Marilyse Trécourt

Son cœur battait à tout rompre. Cela faisait des millénaires qu'elle n'avait pas ressenti de telles sensations. Elle avait d'étranges papillons dans le ventre et ses mains étaient en feu. Ses mains, dont l'une d'elles portait encore la trace de son alliance.

Camille avait du mal à le regarder dans les yeux. Il était beau. À sa façon. Ce n'était pas George Clooney, mais il se dégageait de ses mâchoires carrées une force adoucie par son sourire lumineux.

Camille regarda ses mains dont elle avait enlevé l'alliance le matin même, sans vraiment y penser. Cette main toute nue. Cette main libre. Une liberté dont elle ne savait que faire à présent. Une liberté intimidante.

Sa mère ne cessait de tripoter quelque chose dans sa poche. Certains auraient pu croire qu'elle égrenait un chapelet, alors qu'en réalité il devait s'agir de l'un de ses gris-gris fétiches.

Amélia se foutait éperdument de ce que pensaient les autres et ce depuis toujours. Elle n'avait qu'une seule devise « la vie est courte, alors vis-la à fond ! ». Et Dieu sait qu'elle profitait de la vie. Elle n'avait jamais été mariée mais avait vécu de longues passions, très souvent entrecoupées de liaisons aussi fugaces que variées tout comme l'étaient ses partenaires : blonds ou roux, petits, grands, gros, jeunes, vieux, stars, anonymes, hommes ou femmes. Tante Amélia avait un solide tableau de chasse. Elle ne voulait vivre que de passions. Exclusivement. Dès qu'une relation perdait un peu de « la magie des premiers instants », elle y mettait fin. Sans regret. Sans scrupule. Après tout, elle ne faisait de mal à personne, si ce n'est aux cœurs brisés qu'elle laissait en chemin. Et elle n'avait pas eu d'enfants qui auraient pu lui faire des reproches.

Je donnerais tout pour ne pas croiser tous ces regards pleins de pitié.

En plus, il n'est pas vraiment attiré par le sexe en général. Il ne l'a jamais été. Avec lui, c'est une fois ou deux par mois, et toujours dans l'obscurité. Mais j'avoue que j'aime aussi faire ça dans le noir. Ça me permet de rêver, de m'imaginer dans le corps d'une autre femme, une femme sexy, sensuelle, entreprenante, aguicheuse. Une femme libre de faire ce qu'elle veut et de ressentir ce qu'elle veut sans rougir de honte, mais plutôt de plaisir ! Ce n'est pas très varié, ni très créatif, mais c'est bon, juste bon. Dans ces moments, on est vraiment en phase tous les deux et c'est réconfortant.

C'est vrai qu'il a l'air fatigué en ce moment. Il rentre de plus en plus tard du travail. L'autre jour, je me suis même demandé s'il n'avait pas une maîtresse. Mais cette idée m'a vite fait sourire. Etienne ? Quelle femme voudrait de lui ? C'est loin d'être Brad Pitt ! Avec ses pantalons de costume toujours froissés, sa calvitie naissante et ses lunettes démodées, je me demande ce qu'une femme lui trouverait ? Peut-être qu'une gamine de sa boîte ou une divorcée flanquée de deux gamins pourrait être attirée par son statut ? C'est l'associé du directeur après tout. Mais oui… Mais non ! Pas Etienne, pas lui ! Il est trop… trop convenable, trop conventionnel, raisonnable pour faire ça.

Comment faire renaître nos sentiments ? Comment pourrait-elle tomber ou retomber amoureuse de moi, maintenant ? Qu'ai-je encore à lui offrir ? Si j'étais une femme, je ne serais certainement pas attiré par un mec comme moi, un contrôleur de gestion, aux tempes grisonnantes, à la bedaine naissante et au sens de l'humour approximatif.

N'écoute pas les autres. Fais ce que tu as envie de faire. Quand tu rencontreras un garçon qui te plaira vraiment, écoute seulement ton cœur, pas ta tête. Si tu sens comme un feu d'artifice dans ton cœur, alors fonce et ne te pose aucune question. C'est le seul moyen de trouver le bonheur.

Emilie est calme, timide, patiente, obéissante, disciplinée. Lisa, c'est son opposée. Elle est comme un feu follet. Elle réagit à l'instinct, sans se soucier des conséquences. Elle est libre. Trop. Et la liberté, elle n'est pas possible, pas ici, pas dans ce monde. Trop de liberté, c'est l'anarchie ! Mais tais-toi donc ! On croirait entendre ton vieux con de père. J'aime bien l'observer, en douce, quand elle joue au petit chef avec ses copines, quand elle fait tourner sa sœur en bourrique ou quand elle regarde sa mère, les yeux émerveillés,

Pourquoi avait-il fallu que je naisse dans cette famille, que je vive dans ces beaux quartiers, qu'on m'ait tracé une route trop propre, trop bien rangée, trop fade et trop…

Non mais écoutez-le, ce pauvre petit fils de riche ! Écoutez-le ! Le pauvre, il est né avec une cuillère en argent dans la bouche et il ronchonne parce que son père ne veut pas qu'il fasse du sport ! Les Misérables à côté, c'est de la gnognotte !

N'importe quoi ! Pourquoi je ramène tout à elle ? On dirait un adolescent boutonneux qui fait une fixation sur la fille de ses rêves. Un ado comme je l'étais. À l'époque, je n'aurais jamais osé, ô grand jamais, adresser un mot à une fille, même un regard, cela aurait été trop difficile. Alors, je me réfugiais dans mes rêves. Mes rêves d'évasion, d'avenir, d'aventure. Oh, pas la grande aventure, bien sûr. Non, ça c'était de la science-fiction. Non, mes rêves à moi, c'était de faire du sport, comme jouer au foot, faire du tennis, de m'éclater sur du break dance ! Un truc de dingue ! Juste comme tous les gamins du monde.

Des images de ma femme. Depuis que nous sommes mariés, Camille a toujours été une femme exemplaire, parfaite. La femme que tout homme rêve d'épouser. Une femme convenable. Sensée. Aimable. Petite brune aux yeux bleus, au sourire charmant, discrète, gracieuse. Soucieuse des conventions. Comme moi, en somme.

- Oh, ça va, hein, ce n'est pas la peine de me faire de reproches, Jeannot. Je sais ce que tu penses, que je n'ai pas été très aimable avec la petite. Mais elle aime bien que je lui parle comme ça, d'abord, paraît que je lui fais penser à sa grand-mère, tu comprends. Et puis, je n'ai rien dit de méchant contre elle, après tout. Juste contre son sale chien. Mon Dieu qu'il est laid. On dirait une saucisse de Morteau affublée de quatre pattes maigrichonnes et d'un moignon de queue. Ca ne mérite même pas le nom de chien, si tu veux mon avis. [...] Et tu ne devineras jamais son nom, au clébard ! Morrito ! C'est d'un ridicule... et ça ne veut rien dire, en plus. Ce doit être de l'espagnol ou du japonais. Bref, tout ça pour te dire que même quand j'essaie d'être aimable, on ne m'aide pas, tu peux me croire !

- Joyce m'a largué, annonce-t-il de but en blanc, sans même remarquer ma nouvelle coupe.
- Non ! Pourquoi ? Vous alliez emménager ensemble !
- C'est ça qui lui a fait peur, justement. Enfin, je crois.
[…]
- Elle n'était pas prête, finalement. Tu finiras par trouver celle qu'il te faut, Kévin.
- Je finirai seul et dévoré par mes chats.
- Tu n'as pas de chat.
- Eh bien, je vais en adopter une portée.
- Tu n'es pas allergique aux poils de chats ?
- Si. Tu vois, ma fin est proche…

Mais j'aurais dû me rappeler qu'il ne faut jamais se fier aux apparences.

La vie est faite de souffrances, c'est vrai. Mais elle est aussi faite de merveilles, de moments de plénitude, d'amour et de joie incommensurable !

Son rire ressemble à du sable chaud, à une envolée d'oiseaux, à une pluie bienfaisante.

Non, ce n'est pas qu'un livre. C'est votre livre. Celui que vous avez besoin de lire maintenant.