Chiffonniers, charretiers, brodeuses, blanchisseuses, terrassiers, repasseuses, boyaudières, équarisseurs, ramasseurs de crottes de chien (que les tanneurs utilisaient pour nettoyer le cuir), écumeurs d'égoûts en quête de flaques de graisse de porc (pour l'industrie du savon), voilà une partie du vaste panorama des petites combines (plus que de véritables métiers tant ils sont précaires) que nous décrit avec une subtile empathie Léon Bonneff, consciencieux journaliste du tout début du XXème siécle.
Rajoutez la misère, la crasse, la putréfaction, les maladies, les accidents de travail, accompagnés par ce navrant fatalisme de la classe laborieuse, qu'on retrouve aujourd'hui encore.
Rajoutez, pour tenter d'oublier tout ça, l'omniprésence de l'alcool : bière, vin, calva, rhum, vodka, absinthe... j'en oublie.
Des hommes souvent ivrognes, violents, fainéants, infidèles. Leurs femmes qui ont appris, tant bien que mal, à s'en défendre ou à les chasser.
Prenez garde, lectrices, lecteurs : il faut parfois avoir l'intestin bien disposé pour encaisser les minutieuses descriptions des abattoirs d'Aubervilliers. Les pratiques ne semblent d'ailleurs pas avoir évolué, toujours aussi révulsantes que dans les abattoirs "modernes" (merci à L214 puisque désormais ils se cachent).
Un témoignage vivant et militant de la vie d'Aubervilliers il y a plus d'un siècle.
Si nos journalistes pouvaient s'inspirer de Léon Bonneff ... on n'en serait pas là.
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Aubervilliers narre la vie d'ouvriers désemparés à la fin du 19ème siècle où la révolution industrielle bat son plein dans le plus pur mépris des travailleurs : couturiers, cordonniers, parfumeurs, equarisseurs, chiffonniers... Tout est noir, crasseux, sordide : le lecteur ne veut pour rien au monde vivre ce que ces multiples protagonistes endurent chaque jour de l'année avec au mieux une journée de repos par semaine. Des existences basées sur la survie et le travail avant tout : pas de place pour les loisirs ou le repos. Et le soir, les bistrots se remplissent et toutes les paies y sont dépensées pendant que les femmes s'occupent de leurs progénitures. Aucune perspective positive à l'horizon pour ces refoulés de la société capitaliste.
L'écriture est très journalistique et il ne faut s'attendre à s'attacher à tel ou tel personnage car finalement ici tous ont leur importance, le but étant a priori de ratisser large en nous montrant l'éventail de la condition ouvrière sur une époque pas si lointaine. Ici, le lecteur est invité à s'imprégner de la crasse et de la misère sans se soucier de son attachement à une personne ou situation en particulier.
Une belle découverte que cet auteur malheureusement trop méconnu et qui mériterait d'être mis en avant notamment au niveau éducatif par son originalité, sa sincérité et sa pertinence.
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Un ouvrage passionnant sur la vie et la condition ouvrière parisiennes à l'aube du XXe siècle ! Enrichi de nombreuses anecdotes sur les déboires d'une société de plus en plus fracturée par l'écart des classes entre elles, le texte est un panorama de la vision humaine de l'époque. Ce monde à deux vitesse, bien que descriptif et critiqué, est encore celui que l'on retrouve aujourd'hui, même si l'asservissement est devenu plus subtil.
L'on regrette le destin tragique de Léon Bonneff, visionnaire parti trop tôt dans des conflits qui dépassent l'entendement humain...
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