“La mort” est la seule instance à pouvoir opposer son autorité à celle de la conscience humaine et [à]en contester la souveraineté. Mais il ne s’agit pas de cette mort familière – et presque domestiquée – qui fait partie du cycle de la vie, permettant de l’entretenir et de le renouveler, cette mort que l’homme normal , “saturé de jours” comme le dit la Bible, attend comme une délivrance et presque comme un accomplissement. Il s’agit, bien au contraire, de cette autre mort, qui n’est pas celle de la dernière heure, mais qui, restée à l’état sauvage, entoure la vie à chaque instant et la menace comme la pesanteur menace à chaque instant le marcheur ; elle est la manifestation immédiate du néant cosmique et éternel contre lequel la vie se dresse et tente de résister, comme une opposition passagère, menacée et en fait condamnée à l’avance.
La vie – remarquait Claude Bernard – est l’ensemble des forces qui s’opposent à la mort” ; mais cette opposition est gouvernée par une loi précise et suit un chemin bien étroit. Car si “tout est permis” à la conscience, tout ne permet pas de vivre. L’action doit se conformer aux lois de la vie ; lorsqu’elle s’en éloigne, elle introduit subrepticement la mort au cœur du vivant sous la forme de “ce qui est honteux et vicieux” ; cette mort en sortira à son heure comme une “expiation”, dénoncera, condamnera et engloutira ce qui désormais lui appartient.
“Tout ce qui est honteux et vicieux porte en soi la mort et tôt ou tard trouve son expiation”, rappelle soudainement Dostoïevski [dans Journal d’un écrivain,] dévoilant le fondement absolu de toute réaction contre la modernité.