Une compilation des émissions « Poésie sur parole », par André Velter, diffusées du 30 septembre au 5 octobre 1991. Invitée : la poétesse en personne. Lecture : Maud Rayer et Francine Berger.
Oui, un poète
a le monde entier sur les bras
sa parole
parfois
capture une plume un nuage
annonce parfois
très doucement
que le Golem ne viendra pas ce soir
qu'une guerre parmi cent autres
a pris fin dans le monde
...et parfois
sur la partition des nuits
le poète déchiffre
un sommeil proche du bonheur.
Un tremble
c'est le nom
du peuplier blanc: luisance furtive.
Éclairs des feuilles
leur vie scintille
instant après instant
elles chuchotent
que nous avons aussi des moments miroitants
minuscules, étincelantes traces de nous sur le monde.
(" Violente vie")
Aimer, c’est, à travers le corps,
rencontrer l’âme ; c’est aussi
par les sentiers de l’âme aller
à la découverte du corps.
Aimer, c’est mêler l’âme au corps,
le corps à l’âme, c’est encor
du bout des doigts au fond de l’être,
toucher, sentir et reconnaître
avec la chair, avec l’esprit
sans deviner lequel est pris
et lequel prend, sans pouvoir dire
qui se réveille et qui s’endort
lequel commence, où finit l’autre,
quel est le vif, quel est le mort.
LILIANE WOUTERS
EN ANGLETERRE
En Angleterre restent les restes d'un grand mur triste
vieux de deux mille ans.
Ici les Romains ont arrêté leur avance
ils l'ont édifié, contre les invincibles Barbares au corps peint.
On hésite Le gris confond
ciel et terre.
Les pierres sont
presque indiscernables.
Mais on les touche
et le cœur a mal
d'autres murs plus récents à travers le monde.
Nulle part on ne sentirait aussi fort
qu'il fait
partout
violemment antihomme parmi les hommes.
LE DEDANS DE QUELQU’UN
j’ai caressé tout ce qu’il faut de vie
de bêtes moqueuses et de peau douce
mais comment bouger
si la nuit le dedans de quelqu’un
vient ver nous
je dis le dedans de quelqu’un sans savoir
à partir de quel muscle ou ligament
si c’est une ligne d’horizon dans le cerveau
ou nœud dans la gorge
sans savoir si c’est tendre
lové sur un oui dans la poitrine
ou si c’est vaste herbe avec un nom oublié
NICOLE BROSSARD
L'AUTRE
« Je est un autre. » Arthur R.
À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Je recherche l’Autre
J’aperçois au loin
La femme que j’ai été
Je discerne ses gestes
Je glisse sur ses défauts
Je pénètre à l’intérieur
D’une conscience évanouie
J’explore son regard
Comme ses nuits
Je dépiste et dénude un ciel
Sans réponse et sans voix
Je parcours d’autres domaines
J’invente mon langage
Et m’évade en Poésie
Retombée sur ma Terre
J’y répète à voix basse
Inventions et souvenirs
À force de m’écrire
Je me découvre un peu
Et je retrouve l’Autre.
ANDRÉE CHEDID
pour qu'un poème respire
il lui faut le silence
silence liminaire
des lentes germinations souterraines
lorsque jaillissent les mots
dans l'éclat des enfantements
silence
quand la voix se repose
et que le texte n'en finit pas de résonner
dans nos solitudes visitées
Colette Nys-Masure
Est-ce la terre qui s’éloigne
Où l’horizon qui se rapproche
On ne saurait jamais dans ces grandes distances
Tenir la mesure
De ce qu’on perd ou de ce qu’on gagne
ANNE PERRIER - La Voie nomade et autres poèmes
VOYAGEUR
Territoires furtifs du voyage
avec leurs reflets sur les vitres du compartiment
les mots du voisin d'une fois, le lac entrevu
le petit garçon à ses devoirs dans une fenêtre éclatante.
Vignette au fond des yeux qui disparaît
revient
intermittente
pour se projeter sur l'écran de nos derniers murs.
Nous mourons — tout s'efface
le monde
l'instant
le vide même.
L'ampoule
sans abat-jour
dans un trou de notre mémoire
projette un ancien petit garçon étonné.
Vient la nuit massive.
C'était donc pour cela, les roues, la pluie oblique sur le train ?
Dis-moi le redoublement des racines
la femme qui s'avance sans amarrres
et sans peur debout dans la distance
celle qui écrit au revers des courants
celle qui pense sous la cognée
à l'arbre qui perdure
aux forteresses aux clôtures
pour mieux les cisailler
d'un poème tranchant
comme l'or au soir des certitudes
quand l'âme se délivre
de sa robe charnelle
et que liens se délient
comme fleurs sous l'orage
Jeanine Baude