Citations de Lucile Génin (32)
« Mon père n’était pas du genre à se mettre beaucoup en colère , il préférait fuir par des chemins de traverse .
Mais je l’avais suffisamment étudié pour trouver son détonateur.
Et alors il se fendait d’une colère noire, impénétrable, et pétrifiante ,que même Cathy n’osait pas affronter , il y avait dans l’air électrique et dans nos éclats de voix quelque chose qui n’appartenait qu’à nous » .
« De toute façon , moi, je voulais partir .
J’avais l’impression d’être trop vieille pour ça , de me cogner dans tous les murs, dans toutes les injonctions , dans toutes les morales , et les étiquettes.
J’étais trop grande, trop blonde , trop belle, trop moche, trop bavarde en cours, trop silencieuse ailleurs .
Trop garçon manqué en sport , mais pas assez chouette pour traîner avec eux. Trop grinçante, pas assez susceptible , trop drôle et pas assez fragile ….
Trop mystérieuse sur le banc écaillé, au côté des autres qui refaisaient le monde …. »
Peut-être qu'il ne se passerait plus jamais rien. Et est-ce que tout n'était pas déjà arrivé ?
Plus tard et ses contours vagues, son écho effacé.
J'ai haussé les épaules.
Il a eu une espèce de sourire distant qui flottait dans le vide, quelque chose du passé.
De fil en aiguilles nous en sommes venues à parler de ses passions. Encore une découverte des plus incongrues.
- Je suis entomologiste. Lépidoptériste avant tout. C'est vraiment un monde qui me fascine.
Moi ce qui me fascinait, c'était la complexité des mots qu'elle venait d'utiliser.
Je m'en foutais comme de ma première paire de baskets de savoir qui était responsable de quoi. Ça changeait rien au fait qu'elle était alcoolique et que c'était moi qui trinquais..
J'ai fini par comprendre que, pour la première fois, ma mère était véritablement sortie de ma vie. Elle n'était plus une angoisse, ni un soulagement, ni une rage vengeresse, ni une présence rassurante, ni un mystère à éluder. Elle n'était tout simplement plus là, sous aucune forme, de chair ou de papier. Et c'est ainsi que j'ai découvert avec surprise qu'elle me manquait.
"Le monde, on peut encore le changer. Ce sera ta jeunesse à toi." Elle avait posé sur mes genoux un rêve intact que j'avais ramené chez moi et entreposé dans un coin de ma chambre. Je l'avais vu grandir, je l'avais nourri, et espéré si fort qu'il me faisait mal de temps en temps.
Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre que foutre le camp à toute berzingue, vers un temps où je serais moins soumise, peut-être, plus libre, peut-être ?
La couleur de ma mère était le marron. Un marron assez doux, comme la lumière qui entrait par les rideaux tirés de son appartement. Comme la couleur de son appareil à vinyles. Comme ses yeux distraits, comme ses cheveux. Comme son humeur. Comme ses vieux meubles en bois. Comme son mystère.
Je me sens déchet, résidu, trop-plein. Cette sensation familière d'être enfoncée dans mon corps qui ne m'appartient plus. Ça dure : une ou deux ou trois secondes ou toute une vie.
Elle regardait son fils comme s'il gagnait sa vie en guérissant des enfants cancéreux.
Ses mains noueuses avaient une grâce ancestrale, elles vibraient de la beauté de tout ce qu'elle avait touché avec amour.
Les relations humaines ne répondent décidément qu'à une logique vague et floue. Un courant qui va et et vient entre les mois, les années,les rancœurs, les envies et l'oubli.
Pour mon père, c'était simple : j'étais bonne en maths, j'allais faire médecine ou au moins une prépa scientifique. C'était logique, ça coulait de source. Mais j'avais pas envie de ça. J'avais pas envie d'une case. Je voulais un éparpillement.
Les relations humaines ne répondent décidément qu'à une logique vague et floue. Un courant qui va et vient entre les mois, les années, les rancœurs, les envies et l'oubli.
Mais ça n'avait pas d'importance. Ce qui en avait à cet instant, c'était d'aller cramer la jeunesse à grands coups de hanches, de cris, et d'euphorie collective.
Elle m’a emmenée dans des parcs régionaux qui protégeaient une rainforest intacte de coupes et s’ouvraient sur des palais d’écorces, de pins de Douglas que des dizaines de corps bout à bout n’auraient pu encercler. C’étaient des monstres de vivants, et pour la première fois j’ai compris : je n’avais jamais vu de vrais arbres. De ceux que de mémoire humaine on n’a jamais ni plantés ni coupés.
- Tu peux pas dessiner comme tu dessines sans un regard artistique.
- Je sais pas ce que ça veut dire, être artiste. Ma mère peint depuis toujours et pourtant elle a toujours eu besoin de l’argent du liquor store pour tenir. Donc je suis pas sûr de ce que ça implique d’être un artiste. C’est quoi la différence entre elle et un mec qui expose au Guggenheim pour une tonne d’argent ? Qui dit qui est un vrai artiste ?
- Je pense pas qu’être artiste soit lié à ce que tu fais de tes œuvres, ou à comment tu les montres au public. Moi, personne a jamais vu mes films à part moi-même. C’est juste ma manière à moi de voir le monde. C’est ça, être artiste. Une manière de voir le monde. Enfin, selon moi.
Mon père était dubitatif.
Je le savais parce qu’il avait dit : « Je suis dubitatif », et il avait fait sa moue de circonstance. Il était partagé et perdu. Et je le savais parce qu’il avait fait la même tête que quand Cathy lui demande de choisir entre deux de ses robes ou entre le chapon et la dinde à Noël.