même plus d’un semblant de joie. Des larmes dans le silence revenu, qui nous avaient cueillies au cœur de l’ébriété sans crier gare et qui faisaient un peu de bien, quand même, puisque nous les partagions.
J’ai envie de hurler : moi aussi j’ai souffert ! Si elle comprenait à quel point je me suis perdue ;
dépossédée de moi-même, complice de mon propre ravisseur.
Pour la première fois je ne vais pas faire ce que j’ai toujours fait, servir, coûte que coûte, les intérêts du petit roi.
Pendant le sermon, la panique a gagné du terrain. J'ai cru que j'allais perdre l'équilibre. La vue brouillée, la gorge sèche, j'ai maintenant du mal à suivre le mouvement. J'essaie de me maîtriser mais impossible d'empêcher mes doigts de s'approcher de ma bouche et mes dents de tirer sur les cuticules et de rogner mes ongles.
Il avait fait de moi la femme que tous auraient voulu avoir. Du moins le disait-il avec fierté, quand je parvenais à me couler dans le moule qu'il avait fabriqué pour moi, quand la moindre mèche de cheveux se pliait avec docilité à la coiffure qu'il avait imaginée.