Rien ne sert de courir,
Tu vas mourir,
Car le Dullahan arrive!
- Mais pourquoi ? demandait-il en dévisageant une autre cliente, une dame d'une soixantaine d'année.
- Qu'est-ce qui se passe ? intervins-je. Il y a un problème ?
- J'ai juste écrasé cette saleté d'araignée, se défendit la cliente.
Oups ….
- Bien sûr, madame, je comprend.
-Mais ce … ce monsieur, il m'a fait une de ces peurs !
- Oui, c'est … c'est un fervent défenseur de la cause animale. Excusez-le, madame.
Je me tournai vers Arachos et le pris par le bras pour l'entraîner avec moi en cuisine, débrassant au passage quelques tasses vides.
- T'as vu ça, Emma ? s'écria Arachos, choqué, quand nous fûmes seuls.
- Oui, j'ai vu. Mais tu sais, ce n'est pas une raison pour faire un scandale dans mon café ….
- Elle l'a tuée de sang-froid ! Ca aurait pu …. J'en sais rien, moi, ça aurait pu être ma mère !
Cette fois, je ne pus m'empêcher de rire franchement.
-Tu trouves ça drôle ?
Je tentais de me contenir, mais la situation était si cocasse que je n'y parvins pas.
- Ce n'était pas ta mère, Arachos !
- Je sais bien que ça ne pouvait pas être elle. Mais ça aurait pu être n'importe qui !
- Comme ?
- Comme … un ami.
Et, alors que je n'ai jamais autant souffert, alors que nous sommes seuls sous la pluie au milieu des montagnes, terrifiés dans l'attente si insupportable de la naissance de notre bébé, je prends conscience de l'homme qui se tient en face de moi. L'homme que j'aime plus que tout au monde. L'homme qui, pour ne pas m'abandonner ne serait-ce que l'espace d'une seconde, se tient accroupi devant moi depuis des heures, les membres endoloris, sous la pluie battante, blessé par mes propres mains au rythme de ma douleur insupportable. L'homme qui, depuis des heures, me dévore d'un regard bleu clair si puissant qu'on dirait que son monde risque de disparaître sous ses yeux. L'homme qui, pour m'accompagner, force sa respiration à un rythme régulier et ne peut s'empêcher d'embrasser mon front de ses lèvres tremblantes. Jamais je ne l'ai trouvé plus beau qu'en cet instant, grelottant sous la pluie battante, ses cheveux roux trempés et des gouttelettes d'eau perdant même sur ses cils. Jamais je ne l'ai autant aimé. Et jamais je n'ai puisé tant de force en lui.
- Tu pensais avoir eu un passé avec moi, tu t'étais trompé. Moi aussi, je me suis trompée quand j'ai osé espérer un futur avec toi.
- Les rituels ne peuvent prendre place dans un lieu comme celui-ci, ça ne fonctionnerait pas.
- Ah non ? Pourquoi ?
- C'est un Rituel Païen.
.......
Alors, tandis que je n'ai jamais vraiment cru en quoi que ce soit, je sors des tunnels étroits pour le large couloir qui mène à la chapelle.
Je ne la reverrai plus jamais. Plus jamais… Je dois vivre sans elle. J’ai l’impression que je vais brûler vif, que la douleur va m’étouffer, que mon corps va tomber en cendres.
Ils ont tué ma femme.
Ils ont causé la mort de mon enfant.
Ils ont détruit nos vies.
Je me retrouve face au Maître du château, seule avec lui dans le grand hall, tétanisée. Il est si grand... Pas le hall, le Dullahan. Plus grand que je ne l'aurais jamais imaginé. Il fait bien une tête de plus que lors de notre dernière rencontre.
- C’est bien plus que cela, corrigea-t-il en riant doucement. La fleur de lotus a une symbolique très particulière pour son peuple. Sais-tu que, par sa beauté, elle incarne la pureté ? Que par sa longévité, elle symbolise l’éternité ? On raconte qu’elle peut survivre des centaines, voir des milliers d’années, et renaître des siècles de dormance. Alors, c’est bien plus qu’une simple fleur. Elle est pureté, éternité et renaissance.
Maintenant, je suis prête à trouver les réponses aux questions qui me hantent depuis des années.
Je prends mon envol tant que je respire encore.
Et le temps m'est compté, parce que je vais mourir.
Bientôt.
L’être humain est stupide. Il ne réalise vraiment l’importance de l’autre que lorsqu’il le perd, alors que le trou béant que laisse l’absence est déjà là, profond et irréparable. On vit comme s’il y avait toujours un lendemain pour tout le monde, mais c’est faux. Hier - c’est tout comme - maman me serrait dans ses bras et je lui confiais mes chagrins d’amour ; aujoud’hui elle n’était plus. Aujoud’hui il ne me restait plus que mon père, ma seule et unique famille ; demain il pourrait avoir disparu, comme maman... La mort pourrait l’emporter... ou moi.