Mochtar Lubis

Quelque part en Indonésie, sept villageois regagnent leur village après une semaine passée dans la jungle pour récolter la résine. Après avoir abattu un cerf pour rapporter de la viande, le groupe est traqué par un vieux tigre affamé qui s’apprêtait à attaquer le cervidé. L’un d’entre eux est saisi par l’animal qui le traîne dans la jungle pour le dévorer. Ses camarades se ruent à sa poursuite et parviennent à l’arracher aux griffes de l’animal. Persuadée d’avoir été attaquée par un tigre fantôme envoyé par Dieu pour punir les hommes de leurs péchés, la victime commence à avouer ses fautes et celles du chef du groupe dont le passé trouble refait surface.

Dès lors, s’installe un climat de peur et de défiance entre les villageois à l’ombre de la menace du tigre qui reste sur sa faim. Chacun d’entre eux fait son examen de conscience et se remémore ses fautes passées. Leur chef, un homme charismatique, expert en arts martiaux et pouvoirs occultes, se sent menacé dans son pouvoir. Au fil du récit, les masques tombent.



Non, ce roman n’est pas un récit d’horreur. Seule œuvre traduite en France de l’écrivain indonésie Mochtar Lubis, cette fable politique dénonce les dérives autoritaires du gouvernement de Sukarto, premier président de l’Indonésie. Arrêté en 1956, Mochtar Lubis passa 9 ans en résidence surveillée et en prison.

A travers les personnages de Tigre ! Tigre ! l’auteur dénonce l’hypocrisie du pouvoir, la corruption et l’emprise de la religion quand celle-ci utilise la superstition et la magie comme moyens de contrôle des populations. La nature, omniprésente dans sa puissance féconde et sa présence menaçante, rappelle aux villageois la fragilité de l’existence humaine. Ceux-ci prennent alors conscience de leur humanité qui ne peut prendre corps que dans la fraternité menacée à tout moment par notre désir insatiable, tigre affamé qui rôde invisible dans la jungle de notre âme. « Tue d’abord le tigre qui est en toi… ».

Résumons : quand ils partent récolter la résine dans la Jungle d'Indonésie, ils sont sept mais au retour, ils ne seront plus que 3 …



Qui est passé par là ? le Tigre bien sûr ! Mais il y a Tigre et Tigre : il y a d'abord "nenek" qui signifie "grand-mère", car le féminiser et le tenir pour un animal âgé constitue une stratégie de défense imaginaire contre le Tigre rôdant dans la Jungle. Mais il y a aussi le Tigre "esprit", envoyé pour se venger d'un crime, et enfin ces Tigres intérieurs contres lesquels nous luttons ou que nous subissons, finalement les plus dangereux.



Histoire passionnante avec une morale, qui appelle les hommes à ne pas se laisser corrompre par le pouvoir. Ainsi, Pak Haji, musulman qui avait perdu la foi, renoue avec Dieu au moment de mourir et laisse cet enseignement aux jeunes : "Je suis désormais conscient qu'on ne peut éduquer et former l'humanité qu'avec de l'amour et non avec de la haine […] Rappelez-vous que la vie des autres est identique à la vôtre, et qu'avant de tuer ce tigre féroce, il vous faut d'abord tuer le tigre qui habite en vos coeurs. Vous comprenez ? Croyez en Dieu. Dieu existe. L'Homme a besoin de Dieu…". Cet enseignement d'un homme mourant permettra aux plus jeunes de faire les bons choix à la fin du récit.

Après une récolte de résine plus que satisfaisante au coeur de la jungle indonésienne, sept hommes aux personnalités très différentes rentrent chez eux. Mais très vite, ils se rendent compte qu'un tigre est sur leurs traces. Les hommes traqués doivent affronter le prédateur qu'ils voient comme une punition envoyée par Dieu, mais aussi les tigres qui sommeillent en eux. Examen de conscience, hypocrisie, abus de confiance, trahison, déception, révélation…Mochtar Lubis nous mène loin dans la jungle hostile et les consciences pas vraiment tranquilles.



J'ai apprécié le côté très dépaysant du cadre de l'histoire et la traque qui engendre tout un tas de rebondissements : qui va survivre, quels secrets vont encore être révélés? Mais ce roman ne m'a pas conquise entièrement. Le côté religieux sur le repentir et le respect des valeurs et traditions ainsi que les sous entendus politiques ne sont pas ma tasse de thé. Je reconnais cependant l'audace de l'auteur de dénoncer de façon subtile les turpitudes du pouvoir en place en Indonésie. Il a d'ailleurs obtenu une reconnaissance internationale pour ses écrits mais a aussi effectué plusieurs séjours en prison.