C'est le deuxième livre de Lionel Destreumau que je lis après Gueules d'ombre que j'avais beaucoup apprécié. Il s'agit cette fois d'une enquête, menée à partir de la découverte du corps d'un enfant noir, semi-enterré dans une forêt. Je n'en dirai pas davantage sur l'intrigue, les critiques déjà postées vous donneront tous les éléments nécessaires pour vous donner envie.
Comme dans son premier roman, rien n'est situé, ni dans le temps, ni dans l'espace. Cela se situe un peu ici, mais aussi ailleurs, un peu aujourd'hui mais pas tout à fait. Peut-être après la seconde guerre mondiale, mais non... Ce n'est pas très grave, mais cela change beaucoup de choses pour le lecteur, et pour l'écrivain aussi certainement.
Le lecteur est en terrain inconnu, il perd tout ses repères habituels. Il doit donc faire l'effort de retenir (ou non) les bribes de description géographique et d'éléments chronologiques glanés au fil des paragraphes. Les noms des personnages sont aussi étranges que s'ils appartenaient à une langue d'un pays jusqu'ici inconnu. Du fait de cet inconfort relatif (relatif parce que l'écriture est en dehors de cela très classique et élégante), la lecture est, pour moi, ralentie (alors qu'habituellement dans le cas d'un roman noir ou un polar elle est rapide).
Je pense que le roman prend ce ce fait une dimension plus universelle et atemporelle, qui se prête bien aux réflexions d'ordre philosophiques ou politiques par exemple. J'imagine cependant que pour l'auteur cela nécessite tout une préparation en amont de ce cadre inventé pour son histoire. Pas autant que si c'était de la fantaisie, mais suffisamment pour ne pas laisser passer d'incohérences.
Je ne sais pas où nous emmènera le prochain livre de Lionel Destreumau, mais j'attends cette nouvelle expérience avec impatience.
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Après la découverte du corps d'un enfant noir non identifié retrouvé dans les bois par un chien et son maître, l'inspecteur Filem Perry est en charge de l'affaire. Son enquête le met sur la piste d'un héritier sans talent, d'un déserteur, d'un proxénète, d'une jeune fille naïve et du grand Arkan Neria, patriarche aux mille vies ayant su dépasser sa condition d'homme noir dans un pays raciste.
Une grande fresque aux personnages hauts en couleurs. Il n'y a pas de doute, Lionel Demestrau sait raconter des histoires et nous emporte dans son récit riche et foisonnant aux multiples rebondissements.
La chronologie est volontairement chahutée et le contexte historique et géographique sont imaginaires même si l'on retrouve certains travers de nos sociétés contemporaines. De fait, les protagonistes traversent des guerres, subissent la ségrégation et connaissent leur lot d'épidémies...
J'ai aimé ce souffle romanesque, comme un tourbillon, qui nous mène jusqu'au chapitre suivant. Malheureusement, quelques longueurs et des détails superflus nuisent à la fluidité du texte selon moi.
Mon plus gros bémol reste cette absence de contexte ou justement ce contexte trop proche du nôtre, sans vraiment l'être... Je me suis même demandée si ce n'était pas une facilité de l'auteur ! Mais j'en doute quand on voit tout le travail d'écriture derrière ce texte dense.
Malgré tout, ce texte est très original, bien ficelé, il est à la croisée des genres, la saga familiale l'emportant parfois sur l'aspect policier de l'enquête, ce qui ne m'a pas dérangée.
L'avez-vous lu ? J'imagine que c'est un roman qui ne laisse pas indifférent.e.
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Sombre et fébrile, mené d’une main de maître, « Jusqu’à la corde » est une épopée policière, frénétique et tempétueuse.
L’impulsion d’une littérature de haute capacité, qui œuvre et à l’intrinsèque de ce récit, ainsi qu’au double sens.
Ce deuxième degré élève l’intelligence conquise, et pointe du doigt là où ça fait mal.
Il démontre en summum, combien l’histoire des hommes, les actes et les conséquences sont liés à la symbiose sociétale et politique.
Les psychologies dans ce livre aux nombreux langages sont des confrontations avec l’irrépressible mouvance sociale. Ce livre est avant tout, une mise en scène magistrale des vecteurs prégnants qui éprouvent les existences. Ce qui forge immanquablement une identité et ce à quoi l’être devient ange ou démon. Ici, dans ce livre où l’atmosphère incarne d’emblée l’histoire en elle-même, la démonstration est perfectionniste.
Certes, c’est une fiction dans un pays dont on ignore le nom. Ici, ou ailleurs, l’année et le recensement des jours. La trame est élargie et laisse l’opportunité à l’imagination de prendre toute sa place.
Lionel Destremau rassemble avec panache et lucidité, l’ampleur des dérives humaines.
L’apartheid et le racisme , la prostitution. Ce qui déclame de la pauvreté, d’un manque affectif et des troubles de la personnalité innés à l’éducation et au contexte de l’époque.
Tout est incurablement gris et « Jusqu’à la corde » est une mise en abîme, une plongée dans un crime atroce jusqu’à tirer la corde et en finir.
Roxy, un chien (Ils seront plusieurs dans ce récit), découvre avec son maître, fortuitement, le cadavre d’un enfant (noir) d’à peine cinq ans. Dans une forêt, caché sous des feuilles, la vulnérabilité de l’enfance et sa pureté, l’entrelacement avec l’horreur.
L’inspecteur Filem Perry se rend sur les lieux. Cet homme désabusé par le temps, d’un âge certain, est néanmoins intuitif et pragmatique. Son côté vieux flic est un atout.
Le tout petit a dans sa poche une boîte à musique. Avec son coéquipier Mayid Frin, ils vont remonter à la source. Comprendre que la clef se trouve ici.
L’enfant semble anonyme. Non recherché, le poids de la ségrégation en son corps replié. L’échec des disparités raciales, un emblème. Mais c’est sans compter sur la ténacité de Filem Perry qui rassemble l’épars, avance pas à pas avec son chien Pat collé à lui dans une enquête devenue un tsunami.
Le récit est séquencé en chapitres, dont chacun des protagonistes est mis en lumière.
Il vont prendre vont prendre place dans ce récit magnétique.
De fil en aiguille, l’étau se resserre.
Qui sont-ils ? Le récit est cadencé dans l’évènementiel. Tout s’emboîte, telles des poupées gigognes. Lionel Destremau avance les pions. Il dévoile le pouvoir relationnel, dans un pensionnat, de trois amis. Les faux-semblants et l’exutoire des frustrations, les vengeances, adultes devenus. Ce qu’une existence peut détenir, comme meurtrissures insondables.
Les parcours différents et pourtant tous liés par les affres sociétales. Les torpeurs intestines et les inégalités à l’instar d’une bombe à retardement.
L’intrigue dévoile les causes et les raisons. Somme le verdict. Qui a tué cet enfant et pourquoi ? Ici, le tremblant des douleurs de la vie. Sans antidote, si ce n’est par un crime.
L’écriture est hypnotique. D’un rythme filmique, intense, et laisse subrepticement la réponse dans un point final d’apothéose.
«Jusqu’à la corde » est un tissage fascinant. C’est un livre empreint d’humanité envers et contre tout. L’exigence d’une enquête de lutte et de bravoure.
En lice pour le prix Hors Concours 2024. Publié par les majeures Éditions La Manufacture de livres.
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Je découvre l'auteur avec ce récit, je ne savais pas du tout que celui-ci avais fait autant de choses différentes avant l'écriture.
La couverture et sa quatrième m'ont donné envie de lire ce livre qui même s'il est un roman policier il tire aussi beaucoup du côté du roman noir car au niveau du rythme il est moins haletant qu'un policiers mais beaucoup plus ancré dans l'époque et la réalité.
Tout débute lors de la découverte d'un corps par un promeneur avec sa chienne, cela va donc débuter sur une enquête pour découvrir à qui appartient ce corps d'enfant et cela va s'annoncer un peu plus compliqué que prévu pour découvrir l'identité de l'enfant et de sa famille.
J'ai aimé suivre le personnage d'Arkan car à mes yeux qui peut rester insensible à son parcours de vie, trouvant tour à tour des petits boulots durant un temps et puis suivant de nouvelles personnes pour se déplacer ou il le souhaite, autre chose original du récit nous n'arrivons pas à situer celui-ci au niveau des lieux, par exemple Arkan cherche à aller vers la mer mais laquelle et quel pays il traverse nous n'avons aucune information la-dessus.
Même pour la forêt ou est découverte le corps j'ai eu un doute sur la localisation mais je n'ai toujours pas de certitude à ce sujet, cependant cela ne m'a pas gêné plus que cela dans ma lecture.
Comme souvent dans ce récit nous naviguons entre passé et présent et l'auteur nous permet peu à peu de replacer les choses pour parvenir à découvrir ce qu'il s'est passé.
Une lecture que j'ai bien aimé cependant je ne garderai pas grand souvenir de celle-ci.
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Intriguée par ce que j'avais entendu dire de ce roman, j'ai sans doute été induite en erreur, mon enthousiasme a été balayé en quelques pages. Je pensais découvrir des trouvailles narratives, je n'ai trouvé qu'une écriture brouillonne, un style alourdi de phrases interminables, beaucoup d'informations redondantes. Soit, la construction est peu classique (même si la proposition de points de vue divers n'est pas une nouveauté en soi), mais elle dessert l'intrigue en déflorant le dénouement bien avant le point final. L'univers imaginaire dépeint présente l'intérêt pour l'auteur de pouvoir se limiter à ses thèmes de prédilection sans s'encombrer de références historiques et de précisions géographiques, mais les mauvaises langues pourront prendre cela pour une facilité ou un gain de temps.
Bref, je suis déçue. ça se sent ?
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Nous sommes au cœur d’une guerre n’ayant pas existée, même si un certain nombre de caractéristiques nous font penser d’emblée à la Première Guerre mondiale. Paradoxalement certaines références très modernes comme les hélicoptères ou l’électricité nous éloigne vite de 1914.
Nos repères spatio-temporels sont ainsi brouillés et cela m’a dérangée. Je me suis ennuyée à plusieurs reprises car l’histoire manque de dialogues et est donc essentiellement basée sur une description de faits imaginaires. J’ai trouvé que le rythme n’était pas trépidant. Siriem Plant, chargé d’enquêter sur l‘identité d’un soldat plongé dans le coma après avoir percuté une voiture, avance beaucoup trop lentement dans son enquête.
Toutefois je pense que ce roman noir pourra trouver son public qui sera plongé dans les ravages de la guerre et les arcanes de l’âme humaine.
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L’enquêteur Siriem Plant est chargé d’identifier un soldat plongé dans le coma. On ne sait rien de lui si ce n’est son nom, Carlus Turnay. Ayant peu de survivants à cette guerre, il enquête auprès de celles qui attendaient le retour de ces gueules d’ombre : les épouses, amantes, mères, sœurs... De femme en femme, il reconstitue la vie de Carlus Turnay et la fresque de cette époque.
Une enquête insolite menée dans les décombres d’un pays fictif, dans une temporalité inconnue, où Lionel Destremau nous propose, un univers littéraire unique.
L’auteur nous emporte dans l’ambiance sépia d’une vieille photo d’époque bourrée d’anachronismes merveilleux où les tranchées de la guerre de 14-18 rencontrent des hélicoptères de notre époque. Une ambiance onirique, floue et délicate, portée par une plume surannée mêlant souvenirs et actualité qui n’est pas sans rappeler par moments 1984 d’Orwell. Une aventure olfactive où l’on entend les tirs, on touche la boue, on sent l’odeur du sang, on ressent un désarroi, palpable.
« On n’a peur de mourir que lorsqu’on se sent véritablement vivant. »
Un livre inclassable. Ce n’est pas un polar. Ni un roman historique. Ce n’est pas un dystopie. Ni un témoignage. Ce n’est pas un roman noir. C’est l’histoire des guerres. Universelles. Quels que soient les époques, les lieux. Ces guerres où les vivants cherchent leurs morts. Essaient de trouver un sens à tout ça. C’est l’histoire de ces familles déchirées, brisées dans l’attente de nouvelles du front. C’est l’histoire de soldats abîmés qui veulent oublier. C’est l’histoire d’un après guerre où l’on cherche à se reconstruire. C’est l’Histoire qui résonne dans l’actualité.
Un premier roman réussi. Un style bien ancré. Un parti pris assumé. Un univers abouti.
Le petit plus : un imaginaire puissant
Le petit moins : l’absence totale de repères m’a déstabilisé et m’a empêché de rentrer pleinement dans le livre.
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L'enfant s'appelle Tierno. Il a quatre ans, peut être cinq, et il est étendu, face contre terre au beau milieu d'une forêt. Mort.
L'inspecteur Filem Perry se voit confier l'enquête et avec elle un jeune premier Mayid Frin. La vieille génération contre la nouvelle génération.
Et pourtant, dans ce polar à la construction originale, Lionel Destremau ne se concentre pas sur l'enquête policière avec ses codes mais développe une sorte d'histoire-monde dans laquelle chaque protagoniste évolue éparpillé comme les pièces d'un puzzle dans un univers qui fait penser aux US sans l'être vraiment. On y découvre la vie et l'œuvre de plusieurs personnages clés, le père et la mère de Tierno, son grand-père maternel. On côtoie quelques lascars, certains menaçants, d'autres plus inoffensifs.
Lentement, l'histoire se met en place, Lionel Destremau plaçant ses pions comme Tchekov plaçait son fusil au dessus de la cheminée.
Car rien n'est laissé au hasard avec l'auteur. Tout est parfaitement millimétré.
Pour un romancier en herbe comme moi, le jeu de construction et l'architecture du roman sont hyper intéressants. Les effets de miroir (que j'affectionne particulièrement) sont efficaces puisque l'on vit parfois un détail ou deux d'une scène selon deux angles différents, à plusieurs chapitres d'intervalle.
Ce roman est polyphonique, chaque personnage jouant sa partition. Et l'on sent vraiment que l'auteur se plaît à distiller au compte goutte (on pourra peut être reprocher certains chapitres qui traînent en longueur sur des détails de la jeunesse de tel ou tel personnage) les éléments menant au puzzle final.
Si vous aimez les thrillers à twist et au suspens intenables passez votre tour.
Si vous aimez entrer dans un monde (celui de l'auteur est imaginaire) vous y lover et voir évoluer les personnages, précipitez vous sur Jusqu'à la corde !
Un sacré bon roman qui ne se laisse pas apprivoiser facilement. Touffu, parfois trop, ce n'est pas un polar comme les autres.
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Lecture très intéressante et foisonnante de détails. L'auteur campe son histoire dans un pays imaginaire où une guerre perdure, guerre ressemblant beaucoup à notre première guerre mondiale (tranchées, boue, guerre de position, gaz etc).
Dans ce contexte, nous allons suivre l'enquête de Siriem Plant pour découvrir l'identité d'un soldat (déserteur ?) dans le coma. À travers le cheminement des indices qui mènent peu à peu sur les traces de la vérité, nous en apprenons plus sur les compagnons d'infortune de ce soldat, ceux ayant vécu l'enfer dans les tranchées à ses côtés. Chacun a le droit à un chapitre lui donnant la parole, offrant ainsi un récit puissant. En effet je trouve toujours horrible de se dire qu'il y a eu tant de morts, mais si nous mettons un nom sur un mort, des pensées et des sentiments, cela rend les choses beaucoup plus concrètes.
À travers ces gémoignages, nous découvrons une guerre absurde où ces hommes ne servent finalement que de chair à canon. La peur, la sueur, la crasse et la malnutrition sont le quotidien de ces pauvres gens qui ne rêvent que de rentrer chez eux.
Au fur et à mesure de notre lecture, nous assemblons les pièces d'un puzzle, celui de la vie et de la personnalité de celui qui se fait appeler Carlus Turnay. La narration est brillante et nous offre un tableau extrêment complexe. Cette histoire est exigeante et très bien narrée. Un grand bravo d'ailleurs à l'auteur ! J'ai particulièrement aimé ses différents styles narratif en fonction de la personne qui prenait la parole.
Il était également ingénieux de sa part de ne pas nous donner de dates ni un lieu existant réellement, nous montrant ainsi que cette guerre est finalement intemporelle et universelle. Elle a pu avoir lieu par le passé comme pourrait se produire dans l'avenir, et ce dans n'importe quel pays.
Le seul petit bémol que je pourrais dire est qu'il y a eu selon moi quelques petites longueurs, mais cela n'a pas entravé ma lecture.
*Lecture dans le cadre du Prix pour le Meilleur Polar Points* #lecture4
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Etrange affaire dans une étrange atmosphère.
Après la guerre, un ancien flic est chargé par le Ministère des Anciens Combattants de retrouver l'identité d'un soldat plongé dans le coma. Le flic va tenter de retrouver les compagnons d'armes encore en vie du bidasse, afin de découvrir qui il est, mais la tâche s'annonce ardue dans un pays en ruines qui commence seulement à se relever et veut oublier...
Ce polar vaut surtout par son ambiance : on ne sait pas où on est, ni quand. Les noms ont des consonances exotiques : Siriem Plant, Hanzi Tzamal, Salamiet Taroy... pour les hommes ; Caréna, Plötan, Alduz... pour les lieux. J'ai adoré la façon dont Lionel Destremau brouille les pistes : ses descriptions des tranchées font penser à la première guerre mondiale, mais la carcasse d'un hélicoptère vient remettre en cause cette hypothèse. Une telle confusion aussi bien entretenue m'a fait immanquablement penser au "Rapport de Brodeck" de Philippe Claudel, mais aussi au "1984" de Georges Orwell, où l'on se demande dans quelle dimension cauchemardesque on évolue.
Comme Claudel et Orwell, ce que narre Destremau est l'histoire universelle de la guerre au XXe siècle et sa connerie absolue (pour citer Prévert). Pour ce faire, il laisse parler les morts dont les voix s'entrecroisent dans ce roman choral. Et toutes racontent la beauté simple des petits vies d'avant, où -pour citer ma grand-mère cette fois, "on était heureux et on ne le savait pas." Ce roman est donc une réflexion supplémentaire sur la guerre et sa façon de ravager impitoyablement les existences, sans prévenir ni guérir, et il remet également en perspective notre façon d'appréhender nos malheurs et nos bonheurs. Ca perturbe.
Par ailleurs, j'ai apprécié l'écriture haletante de l'auteur, quasi-cinématographique, qui contribue à maintenir le suspense tout en nous asphyxiant dans sa noirceur : belle maîtrise !
C'est donc une belle découverte que cet auteur et ce roman, et même si ce n'est pas la lecture idéale en cette période de fêtes, elle mérite amplement d'être inscrite dans votre liste "lectures 2024".
D'ici là, joyeux Noël à tous !
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« Je n’avais d’autre choix que de remonter la piste des morts. »
La guerre est terminée. Le pays panse ses plaies, de nombreuses familles sont en deuil. C’est dans ce contexte que l’enquêteur Siriem Plant est chargé par les autorités d’identifier un soldat inconnu, dans le coma depuis plusieurs mois. Sa carte d’identité militaire est au nom de Carlus Turnay. Problème: plusieurs familles se présentent comme les parents de cet homme.
Qui est-il vraiment ?
Quel a été son parcours durant le conflit ?
Pour répondre à ces questions Siriem Plant va devoir retrouver les soldats qui ont pu le croiser pendant la guerre. Mais la plupart d’entre eux n’en sont pas revenus, et dans la grande majorité des cas c’est auprès de leur veuve ou de leur mère qu’il va chercher ses réponses.
Siriem Plant est lui-même un ancien soldat, et c’est avec beaucoup de pudeur et de respect qu’il va mener ses investigations.
« En venant remuer ainsi les souvenirs de ces familles, je remuais la terre des tombes de soldats. Je déterrais leurs cadavres. Au lieu de les laisser reposer en paix, de laisser les familles faire leur deuil repliées sur la douleur, je rouvrais les plaies. C'était un sale boulot, et je me demandais si Carlus Turnay en valait vraiment la peine. »
L’enquête avance pas à pas, relancée de temps à autre par un indice recueilli dans une correspondance de soldats ou au détour d’une discussion. Le rythme est lent, mais souligne bien le respect et l’humilité qui animent Siriem Plant durant ses recherches.
L’idée de donner la parole aux disparus apporte une force supplémentaire au roman. Ces témoignages de ceux qui ne sont plus, qui ont à un moment de leur vie côtoyé Carlus Turnay, sont les plus riches en émotion. S’ils peuvent donner une impression répétitive, j’y ai trouvé pour ma part une forme d’hommage à tous ces hommes « morts pour la patrie ». Impression renforcée par le parti pris de ne pas situer cette guerre dans une réalité connue même si on sent que l’auteur s’est principalement inspiré de la Première Guerre Mondiale.
C’est finalement le point de vue de Carlus Turnay qui m’a le moins intéressé et pour lequel j’ai eu le moins d’empathie.
Quand le récit nous transporte sur les champs de bataille, au fond des tranchées ou au milieu d’un assaut, il devient âpre et percutant. Au côté des soldats, on revit toute la violence et l’absurdité des combats.
« Pour quelques mètres gagnés, après une charge héroïque et sanglante, elle recrachait des centaines de corps, parfois même moins que ça, un pied planté dans le sol retourné, une main sectionnée, pétrifiée, le doigt encore posé sur la détente du fusil, dans l’attente d’un premier coup de feu à tirer. »
Un roman noir intimiste qui nous fait entrer avec force et dignité au cœur d’une guerre.
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Jusqu’à la corde s’ouvre sur la découverte du corps d’un enfant d’environ cinq ans dans une forêt, sous un tas de feuilles. Personne n’a signalé de disparition. Personne ne réclame le corps, impossible à identifier en l’absence d’indices, juste une boîte à musique trouvée dans la poche du garçonnet. L’enquête est confiée à Filem Perry, vieux flic proche de la retraite, physiquement et moralement fatigué, pessimiste sur sa capacité à sa changer le monde mais suffisamment patient pour tirer le moindre fil grâce à un instinct resté intact.
« Il y avait, dans une enquête de terrain comme dans la vie, des fragments d'inconnu, des soupçons naissant à partir d'une poussière, des idées surgies instinctivement plutôt qu'accouchées grâce à la raison.(...) Il me fallait cesser de douter ainsi et poursuivre le chemin sur lequel je m'étais engagé jusque là, aller au bout de cette piste, l'épuiser complètement quitte à ce qu'elle s'avère totalement vaine. »
Lionel Destremau reprend les mêmes éléments que dans son livre précédent ( le génial Gueules d’ombre ), à savoir un cadre spatio-temporel impossible à identifier tellement il est brouillé, mêlant des éléments familiers qui n’ont rien à voir les uns avec les autres : deux guerres évoqués, un pays pratiquant la ségrégation raciale, des inventions technologiques du présent actuel mais sans Internet ni téléphone portable, des noms de lieux et personnages qui ne correspondent à aucune langue. Evidemment, si on a lu Gueules d’ombre, on perd là le formidable effet de surprise liée à la découverte de cette décalque étrange du réel, et donc un peu de sel, même si on est ravis de replonger.
Les chapitres alternent les points de vue des différents protagonistes, les flics avec Filem Perry au premier plan, mais aussi tous ceux qui ont pris gravité autour drame sans qu’on devine immédiatement leur rôle et incidence sur la mort du garçon. Et notamment Arkan Niera, fil conducteur et fascinant personnage évoluant des champs de coton aux cabarets en passant par les rings de boxe.
L’intrigue est kaléidoscopique, menée de mains de maître pour nous conduire dans les méandres de l’enquête. Chaque éclat converge brillamment vers une résolution aux accents de tragédie grecque et de saga familiale. Chaque chapitre semble révéler beaucoup sur le passé des personnages mais troublent encore plus le présent de l’enquête, d’autant que parfois le personnage du passé réapparait longtemps après dans ce présent.
Plus qu’un polar, l’auteur a composé un roman noir d’atmosphère extrêmement sophistiqué, à l’écriture raffinée, sondant ses personnages à l’os, leur gris, leur ambiguïté, tout en questionnant subtilement le lecteur, tout en résonant avec notre monde contemporain sur les traumatismes hérités de la guerre ou du racisme institué.
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Voilà un polar qui n'en a pas les codes.
Bien qu'il s'agisse effectivement d'une enquête suite à la découverte du corps d'un enfant, la manière dont le roman a été écrit nous propose une lecture qui sort totalement de ce à quoi nous sommes habitués. Finalement, nous avons davantage affaire à des histoires de vies ; les vies qui gravitaient de près ou de loin autour de cette disparition.
D'abord perplexe, on se laisse pourtant emporter par le talent de conteur de Lionel Destremau. Les histoires se déroulent les unes après les autres, avec l'enquête qui s'entremêlent au milieu, et tout s'emboîte plutôt bien. Je reconnais m'être attendue à ressentir beaucoup plus de lassitude à la lecture, mais l'écriture est suffisamment bien portée pour éviter d'avoir ce sentiment. On découvre des personnages complets et intéressants qui font de ce roman un parcours de vies intéressant, plaisant à découvrir.
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J'ai apprécié cette enquête avec des prises de paroles et des ressentis de soldats pendant la guerre, flashback pour ponctuer l'histoire.
L'enquête avance tout doucement au départ, pour un suspens jusqu'aux derniers chapitres. Et franchement j'ai aimé recouper les éléments dévoilés tout au long de ce roman et j'ai été surprise.
Quelques bémols toutefois : des longueurs, rythme parfois lent et le lecteur peut être perdu avec tous les personnages. De plus, les pages sont très denses, ce qui rend la lecture parfois plus lente.
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