Louise Monagham

Je n’avais pas une grande marge de manœuvre, la sécurité de May passait avant tout. Il ne fallait pas qu’il croie que j’envisageais une autre solution que celle de lui donner tout ce que j’avais afin que nous vivions à nouveau ensemble comme une famille. Le fait que nous soyons légalement divorcés n’entrait pas en ligne de compte. Pour lui, c’était une partie de cartes et il détenait l’atout majeur. Il avait probablement encore des sentiments pour moi, mais son objectif principal était de mettre le grappin sur mon argent et d’avoir la sensation de m’avoir vaincue. Il savait que toute ma vie était centrée sur ma fille et que rien ni personne ne pouvait me séparer d’elle. Elle était sa voie d’accès au magot.

La Turquie possédant une frontière commune avec la Syrie, cela me parut un bon moyen de récupérer May si les voies légales échouaient. Je me doutais que les hommes dont parlait l’ami de ma tante étaient des trafiquants et qu’il faudrait probablement les payer à l’avance. J’étais prête à leur donner jusqu’à mon dernier centime s’ils me ramenaient ma fille. Peu m’importait que ce soit illégal. J’avais bêtement fait confiance aux autorités et elles m’avaient laissée tomber. Si j’attendais qu’elles se remuent, si elles se remuaient un jour, il serait peut-être trop tard.

L’hypocrisie de cet homme ne connaissait pas de limites. Il ne pratiquait pas sa foi, ne priait jamais sur un tapis, se rendait rarement à la mosquée. Les seuls signes extérieurs de son appartenance à l’islam étaient qu’il s’abstenait de manger certaines viandes et exigeait que je m’habille d’une certaine manière. Voilà soudain qu’il prétendait être pieux et voulait que sa fille grandisse dans une religion qu’il ne respectait pas lui-même. Pour cela, il n’hésitait pas à mettre notre monde sens dessus dessous, sans se soucier du mal qu’il faisait au passage.

Dans la plupart des mariages mixtes à Chypre, les parents n’imposent pas la religion à leurs enfants. J’avais choisi cette école parce que les élèves n’étaient pas obligés de suivre des cours de catéchisme orthodoxe tous les jours. Ils pouvaient étudier les mathématiques ou une autre discipline à la place. Il en allait de même avec la cantine. Les parents musulmans pouvaient demander à ce qu’on ne donne pas de porc à leurs enfants. À Chypre, les gens ont l’esprit très ouvert.

Comme toutes les mères, je redoutais depuis longtemps ce premier jour d’école, car c’est le signe le plus flagrant que votre bébé grandit. Désormais, il prend son avenir en main et devient une petite personne à part entière.