Citations de Laurence Voïta (17)
Quand on a de la peine à exprimer ses émotions, c'est moins difficile de les taire.
A notre époque, Marie Anne aurait peut-être simplement été une petite fille vive et joyeuse, à qui l’on aurait demandé parfois de se calmer, sans pour autant lui intimer sans cesse d’être autre que ce qu’elle est.
Comment s’y est-elle prise? Comment a-t-elle franchi toutes les étapes qui permettaient le leurre? Comment, dans cette proximité qui liait entre eux les soldats, a-t-elle fait pour ne jamais se trahir? Et surtout, comment diable a-t-elle fait pour pisser debout?
« J’aime l’aspect ludique du polar, l’obligation d’aller d’un point à un autre pour résoudre une énigme où j’ai pris plaisir à semer des fausses pistes. Pour le reste, ce roman - comme les précédents - vient de ma passion pour les rapports humains. J’avoue avoir une sorte d’hypertrophie de l’empathie qui me pousse à toujours imaginer ce que les gens vivent. Quant aux thèmes de la disparition et de la cécité présents dans Aveuglément, j’ai choisi le premier pour son évidente dimension romanesque et parce qu’il répond à un fantasme personnel (continuer à vivre alors que l’on a disparu pour les autres). Le second en revanche, tout comme le personnage de José,
m’évoque plus une tristesse infinie que de la peur. »
Je suis certaine quant à moi qu à sa place, au tout dernier moment, j'aurais voulu qu'ils sachent. Qu'ils sachent devant moi, pour jouir de leur surprise! Mais pouvoir affirmer sa fierté d'être une femme n'est peut-être qu'une notion moderne? Qu'a donc vécu Marie Anne pour se battre avec tant de fougue et d'enthousiasme? Qui plus est pour une terre qui n'est pas la sienne ? Avec une détermination qui ne se démentira pas. Jusqu'à la mort. Et mon propre rejet de toute forme de férocité ne serait-il donc que culturel ? Aurais-je pu être comme elle à une autre époque? Avec le même aplomb et le même sentiment que mon combat est juste? Je l'observe encore et encore, avec le peu que je sais d'elle.
– Souvent, je me demande vraiment si ça vaut la peine de vivre sans voir. J’ai tellement aimé les couleurs, Mathilde, j’ai tellement aimé l’éclat du soleil qui fait vibrer le monde ! Prenez juste les verts ! Le vert électrique de l’herbe lorsque la lumière est rasante, le vert jade opaque du lac ravivé par le blanc de l’écume des vagues lorsque le vent souffle de l’ouest, le vert tendre des jeunes feuilles de tilleul, qu’on associe à leur odeur au début de l’été, ou l’odeur de la sauge et ce vert un peu argenté qu’elles ont, vert mousse presque fluo, vert forêt, kaki, vert d’eau, vert bouteille, vert absinthe, je…
Non, pas de souvenirs, juste aller de l’avant.
« Comment je vais m’y prendre ?… »
Si quelqu’un sur la place avait levé les yeux à ce moment précis, avec la tête de Marco ainsi dessinée derrière la vitre, la fenêtre aurait semblé le cadre d’un portrait ancien, sombre et intraitable. En s’en approchant, il y aurait vu les rides, creusées de chaque côté de la bouche, dont les lèvres autrefois pleines semblent réduites sous l’effet du ressentiment et de la colère contenue qui l’animent encore aujourd’hui.
Les cloches de l’horloge de la place finissent de sonner l’heure.
« 16 heures pile. Petit pays si sûr de lui, irréprochable et fier de l’être. Et pourtant si facile à mystifier », a murmuré Marco en serrant les dents.
« 16 heures pile. Petit pays si sûr de lui, irréprochable et fier de l’être. Et pourtant si facile à mystifier », a murmuré Marco en serrant les dents.
Marco a laissé passer un silence. Un silence minéral sur son visage fermé à double tour. Puis il a ouvert la bouche pour ajouter quelques mots qui ne sont pas sortis.
La gare vient d’être rénovée mais il n’ose pas s’y attarder. Il craint soudain qu’on le reconnaisse. Sept ans c’est long. Et c’est très court.
Voir la porte se refermer. Entendre le bruit du verrou. Se trouver dans l’obscurité. Ne pas savoir pourquoi ni jusqu’à quand. Écouter chaque bruit. Attendre celui des pas. L’espérer et le craindre à la fois. Ne pas comprendre la raison de cet enfermement. Penser qu’on va mourir. Crier et puis se taire. Dans le noir et le froid. Être là par la volonté de quelqu’un. De quelqu’un qu’on ne connaît pas. Avoir peur de mourir. Gémir pour entendre sa voix. Sangloter puis se taire. Refermer sur soi toutes les sensations. Ne plus voir. Ne plus entendre. Se retirer dans un monde sans début et sans fin.
Roman humaniste, polar sur le fil, "Personne ne sait que tu es là" propose deux histoires entremêlées. L'une permet de remonter jusqu’à l'enfance d'une mère, l'autre de donner un nom à un homme mort sous un pont. Laurence Voïta tisse avec justesse les récits d'une quête des origines.Dans "Personne ne sait que tu es là", l’enquête est surtout humaine. (…) Elle est celle d’une origine, de la définition de soi et du lien aux autres. Le personnage use de ses réflexes de pisteur. Sous l’entêtement du chien de chasse s’enfouissent l’appréhension, la peur de trouver la vérité au bout du chemin de la vie, sous les secrets.
Personne ne sait que tu es là", un polar à part, une narration qui fait la part belle à l’amour des autres et de soi-même, à la paix que l’on peut trouver en laissant le passé derrière et en regardant vers l’avenir. Celui de Laurence Voïta est à présent tracé. Son prix littéraire l’a fait basculer du côté des professionnels de l’écriture, lui donnant un élan supplémentaire et une légitimité méritée. A présent, tout le monde sait que Laurence Voïta est là.
Catherine Fattebert rts
"Bruno est un flic à l'ancienne et cela commence parfois à lui jouer des tours, mais au fond il s'en fout. Il vomit les procéduriers qui se contentent de suivre les règles. Ceux pour qui le respect du droit remplace la pensée"
Heureux celui qui connaît une lente agonie: il peut s'entourer de ses proches, rédiger son testament, recevoir ses sacrements. La maladie autorise une "bonne mort". Ars moriendi.
Bruno s'est étonné aussi de cette vision moyenâgeuse de la mort. Pas encore scandaleuse, pas encore à bannir, pas encore à cacher, la mort qu'on espère lente, la mort subite étant la pire de toute puisque seule l'agonie est digne à cette époque, car elle permet de prendre congé de tous, des siens et du monde.
C'est ainsi dans les petites villes, souvent l'on se retrouve entre soi et pour longtemps. Ces amitiés-là sont fondatrices, elles nous permettent d'éviter toutes les conversations d'usage, toutes les anecdotes à succès qui nous fondent. Mais elles enferment aussi, dans des boîtes aux cadenas solides, les questions qui sont restées en suspens et sur lesquelles on ne reviendra plus.
Il n'aime pas ça du tout. Cette idée d'un passé qui viendrait pour régler des dettes que personne ne réclame. Le passé est le passé et lorsqu'il resurgit, ce n'est jamais pour le meilleur.