Milton O. Walsh

Quel genre de rêve avait-elle remisé tandis qu’elle jonglait avec les petits boulots, qu’elle faisait ses achats en ville, qu’ils venaient tranquillement à bout du dimanche en papotant autour des mots croisés ? Et ce qu’on n’avait pas réalisé, était-ce encore seulement des rêves, à bien y songer ? Pouvait-on avoir un destin si on n’en connaissait pas la teneur avant d’avoir parcouru la moitié de son existence ?

Ce que chacun doit savoir, au sujet de Douglas Hubbard, c’est qu’il était, depuis tout petit, un siffleur hors pair. Un miracle vivant, vraiment. Douglas Hubbard savait siffler sur tous les tons, tous les rythmes voulus. Le type était comme un oiseau dans la forêt. Il sifflait constamment, sifflait sans se poser de question, sans que ça ne dérange jamais personne.

Contrairement à ce qu’elle pensait, lui n’avait pas du tout l’impression de dénigrer quoi que ce soit. C’était une expérience insolite, pour eux, d’être assis au même endroit mais de se sentir seuls.

La vie était trop courte. Le temps, une denrée trop précieuse. Son envie, trop puissante. Tout lui semblait évident. Il se blottit contre elle dans la pénombre après avoir parlé, se demandant, au vu du silence, si elle était toujours éveillée, puis si ce n’était pas lui qui dormait, jusqu’à ce que Cherilyn prenne la parole, et lui demande de l’embrasser une dernière fois avec sa moustache. Puis elle murmura que s’il pensait que ça pouvait l’aider à jouer du trombone, elle lui raserait elle-même la balayette.

Il n’avait pas de passe-temps sérieux, réalisait-il, pas de trophées dignes d’intérêt à exhiber et n’avait en rien imprimé sa marque en ce bas monde. Chacun de ces constats démoralisants, comme s’il venait tout juste de les lire dans le journal, prenait à ses yeux la force d’un fait indéniable. Même son boulot de prof, lui dit-il, celui qu’il allait fort probablement exercer pour l’éternité, n’était plus si épanouissant qu’autrefois.

C’était un bon mari, après tout, un garçon prévenant, il voulait réunir autant d’informations que possible avant d’essayer de lui remonter le moral. Il se contenta de s’approcher, observa ses mains qui cornaient quelques pages des magazines ouverts devant elle, son petit nez couvert de taches de son aux narines frémissantes.

Qui aurait pu dire combien de mondes ils s’inventèrent chacun, avant de les laisser échapper aussitôt, tandis que le panache de fumée l’enveloppait ? Il était impossible, même pour elle, d’en tenir le compte. Elle vida l’eau de la casserole dans l’évier, attrapa le lait et le fromage en poudre, et ils passèrent à table.

Là est la question.
Peut-être parce qu’on fait partie des gens qui ont l’habitude de dire, pour plaisanter : « De toute façon, qu’est-ce qui pourrait arriver de pire ? »
Mais quand on est sincère, et seul, la question qu’on se pose, c’est : « Qu’est-ce qui pourrait arriver de mieux ? »

Il avait toutefois entendu suffisamment d’anecdotes ridicules ces dernières semaines, de la bouche de ceux qui avaient tenté le coup, pour se dire que c’était probablement une cause perdue. Il était prof d’histoire, après tout, une espèce à qui on ne la faisait pas.

Autant de changements mineurs dans une vie de couple, suffisants pour inquiéter le mari attentif qu’était Douglas. Il avait mis tout cela sur le compte du stress.