Maurice-Bernard Endrèbe

Vos histoires vraies sont tellement bien. Faudra que je me décide à vous écrire un jour, moi aussi, car, au temps de ma splendeur, j’ai beaucoup voyagé et j’en ai eu, des aventures ! Tenez, un jour, à Venise, y a un comte italien qui s’est hissé jusqu’au balcon de mon hôtel à l’aide d’une échelle de soie. Il voulait m’enlever dans sa gondole ...

Les hommes extériorisent peu et ont horreur de montrer leur chagrin en public, répondit Mme Prentice, se souvenant de l’émotion avec laquelle Léo lui avait parlé du suicide de sa femme.

On s’habitue à la vertu comme au péché, vous savez… et une vieille habitude ne se rompt pas aisément. Sabine a connu un brusque écœurement en se voyant sur le point de faillir à ses propres yeux et le malheur a sans doute voulu que, à ce moment-là, elle pense au tube de gardénal qui était à sa portée…

Ce n’était pas une femme complexe et c’est peut-être pourquoi elle avait si rapidement perdu tout piment à mes yeux. Ce qui stimule un homme, c’est le mystère, la difficulté, la proie qui se dérobe...

Le seul ennui c’est que, contrairement à beaucoup d’hommes, plus j’avance en âge, moins je me sens fait pour le mariage et, divorcé, Sabine n’aurait pas eu de meilleur ami que moi. Mais, puisque ses sentiments religieux l’empêchaient de me donner satisfaction, nous avions depuis longtemps trouvé un modus vivendi qui sauvegardait les apparences, tout en faisant la part du feu.

Elle avait pour Sabine une sorte d’adoration maladive et déteste Léo parce qu’il la trompait avec moi. Elle devait donc avoir un ardent désir de voir son idole nous rendre la pareille, et elle a pris ses désirs pour des réalités. Si sa femme avait enfin envisagé le divorce, vous pensez bien que Léo m’en aurait immédiatement fait part.

Qui d’autre aurait pu avoir une raison de tuer Sabine ?
Paule Gorian, bien sûr. Cela peut paraître fort de café, mais on a vu maintes fois une maîtresse être jalouse de l’épouse légitime, au point de vouloir la tuer pour s’assurer l’exclusivité de l’homme en cause.

Une femme comme Sabine Ternier, que l’infidélité de son mari a fait souffrir pendant des années, ne se suicide pas alors qu’elle vient enfin de rencontrer l’homme avec lequel elle peut envisager de refaire sa vie.

Sabine avait été rapidement conquise par les façons de M. Krierfeld. Il était avec elle à la fois tendre et respectueux. Jamais il n’a cherché à abuser de la situation.

J’ai beau avoir eu une existence conjugale exempte de ces tourments, je ne doutais pas qu’ils pussent inciter au suicide. Et il me semblait encore entendre l’accent joyeux avec lequel, sur le quai du métro, Ternier avait déclaré qu’il n’était plus marié pour longtemps, car sa femme le trompait ou s’apprêtait à le faire.

Croyez-vous qu’on puisse être heureuse quand on se sait constamment trompée par celui qu’on aime ? Imaginez-vous ce que ça peut être d’entendre son mari rentrer au milieu de la nuit et de penser qu’il vient de prodiguer ses caresses à une autre ?

J’étais comme un médecin auscultant, palpant, cherchant le point névralgique car, de plus en plus, j’avais le sentiment que Bréval était dans l’erreur. Il m’arrivait d’ailleurs d’avoir raison contre lui, beaucoup plus souvent qu’il n’aimait à en convenir. Avez-vous remarqué comme les hommes semblent toujours trouver naturel qu’une femme leur rende service et avec quelle facilité ils oublient ensuite le service rendu ? Toujours ce vieux complexe de supériorité dont souffre le mâle !

De nos jours, on a tant de peine à obtenir qu’une domestique consente à vous servir à prix d’or, que son jour de sortie résiste à tous les drames. Sans doute, la petite bonne était-elle même trop heureuse d’avoir ainsi tout loisir de jouer les héroïnes de faits-divers.

Bien des gens sont morts assassinés sans avoir eu le temps de se douter de rien, mais je ressens toujours un atroce malaise en imaginant ce que peuvent être les derniers instants d’un suicidé. Peut-on s’éveiller en disant : « Aujourd’hui, je me tue » ou s’endormir en pensant : « Demain, je serai mort » ? Comment ne pas frémir en évoquant le moment où, après les ultimes hésitations, on porte le revolver à sa tempe ou se laisse basculer dans le vide ?

Mais dans la vie, il y a tous les faits divers où l’on apprend qu’Untel s’est tiré une balle dans la tête ou jeté par la fenêtre et qui se terminent pas cette phrase : « On ignore les raisons qui ont pu pousser X… à mettre ainsi fin à ses jours. »

On a bien raison d’affirmer que le pire ennemi d’une femme, c’est la femme !

— Et le coup de foudre, vous n’y croyez pas ?
— Si, mais souvent il n’allume qu’un feu de paille.

On m’avait assuré que le journalisme était une grande famille, mais j’avais de plus en plus l’impression que cette famille-là ressemblait à celle des Atrides.

Toute honte bue, je n’aurais plus eu aucune envie de m’en aller, même si je n’avais pas craint de me trouver nez à nez avec la personne qui me barrait la sortie. Elle se montrait aussi indiscrète que moi, mais s’il y a des cas où les cheveux blancs constituent une circonstance aggravante, c’en était un. Et mon goût de l’enquête policière ne pouvait pas me servir d’excuse. Du moins le pensais-je alors…

Et tandis que la porte du studio se refermait sur la jolie secrétaire de rédaction, je réfléchis, de façon assez incongrue, qu’il y avait une lacune dans l’œuvre d’Anita Loos : les hommes préfèrent les blondes et ils épousent les brunes… mais quel est le sort des rousses ?