Citations de Michel Vergé-Franceschi (54)
De fin décembre 1729 à fin janvier 1730, la première région qui s'enflamme en Corse est la Castagniccia, la région de Giacinto Paoli.
Paoli ne rejette pas un pays. Il rejette des institutions. Cela est fondamental. Aux institutions françaises de type monarchique il préfère les institutions anglaises, de type parlementaire, estimées plus libérales par toute l'Europe éclairée du temps.
Paoli se retrouve curieusement inscrit sur un axe Nord-Sud qui relie Edimbourg à la Corse, en passant par Metz et Livourne.
Venise est toujours apparue à une partie des Corses comme un refuge face à Gênes.
Enfin, pays agricole et viticole, mais fort peu peuplé, le royaume a besoin de bras, car les esclaves maures sont insuffisamment nombreux. En effet, "l'esclave se reproduit mal et lentement" (Georges Duby), d'où cette véritable frénésie d'importation de nouveaux esclaves qui va faire du Portugal un royaume littéralement insatiable dans ce domaine.
La réussite vénitienne de cette organisation étatisée a pu inciter dom Henrique à vouloir centraliser à Sagres ses volontés d'expansion maritime. S'offraient alors à lui la possibilité de diriger ainsi la construction et l'armement des caravelles, de choisir ses capitaines, d'imposer ses routes et ses vues, de fixer les points à atteindre sur le littoral africain. La volonté centralisatrice de dom Henrique prend en tout cas naissance quelque part: soit dans l'exemple paternel, soit dans le succès vénitien.
Faire naître Paoli dans une Corse présentée comme archaïque, purement pastorale et bucolique, vivant médiocrement de son pain de châtaigne, de ses fromages de chèvre et de ses pâtés de merle ou de sansonnet serait non pas une hérésie mais une injure à l'île, au passé de l'île, à la culture de l'île.
João Ier d'Aviz n'est donc pas un roi de droit divin. Ce sont les ports portugais qui l'ont porté au pouvoir, soucieux de sauvegarder les orientations maritimes et atlantiques de leur pays, quelque peu mises entre parenthèses durant le règne Fernando Ier (1367-1383).
Cet or africain récolté au Soudan sous forme de "poudre d'or" et de grains (issus de l'orpaillage des rivières), d'éclats ou de pépites (fruits d'une véritable exploitation minière) est extrait de grandes régions réputées aurifères: le Bambouk et le Bouré. Il a très tôt donné naissance à un commerce muet opéré par les marchands du Ghana puis du Mali aux lisières des déserts africains. A endroits fixes, les Noirs déposent de l'or. Les caravanes maures le récupèrent en silence et déposent à sa place des produits maghrébins: maroquinerie, cauris, tissus, barres et bracelets métalliques.
Henrique est en quelque sorte présenté comme le nouveau Saint François d'Assise dont deux siècles le séparent. Comme Saint François (fils de riche marchand drapier issu de la bourgeoisie commerçante d'Assise), il représente l'essor de la bourgeoisie des ports portugais. Comme Saint François, capable de réciter en français les plus beaux chants des troubadours appris en France par son père - d'où son surnom de Francesco qui se substitua à son prénom initial Giovanni - , Henrique est un érudit, un humaniste prérenaissant. Comme Saint François qui combat dans les armées d'Assise et qui est fait prisonnier de guerre à vingt ans avant de devenir soldat des troupes pontificales en 1205, Henrique est en quelque sorte un moine-soldat. Et comme Saint François enfin, ramené à Assise par un songe et transformé en ermite consacré à la prière et à l'aumône, Henrique est devenu l'ermite de Sagres.
Pour Rivarola, Paoli est un nouveau Caton.
Il semble que la mère de Pascal Paoli ait été élevée chez les Ursulines de Bastia. Elle en est visiblement ressortie avec un caractère particulièrement trempé, ce qui est rare pour une jeune fille de son temps!
Or la Corse n'est pas seulement île méditerranéenne, elle est enjeu européen, car sise sur un axe à première vue étonnant : Edimbourg/Corte.
Paoli, adulte, aura un souci majeur : remplacer les bâtons par la plume, la force physique du corps par la force supérieure de l'esprit.
L'Ecosse est en effet un pays rude, souvent comparé à la Corse : hommes brutaux, femmes soumises, dit-on!
En notre siècle de liberté sexuelle, Ninon est partout, symbole de liberté totale, d'indépendance. Femme aux multiples amants, mère célibataire, ouverte à l'homosexualité, "cougar" avant l'heure, Ninon est plus qu'une femme. Elle s'est de son vivant, érigée en symbole au point d'étonner ses contemporains et d'imposer son image à travers les siècles. Elle est "de tous les temps", comme le lui écrit Saint-Evremont depuis Londres.
Le seul roi que l'île de Corse ait eu est Théodore de Neuhoff, né à Metz, évêché français, sis en Lorraine.
La Corse évoque trop aujourd'hui les seuls sangliers, la chasse, la farine de châtaigne, les moufons aux cornes recourbées.
En 1729, les Corses déçus par la Sérénissime sont nombreux, surtout depuis que Louis XIV a bombardé Gênes (17- 22 mai 1684), prouvant à toute l'Europe que Gênes n'était plus qu'une petite république déchue.
Paoli ne peut pas être rapproché de Sampiero, "né de la plèbe" lui aussi. Ni de Napoléon, son cadet de quarante ans, qui fut son admirateur avant de devenir son ennemi.