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Citations de Luiz Ruffato (18)


La phrase, il disait, est féminine. Et, comme toute les femmes, elle est coquette, elle aime se parer. La parure de la phrase, c’est l’adjectif. En excès, il la rend vulgaire. Absent, il masque sa beauté.
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Elle sourit, blagueuse, “Mercredi, c’est day off…”. “Comment ça ?” “Aujourd’hui, c’est le jour où on se repose tous les uns des autres. Ricardo passe la nuit dehors.” Elle lève son verre, “Santé !”. “Santé !”, je répète en avalant une gorgée, qui descend comme une trombe dans ma gorge. “Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais… qu’est-ce que… qu’est-ce qu’il… fait…” “Je ne sais pas. Il dit qu’il passe la nuit à jouer au poker avec des amis. Ça m’est égal.” “Ça t’est égal ?” “Oui, ça m’est égal.” Elle remplit de nouveau son verre. “Alors, tu n’aimes plus Ricardo, Rosana ?” “Tu parles comme un adolescent, Zézo ! L’amour… c’est quoi, l’amour ? Un lien affectif qui se défait au fil des ans… J’ai été pragmatique, je me suis mariée sans lien affectif. Par conséquent, il n’y a pas eu de détérioration. La tendance, avec le temps, c’est qu’on finisse par juste se tolérer l’un l’autre. Comme je tolère juste Ricardo depuis toujours, je ne suis pas passée par toutes ces phases, déception, réconciliation, frustration, réconciliation, dépression, résignation, etc. Je suis allée droit au but.”
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Dona Alice ne comprenait pas pourquoi les gens condamnaient seu Venâncio parce qu’il était communiste, alors qu’être communiste, pour elle, c’était la même chose qu’être catholique, sauf que sans prêtre ni messe. À l’époque, son mari était emprisonné au pénitencier de Linhares, à Juiz de Fora. Quand il est revenu, quelques années plus tard, il y a eu pèlerinage chez eux, à trois rues de notre maison, parce que, malgré tout, dona Alice et son Vevê étaient aimés dans le voisinage. L’état dans lequel il est réapparu a causé un choc : maigre comme un clou, aveugle d’un œil, plusieurs dents en moins et des tremblements dans les mains. Seu Venâncio n’a jamais pu retrouver du travail, a passé le peu de temps qui lui restait à avoir peur de sortir de sa chambre, aux aguets, se méfiant de tout le monde, pissant du sang et refusant de se soigner, comme s’en plaignait dona Alice quand elle rencontrait ma mère en balayant le trottoir, Une horreur, dona Stella, une horreur.
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Mais oui ! Nous avons fait la primaire ensemble… Alcides… Alcides Animal, comme on l’appelait, parce qu’en plus d’être très costaud – il était déjà gros à l’époque – il s’est révélé extrêmement cruel, et pas qu’avec nous, ses camarades de classe, qu’il frappait régulièrement, mais avec tout ce qui bougeait : il tuait des petits oiseaux au lance-pierre, il noyait des chatons, et il est même allé, une fois, jusqu’à asperger d’essence une jument et à y mettre le feu. Même les maîtresses manifestaient de la peur, C’est le malin, elles disaient en se signant.
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Mes pieds me traînent à travers un immense désert. Le jaune du sable, le jaune du soleil, ma vision brouillée, j’ai soif, à l’horizon, dune après dune, le ciel sans aucun nuage. J’aperçois alors, au fond d’une dépression, quelque chose comme une mare bleue. À bout de forces, je me laisse rouler en bas du ravin. Je tombe dans l’eau et, quand j’approche une main de mes lèvres pour les mouiller, la mare devient sables mouvants et aspire mon corps maigre et sec. J’essaie de crier, mais ma voix reste emprisonnée. Je cherche à me raccrocher au bord, sans succès. Petit à petit, je m’enfonce. Dans un ultime effort, je lève les bras et entends, au loin, des bruits. Désespéré, je me démène pour maintenir la tête à la surface, et plus près cette fois je distingue, “Monsieur, monsieur !”, quelqu’un me secoue.
(incipit)
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Lisbonne sent la sardine en été et les marrons chauds en hiver, j’ai découvert ça en parcourant la ville dans tous les sens, en métro, en électrico, en autocarro, en comboio, à pied, tout seul ou accompagné par Sheyla. Avec elle pour guide, on a visité un tas d’endroits monstres, le Château de São Jorge, l’Ascenseur de Santa Justa, Bélem (pour y manger un pastel), le Patron des Découvertes et l’Aquarium, à la gare de Oriente.
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La seule chose qui reste, c'est la mémoire des gens, mais qu'est-ce que c'est la mémoire des gens ? (p.95)
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Les adolescents papotent dans une langue bourrée d’argot, que j’ai du mal à comprendre. Tamires revient, en traînant les pieds. “Oncle Oséias, et euh… comment s’appelle ton fils, déjà ?” “Nicolau.” “Ah, oui, Nicolau. Je me rappelle qu’il était beau… Mamie Stella me montrait toujours une photo de lui, avec ses cheveux noirs et ces grands yeux bleus…” “Eh oui, un petit Polonais… Il n’a rien d’un Moretto. Il est comme les gens de la famille de sa mère.” “Et qu’est-ce qu’il fait, oncle Oséias ?” Je rougis, respire à fond, pas moyen de camoufler mon malaise. Mais alors le sifflement d’un train, tout proche, nous fait sursauter.
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Graciano faisait partie des fauteurs de troubles – du fond de la salle il narguait les professeurs, pendant les récréations il provoquait ses ennemis. On enviait tous ses boucles blondes, au-dessus d’un tronc aux bras et aux pectoraux bien découplés. Bagarreur et vaniteux, il souffrait d’indigence intellectuelle. Sans son talent hors pair pour tricher aux épreuves – des connivences obtenues par le charme ou la menace – il n’aurait peut-être même pas fini le secondaire.
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Et je cherchais à lui plaire, pas par admiration ni par vanité, comme se le figuraient les autres, mais par pur sentiment d’étrangeté. Pour qu’on ne m’importune pas, je me laissais convaincre – les gens autour de moi, satisfaits, se retiraient et je restais seul, en miettes à l’intérieur, séparé du monde. Avec le temps, une espèce de lassitude m’a transformé en personnage de moi-même, enclin à être toujours d’accord, à toujours dissimuler mes opinions ou sentiments, en m’isolant de plus en plus.
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São Paulo, une mère pour moi. (p.94)
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Ça doit être dur d’être la fille de ma sœur. Rosana a besoin de se sentir désirée, courtisée, félicitée. Je ne crois pas qu’elle trompe Ricardo, ça lui demanderait de s’investir et elle n’a pas la patience, sa fidélité est modelée par une énorme paresse morale, mais elle a besoin qu’on lui rappelle tout le temps qu’elle est belle, intelligente, intéressante. Il faut qu’elle se compare aux autres femmes, dont sa fille, et qu’elle sorte du lot, infiniment supérieure.
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Ce professeur n’avait pas pour moi d’affection particulière, vu que j’étais d’origine ouvrière, mais il admirait ce qu’il exaltait comme mes efforts et mon investissement – pas mon intelligence, pour lui un attribut réservé aux gens bien nés. Mes rédactions ne possédaient aucune originalité, c’est juste que, apathique, j’avais appris à circuler dans la partie sûre d’une route sinueuse, en écrivant comme il le désirait, c’est-à-dire correctement. La phrase, il disait, est féminine. Et, comme toute les femmes, elle est coquette, elle aime se parer. La parure de la phrase, c’est l’adjectif. En excès, il la rend vulgaire. Absent, il masque sa beauté.
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La ville est laide, sale, pue la pisse. Les ordures se répandent dans les caniveaux. Mendiants et camelots se disputent les passants. Dans les bistros, bars et restaurants, des téléviseurs allumés hypnotisent la clientèle. Le grand trottoir de la rue do Comércio est une vitrine d’histoires. Alors, une affiche défigurée de la dernière campagne électorale, collée sur un poteau, attire mon attention. J’identifie ce visage, dont je ne vois pourtant que des fragments. Chez un glacier, j’achète une bouteille d’eau et demande à l’adolescente derrière la caisse si elle peut me dire le nom du maire.
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“Un homme ! Pourquoi est-ce que j’aurais besoin d’un homme, non mais franchement ? Les hommes sont tous les mêmes, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre”, puis en me regardant elle rectifie, “Sauf votre respect. Je parle en général”. “Ne vous en faites pas, la majorité de ceux que je connais ne valent vraiment rien.”
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À bout de forces, je me laisse rouler en bas du ravin. Je tombe dans l’eau et, quand j’approche une main de mes lèvres pour les mouiller, la mare devient sables mouvants et aspire mon corps maigre et sec. J’essaie de crier, mais ma voix reste emprisonnée. Je cherche à me raccrocher au bord, sans succès. Petit à petit, je m’enfonce.
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Quand j’ai déménagé à São Paulo, au début j’aimais bien revenir traîner à la gare routière, le week-end, en cherchant à deviner la trajectoire de chacun de ces innombrables visages qui défilaient hagards. À leur façon de marcher, aux vêtements qu’ils portaient, aux accessoires, et même à ce qu’ils mangeaient, j’imaginais si les choses allaient bien ou mal. Je faisais ça pour atténuer la solitude qui les samedis et dimanches me chassait de ma modeste chambre de pension du quartier de Pari – ou peut-être pour me savoir réel, moi qui souvent, quand j’errais anonyme au milieu de la multitude, me croyais invisible. Là, dans cette espèce de purgatoire, je reconnaissais des créatures semblables à moi, sombres mais décidées, manquant d’assurance mais tenaces, et ça me confirmait, en un sens, que, sans être grand-chose, j’existais.
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J’essaie de contrôler mes mains tremblantes, je ne sais pas si c’est dû à la peur d’être agressé, à mon cauchemar de la nuit, aux médicaments que j’ai pris. Avec effort je mastique mon pain, le fais descendre dans ma gorge en buvant de courtes gorgées de café au lait. Intimidé, je demande combien c’est, il grogne quelque chose, je laisse l’argent sur le comptoir. Je repars en chancelant vers la salle d’attente. La vieille n’est plus là. Je me rassois sur le banc de bois, à côté d’une femme qui lit la Bible, cheveux noirs enroulés en chignon, chemisier gris clair à manches longues, jupe gris foncé sous les genoux, lourdes chaussures qui la masculinisent.
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