Marie-Célie Guillaume : "Le monarque, son fils, son fief"
Il avait annoncé une retraite spirituelle, une période de méditation dans un lointain monastère pour mieux habiter la fonction. Ses sujets ont découvert un Monarque en slip de bain, Ray-Ban Mirror et Rolex, gros cigare au bec, sirotant du Champagne sur un yacht somptueux, entouré des plus grosses fortunes nationales et de stars du show-biz.
À force de tout concentrer au Château, de transformer son gouvernement en
comité exécutif, avec un cas-ting de Star Ac et des guignols en guise de ministres, il est arrivé au résultat inverse de celui qu’il affiche : c’est l’administration qui gouverne. Le Château est devenu le palais des grincements de dents, d’où l’on ne gère plus que l’impuissance...
Le comportement clanique, l’abus de pouvoir, le népotisme se sont révélés au
grand jour dans son fief. Aujourd’hui, la Principauté n’est plus son fief. Ce n’est le fief de personne, car les habitants du Vieux Pays ne supportent plus la féodalité. Il va maintenant devoir rendre des comptes. L’heure approche.
Son seul mérite est d’être le fils du Monarque !
Beaumarchais te revoilà... «Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous être donné la peine de naître, rien de plus !»
- « Sois gentille... Comment je vais faire pour mon discours, là, tout de suite ? Tu vois bien que j’ai besoin de me détendre ! Allez, c’est pas grand-chose... » supplie-t-il.
Elle tourne la tête, ferme les yeux quelques instants. Les images affluent par flashs, souvenirs refoulés d’une autre vie. Un sourire imperceptible, un léger hochement des épaules. Tout cela a si peu d’importance, les hommes sont pitoyables.
Il descend d’un peuple martyr et le porte au fond des yeux. Privé trop jeune de l’amour maternel, il a grandi sans douceur et sans joie à l’ombre d’un père autoritaire. Il a appris de lui l’amour de la patrie et la haine du Turc qui avait massacré les siens. Une haine absolue,dévorante et structurante. Il porte le souvenir du génocide comme une blessure intime, profonde, douloureuse et insurmontable.
Détrompez-vous, répond l’Arménien, Rockyville est une chasse gardée. Plus que ça même, une chasse royale. Et vous y chassez sans autorisation ! Le Monarque ne vous le pardonnera pas.
Une caricature, publiée en une du quotidien du soir du Vieux Pays, est dévastatrice. Elle le montre à califourchon sur les épaules de son père, plantant des couteaux dans le dos de Gominet : « C’est bien comme ça, hein papa ? » Et les larmes de fierté du papa : « Je lui ai tout appris... » Car le procédé du fils rappelle immanquablement celui du père, vingt-cinq ans plus tôt, quand il trahit Don Léonard pour lui rafler Rockyville.
Chacune de ses journées commence immuablement par la lecture, à l’aube, des relevés d’écoutes téléphoniques et rapports de surveillance de la police. Encore plus que les adversaires du Monarque, ce sont ses amis qui l’intéressent, ceux qui sont destinés selon lui à devenir un jour ou l’autre des traîtres. Il veut tout savoir d’eux, leurs fréquentations, leurs habitudes, leurs amours.
Depuis son élection, le Monarque a changé, beaucoup changé. Ils ne reconnaissent plus leur Rocky. Ne se reconnaissent plus en ce parvenu aux manières grossières et brutales. Au fond, ils s’en souviennent maintenant, Rocky n’a jamais vraiment été des leurs.