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Critiques de Louis Huart (9)
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Physiologie de l'étudiant

Quoi de plus commun que le provincial débutant ses études à Paris, s’extasiant de l’effervescence de la ville et se méfiant d’avance d’à peu près tout : « ses parents et les amis lui ont bien recommandé de se méfier des voleurs, des omnibus, des cabriolets, des agents de police, des amis, des émeutes, des vins frelatés, des marchands à prix fixe, des chiens enragés et des femmes ! »



Ayant peu pour vivre, l’étudiant se contentera d’un sixième étage mansardé mais sera fort préoccupé à l’idée de se confondre au plus vite au jeune dandy parisien, motivé par la frustration générée par quelques regards féminins : « ces habitantes du pays latin lancent au jeune homme un coup d’oeil accompagné d’un sourire main qui veut dire : « tu n’es pas mal, mais tu sors de ton pays ! »



La nourriture est la principale source d’économie de l’étudiant qui pourtant se rend systématiquement dans un des nombreux restaurants de misères et de débrouilles du quartier Latin (il était rare de manger chez soi, plus rare encore de se confectionner soi-même un plat). On y mange même de la viande pour peu cher, les robustes mâchoires de l’étudiant broient vigoureusement toute sorte de bifteck dur, du « caoutchouc », souvent déguisé et vendu comme du veau par l’ingénieux restaurateur.



Aucune restriction de dépenses par contre pour la vingtaine de cigares fumés quotidiennement. Progressivement, de façon graduelle comme les études, il commence par des cigarettes à feuilles de rose, puis se risque au cigare pour parfois même s’engouffrer dans une pipe qu’il ne lâche pas de la journée.



Il a toutes sortes de moyens extraordinaires qui lui viennent en aide de temps en temps au malheureux qui en est réduit au petit pain sec. S’il lui faut 30 FRS pour son tailleur, il demandera un crédit à son banquier ou se rendra au Mont-de-Piété et quand ce moyen ne peut se renouveler, il quémandera des sous à son père, lui inspirant la pitié par quelques bonnes farces comme : le besoin d’acheter une nouvelle édition du Code civil ou encore d’ouvrir une souscription pour offrir à son professeur chéri, vénérable vieillard partant à la retraite, un cadeau à la hauteur de son mérite…



En matière de conquêtes féminines, l’étudiant expérimente d’abord les grisettes, les petites filles laborieuses, puis il : « éprouve le besoin de se lancer dans une sphère plus élégante, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit plus vertueuse ». Il cueillera son élégance dans les milieux raffinés du théâtre ou de l’opéra : « s’élève jusqu’à la hauteur des premières danseuses du théâtre du Panthéon et des premières dames du théâtre du Luxembourg » et osera, en amassant toute sa confiance en fin d’études : « aspirer à la femme mariée légitimement ».



Dès l’instant où il est diplômé et non encore marié, il culmine à son apogée : « Une fois qu’il est ainsi passé maître dans la séduction, l’étudiant ne regarde les faibles femmes que comme des êtres crées et mis au monde pour son agrément spécial, et il se divertit même de leurs scènes de fureur quand deux rivales viennent à se rencontrer dans le même logement du garçon »



Tout ce batifolage d’amourettes rend son portier agressif et suspicieux à son égard : c’est que, dans tous les immeubles et hôtels du quartier latin, on ordonne de ne pas recevoir de visites féminines passé minuit : « Les propriétaires ont la monomanie de prétendre que leur immeuble n’abrite que la vertu la plus pure, de minuit à 7 H Du matin - et toute femme est impitoyablement consignée pendant ce laps »



Cet indolent jouisseur irrite aussi les nerfs du sergent de ville qui, s’il danse le cancan et chante la marseillaise d’un ton trop cavalier, est arrêté avec tous moyens brutaux possibles en cas de résistance. Il n’y a pas ici d’exagération par Louis Huart, un article du Charivari (21 juillet 1839) faisait aussi mention d’un fait divers du même genre : « à présent la Marseillaise est devenu un délit punissable (…) l’un d’eux, autant par désoeuvrement que par plaisanterie, demanda la Marseillaise, à l’imitation du parterre des théâtres du boulevard du Temple, dans les longs entr’actes. Plusieurs voix répondirent à l’appel et le choeur fut à peu près général. Grand scandale ! Un garde alla prévenir le commissaire de police, qui menaça d’envoyer quérir la force armée si le chant séditieux se renouvelait. La menace déjà était ridicule, mais on n’en resta pas là : un rapport fut fait (…) qui, après 8 jours de réflexion et à la suite d’une grave délibération, condamna six des délinquants qui avaient crié plus fort que les autres à 25 FRS d’amende chacun, avec menace de leur interdire les abords (…) en cas de récidive. »

Autre article aussi (13 octobre 1840) : « un commissaire est intervenu et a bredouillé que la Marseillaise ne pouvait être chantée »

Et d’un autre journal, le Constitutionnel (23 octobre 1840) : « hier au soir (…) un certain de nombre de jeunes gens (…) s’étaient arrêtés sur la place du carrefour de l’Odéon, chantant la Marseillaise et proférant des cris séditieux. Un maréchal-des-logis de la garde municipale, ayant voulu les engager à se disperser, a été violemment assailli (…) »



Bien d’autres sujets sont abordés par l’auteur mais manquent un peu de consistance. Il est moins sarcastique qu’à l’habitude, cela tient sûrement au fait qu’il se remémore chaleureusement ses souvenirs de jeunesse, lui qui a été étudiant en droit. Cela reste plein d’humour et d’une franche jovialité.

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Physiologie du flâneur

On dit que Prométhée aurait apporté le feu de la connaissance aux hommes. C'est faux, ce qu'elle a dérobé et apporté, c'est le feu de la flânerie !

C'est par cela seul qu'on se différencie des animaux « l'homme est au-dessus de tous les autres animaux uniquement parce qu'il sait flâner » « Il sait perdre son temps et sa jeunesse par tous les climats et toutes les saisons possibles ».

l'Homme est ainsi défini par l'auteur après avoir moqué toutes les définitions académiques ou littéraires :

"Les uns ont dit que l'homme était une « intelligence servie par des organes » ce qui me semble bien flatteur pour une foule d'épiciers, d'actionnaires et même de Pairs de France.

D'autres ont tout simplement déclaré que l'homme est un animal à deux pieds et sans plumes ; - ce qui nous met sur le pied de la plus parfaite égalité avec un simple coq qui vient d'être plumé par un cruel rôtisseur.

Aussi Platon, pour compléter sa définition de l'homme, aurait dû ajouter que c'est un animal à deux pieds et sans plumes, non destiné à être mis à la broche ; - et encore, les sauvages de la mer du Sud donneraient-ils un démenti à cette opinion philosophique et gastronomique. »



Quoique généralement mal perçu, flâner est un art noble et distingué.

Le flâneur est un actif, non seulement au sens physique du terme, car on ne flâne jamais chez soi mais toujours dehors, ce qui suppose de bonnes jambes, et tout aussi actif sur le plan spirituel : le flâneur se concentre tant sur des choses anodines qu'extraordinaires en se laissant porter par le hasard.

En marge des spectacles de rues, boutiques, restaurants, le flâneur se contente aussi avec peu et préfère même l'insignifiant au feu d'artifices, peut contempler des affiches publicitaires, de simples caricatures dans les journaux ou les motifs d'une étoffe des heures entières :

« Il contemple l'aspect général du dessin, l'effet de la couleur, le mariage des tons qui composent l'ensemble - il voit dans le goût une direction nouvelle, ou un retour au goût d'une autre époque ; son esprit abandonne l'étalage du marchand, remonte au producteur, se reporte aux moyens de fabrication, passe en revue les débouchés de la fabrique et suit le manufacturier sur les places de Leipsig, de Londres et de Saint-Pétersbourg ; enfin le même morceau d'étoffe lui présente mille sujets de réflexion, que l'autre spectateur n'avait pas même soupçonnés, et lui fournit l'occasion d'un long voyage dans le monde imaginaire, le monde brillant, le meilleur et surtout le plus beau des mondes possibles »



Il produit et imagine avec rien, contemple à peu près tout avec émerveillement comme un poète en étant grandement observateur.

« Le véritable flâneur ne s'ennuie jamais, il se suffit à lui-même et trouve dans tout ce qu'il rencontre un aliment à son intelligence »



Ce qui le distingue de ceux qui n'ont qu'une attention purement passive, lourde par abrutissement : il s'agit du « musard ». Il assiste, absorbé, ahuri, à un combat de chiens pour un os et « si ce combat se prolonge pendant 30 minutes, il restera là pendant 30 minutes, non pas que ça l'intéresse vivement ou que ça l'amuse beaucoup, mais comme le musard se trouve là, il y reste ».

« Si par hasard le musard assise au drame palpitant d'un serin que l'on cherche à faire rentrer dans sa cage, il en a pour toute son après-midi. le musard ne rentre dans son logement qu'après que le serin lui en a donné l'exemple. »



Ou le distingue encore du « babaud étranger » le passant, le touriste, qui n'agit et ne raisonne qu'avec de multiples cartes et guides à la main et se rue sur les monuments comme une course pour gagner la satisfaction d'une journée non perdue.



Le gamin de Paris est la catégorie se rapprochant le plus d'un flâneur. Ce sont ces enfants sans instruction, sans tenue, sans argent ni parents et qui vaguent dans les rues la journée entière. Oubliez les larmoyantes descriptions d'Hugo ou d'Eugène Sue sur ces pauvres enfants misérables, l'auteur voit le côté poétique et flâneur de ces gamins sans un sou « Les accidents, les exécutions, les émeutes, les fêtes publiques, nationales, royales ou n'importe quoi, sont encore ses points de réunion : il grimpe aux mats de cocagne, sur les arbres, sur les voitures, sur les colonnes de réverbères ; il grimpe partout, se fourre partout, voit tout, et, comme nous le disions, il aime tellement les spectacles de quelque genre qu'ils soient, que, pour jouir de cette vie, il oublierait tout dans ces jours mémorables, tout, peut-être même la galette et le raisiné »



Le flâneur est même vertueux, assuré d'avance qu'il ne nuira à personne. Jamais un bandit, filou ou autre escroc ne flâne « Comment voulez-vous qu'un homme qui vient de commettre un crime et qui en médite un nouveau passe une heure délicieuse à regarder les jeux innocents des enfants aux Tuileries, puis, de là, passe soixante autres minutes non moins délicieuses et encore plus innocentes, à regarder les ébats des petits poissons rouges du bassin des Tuileries. C'est impossible. »



De la « Gaieté dans l'occasion, de la réflexion au besoin, de l'observation toujours, quelque peu d'originalité, un esprit mobile, plus ou moins d'instruction, une conscience qui le laisse en repos. »

Telles sont les qualités du flâneur, qui, on l'aura compris, déteste au plus haut point toute programmation, tout esprit de contrôle, de direction « Le vrai flâneur va dans un sens jusqu'à ce qu'une voiture qui passe devant lui, un embarras quelconque, un étalage qui fait le coin d'une rue, une poussée, un coup de coude lui imprime une autre direction. D'accident en accident, de poussée en poussée, il va, vient, revient et se retrouve de près ou loin de chez lui, suivant la volonté du hasard ».



Tant de liberté, d'aléas et d'imprévus en cet état esprit … ! L'auteur est lui-même un flâneur revendiqué et convaincu. Il nous communique l'engouement de la flânerie tout en raillant les petits malheurs que peuvent traverser le flâneur, se moque encore de tous les faux flâneurs qui se présentent comme tels.

Le tout forme une « physiologie » satirique et spirituelle.
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Physiologie de la grisette

Quoiqu'en dise le dictionnaire de l'Académie que l'auteur réfute, la grisette n'est pas une femme de médiocre condition.

C'est un « trésor » comme l'ont dit certains poètes.

Plus prosaïquement, il s'agit d'une jeune fille de 16 à 30 ans qui travaille, coud ou brode, et s'amuse le dimanche.




On met tant de soins à la dénigrer, tant de médisance et de plaisirs faciles à démolir cette jeune fille innocente, elle qui n'a pour seule fortune dans sa mansarde qui domine les toits des environs : « un lit de sangle, un matelas, une chaise, un verre et un pot à eau composant son ameublement ; c'est tout au plus si la chambre est assez vaste pour contenir tous ces objets » ; elle qui préfère trois oranges et une portion de marrons à de flatteuses camélias ; elle qui n'a pas même un parapluie et qui accepte de bonne grâce qu'un jeune homme s'empresse de lui partager le sien, non sans quelques séductions qui s'en suivent...



Mais elles sont jeunes, belles, rieuses, rafraîchissantes, et il n'est pas rare qu'un amant achalandé vienne les extirper de leur labeur pour un doux rêve galant. Aussi, il arrive qu'elles empiètent sur le terrain des grandes dames, lesquelles crient à la vertu outragée avec une parfaite hypocrisie : « Les belles dames qui crient le plus au scandale et à l'immoralité quand elles voient une grisette se permette d'avoir un amant, jouent absolument le rôle de ces floueurs qui, lorsqu'ils ont fait disparaître une bourse dans la foule, sont les premiers à crier bien fort : au voleur ! »



Elles aussi aimeraient bien être mariées comme ces grandes dames pour afficher une officielle vertu de façade, mais que voulez-vous, on ne propose rien ou très rarement à une fille sans dot ! : « La plus belle fille du monde n'accepte que ce qu'on lui offre ; et comme généralement on ne lui offre qu'un simple coeur sans autres accessoires, il faut bien qu'elle s'en contente. — A défaut de mari, elle accepte donc un amant ; et les grandes dames, qui ont de tout en abondance, leur reprochent encore ce strict nécessaire. »



La grisette est même généralement plus fidèle que les autres femmes pourvu que son amant reste jeune, il n'y a que de grands cadeaux corrupteurs de prince russe qui puissent la détourner.




Elles sont naturelles et légères en tout, substituent au traditionnel « s'il vous plaît » un léger sourire à leur portier, se créant ainsi un ennemi sans le savoir : c'est que le portier, hautement susceptible, ne manquera pas de juger la conduite de l'imprudente grisette, qui ne montre pas autant que d'autres, toute l'habituelle diplomatie hypocrite qu'on lui doit en hommage, le réconfortant d'un sentiment d'infériorité.



Les romans de vertu leurs paraissent « invraisemblable » ; elles n'entendent la littérature que sous un point de vue amusant, d'histoires faites d'amourettes et de gaudrioles.

Les moindres notions de politique : république ou monarchie, droits de l'homme, leurs sont totalement éloignées, ont-elles le temps de s'occuper de ces futilités ? Soudoyez les par des manifestations où l'on offre du cidre, où l'on porte des toasts ! Elles viendront pour sûr, amenez les ensuite à une soirée où vous boirez successivement coupe par coupe à la santé du roi, d'un républicain, d'un sultan ou d'un pacha d'Egypte, elle boira encore dans la joie !



Au lieu d'un bal grandiloquent et pompeux, la grisette improvise une réception en sa mansarde sans se soucier des chaises, des tables, tout le monde y est debout, quelques chansons et petits jeux suffisent à l'allégresse d'une soirée folâtre.



Son dimanche est majoritairement composé de danse, plus particulièrement le cancan : « et cela se conçoit parfaitement ; car lorsqu'une jeune fille est restée pendant six jours de la semaine, et pendant 12H de chacun de ces jours, placée sur son séant occupée à tirer perpétuellement une aiguille, sans avoir d'autres distractions que de l'enfiler, vous conviendrez que cette jeune fille peut éprouver le besoin de ramener la circulation du sang dans ses jambes » Elles ont le goût du spectacle, la joie dans le sang et dansent en plein air au son de quelques violons, clarinettes et grosses caisses.



Et de toute cette humble vie qui porte un modèle sans le vouloir, certains s'efforcent à rechercher la vérité, la sagesse et la vertu dans les grands ouvrages philosophiques ! Que l'on s'égare ! :

« Une foule de grands hommes, nés à Rome ou à Athènes, ont écrit de magnifiques traités pour prouver que nous devons supporter les coups du sort sans manifester la moindre émotion, et recevoir sur la tête toute espèce de tuyau de poêle sans seulement crier aïe ! » Mais… « Ces mêmes grands philosophes se lamentaient comme de beaux diables s'ils étaient d'aventure piqués par un moustique - et sollicitaient une pension de l'empereur en récompense des belles choses qu'ils avaient écrites dans leur traité touchant le mépris des richesses. »

« La moindre grisette enfonce totalement, sous le rapport de la philosophie pratique, tous les personnages célèbres de l'antiquité qui se sont vu élever des statues en cet honneur »



L'auteur plaisante et soutient qu'elle ne connaît pas même le mot demain tellement elle vit bien l'instant présent : « Demain est un mot qui n'existe pas pour la grisette ; et si vous lui soutenez que ce mot est pourtant français, et qu'il se trouve dans le dictionnaire de l'Académie, elle vous rira au nez, attendu que le Dictionnaire de l'Académie n'existe guère davantage pour la grisette. »



Elle ne se souciera pas tôt le matin d'anticiper le repas du soir en comptant ses économies. Si elle n'a pas assez, elle empruntera, ou dînera chez son amie et si même son amie n'a rien : « elles se mettent à rire conjointement, à gorge tellement déployée qu'elles ne songent plus à leur appétit » (…) et bien d'autres exemples encore (…) : « Mais de quoi ne rit-elle pas - l'heureuse jeune fille ! »



Jeune fleur temporaire, la grisette vieillit mal le plus souvent, elle ne murît pas dans toute sa splendeur passée 30 ans, ne pourrait recevoir toutes les gracieuses éloges qu'a pu en faire Balzac à ce sujet. Elle peut muer en bourgeoise, femme mariée, boutiquière, et s'établit trop durement dans les basses choses matérielles de la vie pour en conserver son innocence primaire.



Mais qu'importe : « Chaque année une nouvelle génération de grisettes fraîches et rieuses vient remplacer la génération ancienne » ; « La grisette est morte, vive la grisette ! »



Touchante physiologie ! Pleine de gaieté dans le sarcasme, et pleine de bons mots d'esprit avec le talentueux Louis Huart.
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Mémoires de Rigolboche

Mélangez le mot « rigolo » et le suffixe « boche » désignant un plaisantin et vous obtenez « Rigolboche » le surnom farfelu d'une notoriété publique d'une jeunette d'à peine 18 ans, et qui dès 1860 était l'une des femmes les plus connues du tout Paris bohémien. Elle était ce qui se faisait de mieux dans cette folle danse qu'est le Cancan.

Et c'est également en 1860 que sort ses mémoires ? Mais pour qui elle se prend du haut de ses 18 Ans ? Comme si elle avait déjà tant vécu… Les mémoires de Rigolboche sont sortis de façon anonyme et certains ont réellement cru que cela venait d'elle. Il y a derrière Louis Huart et Ernest Blum, deux auteurs farceurs et rigolos, des Rigol-plumes à l'esprit satirique… Les deux auteurs vont bien s'amuser car la Rigolboche divise les parisiens, regardez ce qu'on a bien pu dire d'elle avant même la sortie de ses faux mémoires :



Journal le Charivari - 14 mars 1860 - Titre intitulé « Le Rigolbochisme » :

« Dans ces derniers temps les parisiens ont été scandalisés de la célébrité de Rigolboche, leur indignation a atteint les frises du paroxysme quand ils ont vu des écrivains réputés sérieux vanter ses pas extravagants et son coup de pied pharamineux. 
Ces indignés n'ont pas voulu vouloir voir là ce qu'il y avait réellement, c'est à dire plus qu'un scandale, une personnification.

En effet, le Rigolbochisme représente assez bien les idées de cette époque, Rigolboche, transformée en déesse à ses apôtres et ses fervents.

Ceux qui ont mis sur sa tête l'auréole de la renommée ont simplement individualisé l'esprit du jour.

Qu'est ce qui ne lève pas un peu la jambe aujourd'hui ? (…)

Des gens dont la seule ambition est d'éveiller un peu de bruits autour de leurs noms. Aujourd'hui plus que jamais... C'est à celui qui lèvera le plus haut la jambe, qui frappera le plus fort sur la grosse caisse (...)

Levez la jambe, en vérité, je vous le dis, c'est avec le pied maintenant qu'on atteint la fortune »



Le Charivari et autres journaux seront terriblement nargués, le ton du livre est d'une impertinence exquise :



« Oh Rigolboche qui publie ses mémoires !

Eh bien oui ma chère - est-ce que cela te gêne ? N'ai-je pas autant ce droit que Monsieur Chose ou que Mademoiselle Machin ? (…)

Ils se sont amusés à me rendre célèbre tant pis pour eux, je suis leur égale maintenant. (…)

Je veux devenir une femme littéraire, j'ai envie d'être de l'Académie (…) j'apprendrai à danser au père Lacordaire (moraliste chrétien), gratis »



Tant d'impertinences dès le départ ! Ces quelques pages suffisent déjà à l'extermination publique sans procès d'une bonne partie des journaux, alors imaginez un journal catholique… Tenez, voici une réaction :



« Ce temps est lamentable. Des publications ordurières circulent impunément parmi le peuple et violent le foyer domestique, tels les mémoires de Rigolboche. Les honnêtes femmes pourraient acheter ce livre, sur le titre ; il faut qu'elles sachent que Rigolboche est une sauteuse célèbre dans le monde de la débauche ; un libraire, faisant argent de tout, s'est complu à publier ces pages ignobles. » du journal « le Drapeau catholique » en 1860.



L'insouciance et la raillerie règnent tout le long du livre jusqu'à se moquer des autres mémoires avec une certaine auto-dérision « Est-ce que cela va bien vous amuser que je vous raconte ma vie ? Ce serait intéressant si j'imitais une foule d'amies à moi qui ont inventé sur elles un tas d'histoires pleurnichardes pour s'excuser de leur mauvaise conduite »



Vous voulez la connaître ? Mais pourquoi dont ? « Les hommes ont une manie bien désagréable, ils sont curieux. Comment vous-êtes-vous perdue ? Demandent-ils tous.

Qu'est-ce que cela leur fait ? … On se perd quand on ne gagne pas assez, voilà tout »

Elle va tout de même nous raconter une anecdote de jeunesse, ce qui l'a fait quitter le sentier de la vertu, mais ce qu'elle aime par dessus tout, c'est piailler et caqueter sur les autres et de nous partager l'obscurité des coulisses de tous ces théâtres comiques.



Une de ses rivales est démolie, elle est de celles qui veulent s'appuyer sur une éphémère gloire afin de s'émanciper au plus vite de leur statut de lorette et qui sont enchantées d'être confondues avec les femmes du monde. Ce masque ridicule est sans cesse trahi par un langage commun qui fait rire son entourage. Elle a cependant la présence d'esprit de faire écrire ses lettres par sa maîtresse de piano, ce qui lui vaut une étonnante admiration de ses amants dupés qui ne s'attendent pas à tant d'esprit.



Mais d'où vient cette rage du cancan qui dévore notre Rigolboche ? En dehors de l'argent, la soif de liberté tout simplement ! « se conduire mal pour respirer » et de choses toutes bêtes aussi « bien des filles ont quitté le toit paternel pour abandonner le corset. Et cela se comprend, le corset est une prison »



Méfiez-vous de la naïveté et de la gaieté de ces lorettes folâtres qui dansent et des courtisanes de théâtre comique, voyez dont avec quel professionnalisme elles vous dérobent votre argent. L'une d'elles entre au théâtre munie d'un châle des Indes en cachemire. Elle scrute le moindre homme galant et lui demande de bien vouloir déposer son écharpe au vestiaire. Quelques heures plus tard, un drame survient, la lorette crie bien haut et fort en bonne actrice « Oh mais ce n'est point du cachemire ! » Dit-elle quand l'homme lui rapporte l'écharpe. C'est que l'écharpe avait été subtilement remplacée entre temps par une écharpe banale de même couleur par une complice. La lorette accuse le coup à l'innocent galant, qui, pris au piège des regards soupçonneux de la foule, accepte sans compromis une indemnisation.

Tout aussi fourbe… Vous êtes invité chez une lorette, vous attendez dans le salon que Madame finisse sa toilette quand vous remarquez une lettre entr'ouverte et visible sur le coin de la cheminée. Piqué de curiosité, vous ne pouvez résister à lire la lettre, sait-on jamais, un rival caché ? Eh non… Il s'agit d'une lettre larmoyante de la mère suppliant sa fille de lui donner de l'argent dans les plus brefs délais, tout en reconnaissant que sa fille est elle-même dans la misère… La lorette revient au salon sans faire le moindre bruit, surprend en flagrant délit d'indiscrétion le jeune homme, qui, en dédommagement lâche quelques billets…



Quel talent dans la persuasion, la domination et quelle confiance voit-on également chez certaines lorettes qui, lorsqu'elles ne montent pas sur scène, échangent régulièrement avec le public, rarement de façon désintéressé bien sûr :



Eh Alice ! (Dit un habitué) M. C (un nouveau) voudrait te voir »

« Il est vilain ton ami, Monsieur ne vient pas souvent »

« c'est la première fois… » (visiblement très gêné et intimidé)

« Payes-tu quelque chose ? »

« Au plaisir, c'est me faire beaucoup d'honneur, certainement car… »

« As-tu fini tes manières ?! » (…)

Ou encore, à quelques questions posées sur sa vie privée « Monsieur est juge d'instruction ? »

Remarquable familiarité charmante de ces lorettes ! Extraordinaire… Mieux que ça, c'est une forme d'arrogance et de vengeance sur les petits bourgeois maladroits et réservés, Oh quelle exaltation à les piétiner sans résistance !



Le repaire par excellence des lorettes et de Rigolboche est le théâtre des Délassements Comiques. Les actrices et danseuses y sont tellement sollicitées qu'il existe un facteur entre le public et les dames qui passe chaque soir, pour une moyenne de 60 à 90 courriers ! Tous identiques, tous demandent une faveur, une invitation à souper et gare aux poètes ou aux âmes sensibles sans fortune, ne perdez pas le peu d'argent que vous avez car chaque lettre s'accompagne d'une gratification pour ces dames. Pas la moindre chance qu'elle daigne accorder de l'attention à votre lettre si la somme n'est pas suffisante :

« Mademoiselle, voici une lettre, dit-il ; je n'ai reçu que vingt sous pour la course »

« A vingt sous pour la course, on ne lit pas la lettre »

Parfois reconnaissante, le correspondant à l'honneur de recevoir une réponse : une promesse de se voir à la sortie du théâtre. Si seulement elle tenait sa promesse… Elle préférera plus souvent s'échapper discrètement avec son amant, se déguisant en homme à l'aide des nombreux costumes du théâtre, peu importe que les galants hommes aient pu l'attendre 3-4 heures à la sortie.



La reine de tout ce monde est Rigolboche, pourtant discrète dans ses mémoires. C'est qu'à côté des autres actrices et danseuses elle semble bien sage… Elle se trémousse si bien avec ses jambes, elle rapporte tant là où elle se produit, qu'elle ne ressent pas le besoin de gagner davantage en soutirant ci et là les économies de son public bohème.



Tout est conté avec une insouciance et une légèreté sans égale et un aplomb incroyable dans la manière d'affirmer les choses.
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Physiologie du journaliste

L'engouement pour le journalisme était très fort au 19ème, on espérait une renommée, une gloire politique, on concevait même le journal comme une industrie facile et rentable, du moins on le supposait… C'est une bien aimable anarchie des médias qui nous est détaillée par Louis Huart.



Toute la difficulté, particulièrement pour les journaux essentiellement politiques, consistait à rédiger beaucoup avec peu, ce qui se traduisait souvent par une foule d'emphases obscures.

Le « Premier-Paris » désigne, en jargon journalistique de l'époque, l'oeuvre capitale de la presse périodique, c'est à dire un premier article de longue et lourde dissertation sur la politique générale.

Fabuler, supposer, imaginer était le secours indispensable à l'absence d'actualités, à titre d'exemple de « Premier-Paris » :

« La france gardera-t-elle Alger ?»(Question principale suivie d'un article de fond) est demandé au ministère lequel répond par l'affirmative dans un communiqué délivré le jour-même. le lendemain, le journaliste renchérit inutilement « Qui nous prouve que la France veut garder Alger ? » Cette fois, le ministère ne répond rien, parce que la question lui semble oiseuse. le surlendemain, le même journal conclut qu'il y a, dans ce silence, une intention cachée, une suspicion à avoir et incriminera donc de façon théâtrale le gouvernement : « Nous vous sommons de répondre. Ne pas répondre, c'est avouer votre trahison. La France est évidemment prise pour dupe ! On ne veut pas garder Alger ! »

Voilà comme est dupé un lecteur par un feuilleton politique basée sur des suppositions sans fondements.



Voulant paraître savant à tout propos, le journaliste parsème ses articles de références codées. Il affectionne particulièrement s'exprimer par dates : « M. Thiers ou M. Guizot, il ne manque pas de vous parler du 15 avril qui marche sur les errements du 27 février, d'où le Tartineur politique conclut qu'on aurait aussi bien fait de s'en tenir au 19 mars qui lui-même était une continuation du 30 octobre » chaque date correspondant à un changement de ministère que le lecteur est censé mémoriser de façon infaillible.

Tant qu'à faire… Autant aller plus loin dans les énigmes et imiter : « Nostradamus et le Double Liégeois en fourrant aussi dans ses phrases un peu de Sagittaire, de Gémeaux, de Capricorne et autres signes du Zodiaque. »


Les réelles actualités étant rares et précieuses, la moindre affaire diplomatique est traitée, analysée, épuisée jusqu'au plus infime détail par le journaliste, et si le lecteur non assidu, se plonge hasardement en plein milieu d'une affaire, il n'y comprendra rien, faute d'avoir lu les articles précédents.



Il y a donc beaucoup d'analogies entre le roman et le journal politique, qui d'ailleurs, a aussi son flot de métaphores en tout genre : « on sait qu'il se recommande aussi par une foule de phrases magnifiques et d'un usage journalier, telles que « l'horizon se couvre de nuages, — le vaisseau de l'état »… Et comme la variété est une chose fort agréable, deux lignes plus loin le vaisseau de l'Etat se transforme en un char orné de son timon, et par conséquent le nautonier devient un cocher, — l'horizon couvert de nuages devient un volcan, et la tempête politique nous amène l'hydre de l'anarchie ! »



Si on ne pouvait pas entièrement contourner la censure, on pouvait, du moins en atténuer les effets. Aussi certains journaux d'opposition engageaient un « gérant responsable » homme de paille dont l'unique métier consistait à signer les articles d'un journal qu'on lui adressait chaque matin en apposant son nom.

En contrepartie d'un modeste salaire, il s'exposait en toute vulnérabilité aux créanciers du journal, à toute homme furieux blessé d'une injure, mais surtout, était susceptible d'aller en prison au nom et pour le compte des journalistes qui restaient anonymes.



Malgré la terrible loi de septembre 1835 restreignant très fortement la liberté de la presse, de nouveaux journaux pullulaient fréquemment grâce à la confiance aveugle d'investisseurs et petits porteurs. de malins floueurs puisaient ainsi les mains pleines dans les fonds récoltés afin de flâner à leur gré quelques mois dans la capitale. Certains filous allaient jusqu'à créer un journal factice dans l'unique but de soustraire des loges gratuites dans quelques théâtres… Quand il sortait parfois réellement un ou plusieurs numéros, le journal était alors inondé de publicités de toute part, les rares articles étaient consacrés à vociférer sur les théâtres n'ayant pas octroyé de places gratuites au gérant, à louanger les commerces qui ont versé une faible rémunération en contrepartie d'un article flatteur et à calomnier celles qui ont refusé de collaborer avec le journal crapuleux.



L'honnête journal « petit format » est réduit à parler mode, cuisine ou roman-feuilleton mais n'a que très rarement le privilège d'évoquer, même implicitement la politique. Un cautionnement de 100.000 Francs était pour cela requis, servant à garantir d'éventuelles dérives du journal qui serait trop farouchement opposé à la monarchie, ce qui était diablement dissuasif.



C'est donc tout un exploit que la rédaction d'un journal quotidien sans aucune allusion politique : « Il faut sérieusement se gratter le front pour trouver aujourd'hui un sujet d'article non politique, et qui réunisse les simples qualités d'être inédit, spirituel, de bon goût, très court et très inoffensif » (…) « Pour attraper ce petit article l'imagination de l'auteur se met en chasse et court les plaines et les bois, les monts et les vaux. le lion, la panthère, le rhinocéros, le moineau-franc, tout gibier qui lui est bon pourvu qu'il fournisse une centaine de lignes. Pour pêcher les cent lignes demandées, mon homme plongera, s'il le faut, dans le fond des mers et ira chercher des poissons comme on n'en voit guère, des serpents comme on en voit peu, des tortues comme on n'en voit pas ».

La mode féminine était un bon sujet commercial tant il était facile de produire bon nombre d'articles à ce sujet, il y avait d'ailleurs déjà des journaux exclusivement féminins à l'époque. Pour ce faire, les journalistes se travestissaient en femme, signant du nom de « Comtesse de, baronne de… ». Les femmes de lettres refusaient et dédaignaient la rédaction d'articles de modes, préférant publier des romans-feuilleton.



Les plus populaires des articles, dépassant même le roman-feuilleton selon l'auteur, sont les faits divers des crimes et délits. le « rédacteur criminel » passe sa journée entière à récolter cet « or en barre ». En matière criminelle, le plus palpitant est un fils assassinant son père et en ce qui concerne les délits, le plus excitant est un humiliant procès en adultère.

Si la météo criminelle n'est pas bonne, le « rédacteur criminel » déploiera toute sa verve de romancier pour transformer le banal en un fait extraordinairement saisissant : « La moindre querelle entre deux portières lui suffit pour inventer un dialogue (…) il transforme les noms vulgaires des personnages en d'autres noms beaucoup plus burlesques. »



Ces journaux fascinent tant qu'une foule entière attend aux portes des tribunaux en vue d'assister aux procès, non sans quelques déceptions : « Aussi les amateurs qui, sur la foi des comptes-rendus des journaux, vont faire queue pendant deux heures pour parvenir à assister à une audience de la police correctionnelle, sont grandement désappointés lorsqu'ils n'entendent pas à l'audience un feu roulant de reparties spirituelles, de mots baroques et de dépositions drolatiques. Tout cela n'existe que dans le cerveau des journalistes, qu'on a eu soin de choisir parmi les plus spirituels de Paris.»



Curiosité journalistique du siècle, le sténographe, censé recopier machinalement les discours des députés, peaufine et agrémente chaque élocution, ce qui était très utile aux orateurs confus, maladroits ou abscons :

"Ce n'est pas tout que de suivre ces orateurs, il faut encore les comprendre ; or, souvent ils ne comprennent pas eux-mêmes. Heureusement que le Sténographe corrige ces discours tant bien que mal, fait disparaître les tournures de phrases germaniques, les participes déplacés, les liaisons hasardées et autres vétilles grammaticales."

Il n'échappe pas, comme ses confères, à l'irrésistible envie de tout théâtraliser :

« Le Sténographe gouvernemental a toujours soin d'émailler les discours des députés dévots d'une foule de parenthèses qui produisent de l'effet sur les personnes qui n'assistent pas à la séance. Exemple : « l'honorable Coquillard monte à la tribune : — Messieurs (vif mouvement d'attention), je ne répondrai pas aux attaques de l'honorable préopinant (marques nombreuses d'assentiment) néanmoins je dois déclarer que mon opinion relativement à l'Angleterre (écoutez, écoutez !) est invariable, et par conséquent ne variera jamais (bravos prolongés) » 



Physiologie assez précise sur ce drôle de journalisme détaillée avec l'habituelle légèreté de Louis Huart.
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Physiologie du tailleur

Futile et superficiel tailleur… Mérite-t-il, ce banal commerçant, qu'on lui consacre une physiologie entière ? Bien évidemment ! Et cela, pour l'honorer dignement, non pour l'humilier comme l'avait fait l'auteur avec ce charlatan de médecin ! « Je le déclare à haute et intelligible voix par l'organe de ma plume, la profession de tailleur est la plus morale, la plus noble, la plus poétique et la plus philanthropique de toutes les professions ».



Une glorification tout à fait justifiée :

Morale : "car était-il rien de plus immorale que le vêtement porté par l'homme avant l'invention du pantalon ! Et, à moins d'être Ecossais, un individu se respectant un peu oserait-il se présenter dans une société quelconque sans cet accessoire aussi chaud que pudique ?!"



Noble : les bourgeois ayant tout fait pour s'anoblir, se sont tout naturellement confondus aux nobles, notamment grâce à un mimétisme vestimentaire, ce qui devait déboucher par suite à l'abolition des privilèges.



Poétique : "Grâce au tailleur, presque tous les mortels deviennent des Antinoüs" (nom latin de l'empereur romain Hadrien, qui était, dit-on « angéliquement beau »)



Philanthropique : il mériterait d'être canonisé : l'évêque de Saint-Martin l'a été pour avoir donné la moitié de son manteau à un enfant grelotant en plein hiver... Eh bien... S'il fallait compter le nombre de fois où le tailleur donne, ou plutôt se fait voler, des habits complets quand il n'est pas payé par ses clients ! ... "à compte là, il n'est pas un tailleur qui ne méritât d'être doublement canonisé"



Si vous vous demandiez pourquoi chaque époque dispose de ses propres talents littéraires si singuliers, si différents d'une époque à une autre, Louis Huart vous apporte la réponse : l'influence du tailleur, de la mode ! Bien évidemment :

« En France quand apparurent tout à la fois Corneille, Molière, Racine, Bossuet et tant d'autres hommes illustres dont le style restera éternellement comme un modèle, Louis XIV donnait aux seigneurs de sa cour des vêtements qui resteront aussi comme un type d'élégance, de richesse et de bon goût.

Tandis que sous le Directoire, lorsqu'on n'eut plus qu'une caricature de gouvernement, on n'eut plus aussi que des caricatures de modes, et aucun ouvrage littéraire de quelques valeur n'a vu le jour à l'époque où brillaient ces ridicules merveilleux. »

Quand nos vêtements sont ridicules, nos oeuvres littéraires le sont tout autant ! C'est là ou se situe le point de repère que nous ignorons tous !



Bien se vêtir selon les usages était surtout une nécessité première pour quiconque ayant des prétentions à Paris. Celui qui négligeait son apparence vestimentaire était délaissé ou méprisé : « Plus d'un pauvre diable n'a pas pu obtenir une place dans un bureau parce que le collet de son habit bâillait d'une manière démesurée. »

Le simple sous-pied (maintenant le pantalon) pouvait être regardé comme un détail de haute importance : « L'article sous-pied doit surtout exciter toute l'attention d'un jeune homme qui tient à faire son chemin dans le monde - plus d'un mariage a été rompu parce que la jeune personne s'est aperçue que le futur qu'on lui destinait ne portait pas de sous-pieds. ».

Aussi, le plus précieux conseil que pouvait donner un bon père à son fils était de choisir avec précaution un bon tailleur !



Pourtant cet honnête et bien utile commerçant souffrait à l'époque d'une réputation désagréable. Les provinciaux en particulier s'imaginaient le tailleur se faisant une fortune rapide et sans efforts compte tenu de leurs prix exorbitants et du nombre ahurissant de tailleurs que comptait Paris : 3.000 tailleurs et 30.000 ouvriers tailleurs pour 800.000 habitants !



La faillite frappait cependant bon nombre d'entre eux. En plus d'une réputation difficile à acquérir, il fallait encore se méfier de ses propres clients. le paiement comptant était rare, il fallait d'abord livrer les vêtements après mesure et confection, puis adresser quelques prières pour espérer un règlement, et plus le client était riche et renommé et moins il était assidu : « un usage reçu depuis longtemps dans la meilleure société exige qu'on ne songe à payer un habit que lorsqu'il est entièrement usé »

Parfois le tailleur prenait son courage et son mémoire à deux mains et demandait quelques acomptes sur une note monstre en s'efforçant de conserver une inaltérable amabilité et une politesse des plus exemplaires : « Il se voit obligé de les supporter en gardant toujours sur les lèvres un éternel sourire, tout comme s'il avait son apprentissage à l'école diplomatique de M. de Talleyrand ».



Faute d'une grande renommée, les tailleurs se spécialisaient à outrance pour se distinguer : l'un ne vend que des gilets, un autre que des pantalons, voire que des robes de chambres… Chacun défendait avec passion la supériorité de sa paroisse, où sa spécialité était la plus indispensable de toute : « Le giletier vous assurera qu'on peut avoir un pantalon vulgaire pourvu que l'on ait 15 ou 18 gilets dans sa commode, attendu que le gilet c'est l'homme ! » (…) « Le pantalonier au contraire vous jurera ses grands dieux que l'habit et le gilet ne signifient absolument rien, et que le pantalon seul est la véritable pierre de touche qui sert à faire reconnaître l'élégant véritable de tous les dandys de contrebande ; ce qui fait qu'on ne saurait payer trop cher un pantalon bien fait »

Le tout avec aplomb et arrogance, pour flatter la prétention et chatouiller l'orgueil du client : « On ne saurait payer trop cher une chemise bien faite, il n'y a plus que la chemise qui serve aujourd'hui a distinguer l'homme comme il faut du manant : « La chemise c'est l'homme » » et si on lui demande : « ah ça ! Elles sont donc bien merveilleuses, vos chemises ? » On obtient le discours le plus vaniteux et présomptueux qui soit : « Si elles sont merveilleuses ?… C'est à dire qu'avant moi on ne se doutait pas de ce que c'était qu'une chemise ! C'était un paletot blanc et voilà tout : on ne peut pas se figurer ce qu'il m'a fallu dispenser de génie et de calicot pour arriver à la coupe de la véritable chemise française… Car je suis le seul inventeur de la spécialité »



Ajoutons qu'en plus de sa spécialité, le tailleur tiendra encore à personnaliser le plus possible la chemise vendue :

« Monsieur désire-t-il une chemise d'été ou une chemise d'hiver ?

Monsieur aime-t-il à être serré dans ses vêtements ?

Lorsque Monsieur se promène avec les dames, donne-t-il le bras droit ou le bras gauche ?

Monsieur éternue-t-il souvent ? »

A chaque question, la note du client est augmentée alors même qu'il s'était aventuré dans la boutique car la devanture affichait des prix fixes… Fixe oui, mais sans compter les nombreux suppléments !



Le 19ème comptait aussi ses propres modes fluctuantes, mais on changeait les accessoires, plus rarement le principal. L'auteur ironise sur ces « prétendues modes nouvelles » pouvant varier en seulement quelques mois : « après six heures de migraines, le tailleurs se décide à découdre les petits boutons pour recoudre les gros - voilà ce que les poètes appellent les caprices de la mode »



Du reste, le brave tailleur n'est pas un personnage bien complexe, ses opinions politiques sont très prévisibles : « du moment où de simples ouvriers ils passent maîtres de maison, ils changent de manière de voir, et tendent à l'aristocratie, attendu qu'ils comprennent parfaitement qu'ils ne vivent que du luxe de certaines classes de la société »



Encore une physiologie pleine de bêtises excessives de Louis Huart qui se moque affectueusement des tailleurs tout en anoblissant la profession.

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Physiologie du garde national

Qu'elle était drôle et divertissante cette ancienne garde nationale de Paris ! Les costumes étaient d'une grande variété par le grand nombre de divisions aujourd'hui obsolètes : grenadier, chasseur, voltigeur, sapeur (pas pompier)…

Un bonnet d'ourson, un tablier blanc et une barbe démesurés caractérisaient le sapeur dont une hache ornait son épaule, soit à l'image de la légion étrangère lors du défilé du 14 juillet sauf qu'au lieu d'un casque blanc, la tête était surmontée d'un immense bonnet d'ourson haut de taille et que cet accoutrement était habituel, quotidien.

Les parades militaires bruyantes étaient nombreuses au cours de l'année, et les gamins de Paris étaient enivrés d'admiration à contempler le tambour-major et autres musiciens.



La garde nationale jouissait d'une réputation fort sympathique, le voltigeur brillait par son jaune poussin ridicule qui provoquait l'hilarité des passants, le grenadier impressionnait par la magnificence de sa tenue, le chasseur intriguait par sa flânerie et son indépendance…



On ne les jugeait pas sur le plan de l'utilité : le caporal faisait des patrouilles aléatoires avec une lourde garde nationale, peu mobile, passant son temps à chansonner, siffler… Si sonore que chaque voleur pouvait se fier à ses oreilles pour anticiper la présence de la garde nationale. Aussi, la garde arrêtait au mieux quelques tapageurs ivrognes lors d'une patrouille, le reste de la journée étant consacré à de la flânerie, quelques blagues ou encore à la surveillance étroite de l'épouse du caporal afin de vérifier si un amant ne s'était pas introduit, durant son absence, au domicile conjugal…



La conscription ou service militaire contribuait aussi à former la garde nationale mais il ne fallait pas espérer de voyages exotiques… Tout au plus, on patrouillait avec ses semblables avec une tenue Ad hoc imposée, de quoi répugner les dandys qui ne daignent se vêtir que de vêtements confectionnés par les grands tailleurs à la mode.



Tous les subterfuges grossiers sont alors utilisés : l'un s'appelle au travers de sa plaque d'immeuble « Madame Grosbois - sage-femme » ; un autre n'habite que des hôtels garnis et déménage tous les quinze jours ou au contraire se cloisonne entièrement dans un sombre appartement en achetant le silence de la portière…
Ils ne s'avouent pas vaincus quand ils sont découverts, ils ont encore de nombreuses ressources : feindre une maladie poitrinaire ou se présenter comme boiteux, portant des béquilles…

Le réfractaire le plus intraitable finit toujours par être mis sous prison pour une journée ou une semaine pour « délit de garde-nationale » ; courte peine qu'il acquitte avec complaisance, bien souvent multi-récidiviste.

Ces réfractaires sont inlassablement chassés par la garde-nationale, et quand l'un d'eux est enrôlé de force, il poursuivra lui-même d'autres réfractaires…Parfois la tête du malheureux réfractaire peut-être mise à prix, c'est dire le zèle qu'on met dans la recherche même si la peine est ridicule, il fallait bien s'occuper !



Louis Huart réhabilite sous l'angle du ridicule et du divertissement la garde-nationale « une foule de gens, mal intentionnés, prétendent qu'elle ne sert à rien ; en tenant ce propos léger, ils oublient qu'elle aura au moins servi, quelquefois à les faire rire » Une physiologie légère et souriante pleine de bonté par Louis Huart.
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Physiologie du médecin

Nous n'aurons jamais assez de gratitude pour ce courageux médecin, ce brave homme si dévoué à sa noble profession, restant sa vie entière cloîtré en son cabinet, dans une modeste et humble obscurité.

Tel n'est pas le cas selon l'auteur pour qui le médecin n'est qu'un méprisable charlatan, aussi cupide que n'importe quel autre commerçant, si ce n'est davantage tant il abuse de la confiance qu'inspire son diplôme pour mieux flouer ses patients. 


Sur le fond, son approche de la médecine ne consiste qu'à :

« Mettre des drogues qu'il ne connaît guère dans un corps qu'il ne connaît pas »



Le reste réside en son caractère, qui doit se composer d'une écrasante arrogance. Cela suffit pour moitié à faire un très bon médecin.

Cette attitude, bien que détestable, réconforte le patient n'ayant que bien souvent une maladie imaginaire : « quand il voit arriver à son chevet un homme qui, après lui avoir tâté le pouls avec beaucoup de sang-froid et lui avoir fait tirer la langue avec un sérieux imperturbable, déclare à haute voix qu'il se charge de le guérir, l'a par ce fait seul, dejà guéri à plus de moitié »

L'humilité de reconnaître ses erreurs ou de douter est donc plus largement un vilain défaut : « L'important chez un médecin est d'avoir toujours l'air bien sûr de son fait »



La préoccupation principale d'un bon médecin est d'entrer en guerre avec ses concurrents, d'arracher par tous moyens inavouables quelques poignées de malades : « Les médecins n'ont des malades qu'autant qu'ils ont beaucoup de réputation, et ils n'ont de réputation qu'autant qu'ils ont eu beaucoup de malades ».

Dès lors, les jeunes et nouveaux médecins sont à l'image des animaux les plus hostiles à l'homme, ils : « hument l'air de tous les côtés pour voir s'ils ne sentent pas la fièvre à droite ou à gauche » ; sans doute même pire que des corbeaux ou des vautours : « Sans compter que le corbeau désire que le malade en finisse promptement avec cette mauvaise plaisanterie qu'on nomme l'existence, tandis que le médecin fait durer le plaisir aussi longtemps que possible et, sans vouloir la mort du pauvre diable, ne lui souhaite pourtant non plus la santé, - il le tient dans un juste milieu fort désagréable »

Cet enthousiasme macabre n'épargne pas même ses proches : « c'est tout d'abord à ses amis et à ses connaissances qu'il souhaite quelques bonnes fluxions de poitrine, quelques excellentes fièvres typhoïdes ».

Que l'on se méfie, si le médecin est anormalement affable, ce n'est jamais sans raison : « Quand ce cannibale vous prend la main et vous sourit avec un air de contentement, c'est qu'il trouve que votre peau est brûlante et couvre quelque légère indisposition qui, avec des soins convenables, se transformera en une maladie qui durera bien deux ou trois petits mois; à deux visites par jour, cela forme un total assez nourrissant. »



Le commercial médecin déploie des moyens grotesques afin de se forger une réputation : il promet parfois des consultations gratuites à un grand nombre de personnes en vue de créer une longue file d'attente en son cabinet ; clame haut et fort qu'il a pour client tel baron ou tel comte, vrai ou faux peu importe ; finance des publicités trompeuses où le médecin est louangé par des témoignages de faux clients…



Mais tout ceci est du charlatanisme modeste et respectable quand on songe à toutes les autres vilaines crapuleries issues spécialités médicales :



L'homéopathe est un génie de la rentabilité en coûts matières des médicaments qu'il prescrit : « Vous prenez un petit paquet de poudre blanche pesant environ un milligramme ; de ce milligramme, vous prenez avec les barbes d'une plume quelques atomes que vous transportez dans une carafe pleine d'eau claire (…) ».

Si on l'interroge quant à la grande onérosité de ses traitements, il répondra tout bonnement « qu'il faut bien que tout le monde vive ! » mais comme le fait remarquer l'auteur « malheureusement, cette phrase ne peut pas s'appliquer à leurs malades ! »

Dès que le client doute de l'efficacité du traitement, il lui reprochera de n'avoir pas saisi toute la délicate subtilité de l'art homéopathique : « si elle n'est pas convenable ce ne sera pas la faute de l'homéopathe, mais cela tiendra uniquement à ce que vous aurez avalé quelques gouttes de trop - ou de moins » un fragile équilibre qui ne souffre pas la moindre inexactitude et qui arrange bien l'homéopathe.



L'hydropathe : plus rentable encore que son prédécesseur, ce dernier ne jure que par l'eau. Cette mode fut inventée par un médecin allemand qui : « transforma l'eau en une panacée universelle, qui devait détrôner à tout jamais la pierre philosophale, l'or potable » (…) « Ce remède suprême, qui existait depuis l'invention du monde et de la colique, est bien simple et à la portée de toutes les fortunes, c'est l'eau - Mon dieu ! Oui, monsieur, l'eau, la pure eau, la simple eau ! »

L'épuration par l'eau ne connait pas de limites, plus on en boit, mieux c'est : « et puis il faut en boire, non pas des cuillerées, non pas des verres, non pas des cruches, mais des sceaux » (…) « on cite actuellement de braves Allemands qui boivent jusqu'à 87 verres d'eau dans leur journée ».



Le médecin et le somnambulisme : si le patient hésite entre consulter un médecin et se rendre au spectacle, il peut tout aussi bien concilier les deux grâce au médecin-somnambule. le charlatan s'accompagne d'un faux somnambule se donnant un air convalescent, lequel est interrogé sur les causes de la maladie : « où est le siège du mal ? » Quelques effets de spectacles, des murmures, un peu de suspens et voici le somnambule indiquant que le mal se situe ou bien à l'estomac ou au coeur puis indique d'une façon tout aussi fantastique les remèdes au patient abasourdi et séduit.



Le médecin philanthrope : le désagrément des autres charlatans est de subir éventuellement le mécontentement de ses patients. le philanthrope au contraire ne reçoit que de la gratitude et de l'admiration de ses patients pour qui il est un véritable héros, un grand fou généreux au service du bien commun. Il s'offensera si l'on insiste pour payer ses consultations, car elles sont entièrement gratuites !… Ce grand philanthrope prescrira par contre systématiquement des médicaments que seul un pharmacien dans tout Paris sait confectionner. Si le patient s'en procure d'un autre pharmacien, il s'écrira qu'il est fou, qu'il court un grand danger en s'égarant de sa recommandation…

Cette unique pharmacien est si talentueux et adroit en son domaine que ses préparations et autres potions sont au mieux 10 fois plus cher que ses concurrents… Et les deux bons amis font leur compte chaque semaine, se partageant les résultats.



Le médecin des dames : celui-ci est honnête, mais il n'est pas médecin. Il sert à appuyer les petites doléances ménagères de certaines dames qui feignent une maladie nerveuse tout en confessant qu'elles rêveraient de porter un cachemire vert, de posséder une élégante calèche, d'acquérir une maison à la campagne, et que ces désirs inassouvis sont refusés par son mari avec une telle frustration qu'elle en est devenue, hélas, profondément malade ! le galant médecin l'écoute d'une grande compassion chaleureuse et conforte l'avis de sa patiente, exhortant ainsi le mari, à la manière d'une ordonnance, à satisfaire souverainement les désirs de Madame, lui faisant à coup sûr recouvrir la santé.



Les plus purs, rares et honnêtes médecins se trouvent dans de misérables positions comme celle du chirurgien militaire : « qui partage tous les ennuis et tous les périls de la profession militaire sans en être dédommagé d'aucune manière » ou du médecin de campagne, qui brave de longue distance, à travers les champs, parfois à travers la pluie, pour venir au chevet d'un paysan cadavéreux, à l'agonie et à ses derniers souffles, car : « les paysans ne vont chercher le médecin que quand le malade est à toute extrémité ; car s'ils aiment leurs grands parents, ils aiment encore plus leurs petits écus »

Comble de l'effort et des sacrifices du courageux médecin : « à la campagne on ne paie jamais le médecin quand le malade vient à mourir » et il subi même une déloyale concurrence : « il n'a pas même la consolation de vivre en paix au milieu des stupides villageois, car il est détesté du berger de la commune qui, lui aussi, a, de père en fils, la science de deviner et de guérir toutes les maladies - pour peu que la scène se passe en Picardie, dans les Pyrénées ou en Bretagne, le berger-médecin, qui à ces deux fonctions, joint l'emploi de sorcier, après avoir regardé dans la paume de la main des malades, leur révèle qu'ils sont sous l'influence d'un sort qui leur a été jeté par le médecin de la commune, et qu'ils ne pourront s'en délivrer qu'en donnant une roulée audit médecin »



Tous les médecins de ville ne sont pas nécessairement charlatans. On trouve notamment des chirurgiens passionnés, mais ils sont souvent si fanatiques du scalpel qu'ils se transforment en grossier boucher. Selon eux, tous les maux se résument en un nerf discordant qu'il faut identifier et couper à telle ou telle partie du corps pour remédier au dysfonctionnement. Si vous boitez d'une jambe il vous sectionnera un ou deux nerfs pour débloquer la paralysie, si vous bégayez il vous flanquera un coup de lancette dans un nerf de la langue…

Outre l'inefficacité probable de cette pratique, la moindre maladresse est catastrophique : « Si l'opérateur, par suite de myopie, d'étourderie ou d'ânerie, et même par suite de ces trois choses réunies, vient à laisser dévier le scalpel seulement d'un millième de ligne, je ne vous cache pas que vous aurez du désagrément »



Les confrères pharmaciens connaissent les mêmes félicités dans le charlatanisme : l'un vous vend des « cigares médicaux » guérissant du « rhume de cerveau » l'autre « des brosses électro-magnétiques dont l'usage enlève subitement les rhumatismes »…
Mais la mine d'or inépuisable se trouve dans les pâtes pectorales : ces petites dragées censées combattre la toux.

Il y a autant de variétés de pâtes pectorales qu'il y a de pharmaciens, autant de recettes, autant de noms, de prospectus propres aux pharmaciens « Pâte pectoral balsamique de Regnaud » « Pâte pectoral de Mou de veau de Degenetais » les publicités sont longues et accablent le lecteur d'une foule de témoignages de professeur agrégé à la faculté de médecine, membre de l'académie royale de Médecine… : « les médecins les plus célèbres ordonnent chaque jour l'usage de la pâte de… comme les remèdes les plus utiles pour combattre efficacement les rhumes, toux… » (exemple véridique tiré au hasard d'un journal d'époque). Des sommes pharamineuses sont dépensées par des pharmaciens industriels pour ces publicités occupant parfois presque la moitié d'une page de journal.

Le rhume est une grande manne céleste bénie par le pharmacien : « et, consultant l'horizon, il se frotte les mains avec joie quand il voit que le vent vient du nord, et que le baromètre dirige son aiguille vers le temps des fluxions de poitrine. » (…) « il n'adresse des prières au ciel, soir et matin, que pour lui insinuer de faire attraper à tous les mortels une foule d'intranspirations, de rhumes et de coqueluches ! »



En ce monde médical dégénéré, il y a encore les charlatans faisant de l'exercice illégal de la médecine. le fait était très peu réprimé à l'époque, une amende insignifiante, 3 jours de prison en cas de récidive. On ne saurait pour si peu, renoncer à exploiter le filon de la médecine sans diplôme. Certains vrais médecins les traitaient pourtant en bons amis, contre-signant à l'aveugle leurs ordonnances non sans quelque gratification…



De tous les exemples précités, il y a qu'une seule et bonne morale à extraire selon l'auteur : « C'est que dans la conduite de tous les charlatans médicaux de l'époque, il n'y a pas la moindre morale ! »

Louis Huart se défoule en cette drôle de physiologie étayée d'un tas d'exemples précis. Il dénigre avec humour et une grande exagération la sphère médicale sans épargner le moindre de ses sujets.
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Messieurs les cosaques

Petits livres dérisoires de petites histoires de dérisions.



Pure lignée de ce Charivari d'un temps où chacun se tourne et détourne des images offertes.



A lire avec curiosité sans modération.
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