Michel Sapanet

Nous leur devons au moins ça, à nos pauvres morts si mal en point. Leur rendre leur identité lorsqu’ils sont méconnaissables ou abandonnés loin de chez eux, leur rendre leur humanité en retrouvant l’histoire de leurs derniers instants.

Les sorciers vaudous lisent l'avenir dans les tripes de poulet. Moi, je lis le passé- enfin, j'essaie- dans les entrailles de mes contemporains.

Comme son compagnon d'infortune de la première fosse, le cadavre est ensuite emasculé avant d'être démembré et enseveli.
Du beau travail, je suis admiratif devant la qualité des découpes.

"L'autopsie est une opération violente qui altère l'intégrité du corps. Une violence ultime, extrême mais nécessaire. Puisque c'est elle qui va rendre une identité à un cadavre inconnu, qui va révéler ce qui a mis fin à son existence, qui va contribuer à démasquer celui qui l'a tué. C'est notre façon à nous, légistes, de lui rendre son humanité."
p.206

-Non, pas de ketchup. Il n’a pas la même viscosité que le sang, cela ne va pas s’étaler pareil, vos résultats ne voudront strictement rien dire. Trouvez du sang.

-Il y a bien mon oncle qui fait du boudin, mais il va râler si je le prive de sa matière première.

Si la mort a eu lieu entre le repas et le départ de Paul, l’autopsie doit retrouver l’essentiel des aliments encore peu digérés. Or le légiste qui a examiné le contenu gastrique a noté la présence d’une petite quantité de liquide brun, épais, contenant des particules non digérées de peau de tomate. Plus de traces du salami ni du fromage. Vu l’horaire du repas, le décès a eu lieu bien après le départ de Paul. Et pour une fois, le dernier repas a servi à quelque chose.

Le magistrat va rapidement se rendre compte qu'il est bien difficile de tirer les vers du nez d'un ORL.

p.226 (Éd. Pocket)

A quoi cela sert-il que nous fassions des recommandations techniques, des prescriptions d'examens, s'ils ne sont pas réalisés ? C'est consternant. C'est un des problèmes de la médecine légale en France. Nous sommes des scientifiques, nous prescrivons des examens, et ce sont des gens sans aucune compétence scientifique qui décident de les faire ou non. Cela m'agace profondément.

p.184 (Éd. Pocket)

C'est ainsi que je tombe sur un os, pour ma plus grande satisfaction. Preuve que le légiste aime la difficulté.

p. 125 (Éd. Pocket)

Les enquêteurs, suspicieux de nature, ont été intrigués par cette mort sans cause apparente d’un jeune homme en pleine force de l’âge, seul et barricadé chez lui. Ils ont requis ma présence sur les lieux afin que j’éclaire les lanternes de la maréchaussée, laissant le soin aux urologues de s’occuper de leurs vessies.

Des quelques explications données par l’enquêteur lors du premier contact téléphonique, je devine qu’il s’agit des voitures de « stagiaires » venus suivre, au prix fort, séances de « cri primal », séjours de « re-naissance » et quelques autres fantaisies du même ordre dispensés par un gourou. Lequel a fort bien compris que, dans cette ferme, l’heure n’était plus à la culture des céréales, mais au ratissage du blé des crédules.

Une heure plus tard, grâce aux explications topographiques de Marie et à l’aide du GPS, j’arrive en vue d’une ferme violemment éclairée par des spots de la gendarmerie. Efficaces, les spots : la ferme est visible à plus de trois cents mètres ! Un matériel ne provenant pas, contrairement à ce que prétend la chanson "Mon spot le gitan", de saisies chez les gens du voyage.

Je peste en mon for intérieur et en français, deux langues que je pratique couramment.

Je fais un pas en direction du mort qui se venge immédiatement : mon pied s’enfonce dans quelque chose de mou et spongieux qui fait « splouitch ». Je braque ma grosse torche de plongeur, inséparable de mes levées de corps, vers le sol. Le tapis est gorgé de sang. Un magnifique tapis persan aux motifs richement détaillés, manifestement un tapis de soie. Comme quoi même la mort ne met pas fin à la lutte des classes. Chez les pauvres, on saigne sur le lino. Remarquez, c’est plus vite nettoyé. Faut voir le bon côté des choses.

– Docteur, vous allez prêter serment d’apporter votre concours à la justice en votre honneur et en votre conscience. Levez la main droite et dites « Je le jure »
– Je le jure.
C’est toujours par cette phrase rituelle que s’ouvre l’intervention d’un légiste devant une cour d’assises. Juste avant, à l’invitation du président en robe rouge, j’ai décliné mes nom et prénom, facile. Mon âge, il faut chaque année que je recalcule. Longtemps j’ai cru qu’on me demandait aussi mes qualités. En fait, il s’agissait de ma profession.

Rien ne sert de cacher la vérité! Elle finit toujours par être exhumée. 

Trouver une solution, c'est discuter du problème.

L’enquête gagnerait en célérité si la victime pouvait expliquer ce qui s’est passé au moment fatal.

Essayer de comprendre, ce n’est pas passer l’éponge. 

Un rapide examen confirme l’existence de l'orifice d'entrée du projectile et l'absence de toute trace de sortie. Le voilà donc doté d'un trou de balle supplémentaire. Plaisanterie à laquelle il avoue avoir déjà eu droit de la part de ses copains.