Tu es si crédule et dénuée de faculté de raisonner que la lecture va imprimer ton esprit dans une direction vicieuse. Ton imagination est bien trop impressionnante. Crois-moi, toutes ces visions déformées de la réalité vont irriter ton système nerveux et te donner des vapeurs !
Quelle erreur pour une femme d'attendre que l'homme construise le monde qu'elle veut, au lieu de le créer elle- même.
Anaïs Nin
Laisse les souvenirs apaiser ta douleur,
Je ne suis pas loin, et la vie continue...
Si tu as besoin, appelle-moi et je viendrai,
Même si tu ne peux me voir ou me toucher, je serai là,
Et si tu écoutes ton cœur, tu éprouveras clairement
La douceur de l’amour que j’apporterai.
Gabrielle fixe Victor avec un poids sur le cœur. Il la complimente pour un morceau de papier, mais pas pour son art de l'obstétrique, une discipline révolutionnant les mentalités. Elle sait que, comme tous les hommes, il considère l'exercice des accouchements avec répulsion.
Même les médecins trouvent ce travail dégradant. Les chirurgiens peuvent opérer et verser le sang, mais pas le sang vaginal ! Voilà la raison pour laquelle ils concèdent aux femmes ce territoire médical, eux qui adhèrent à cette croyance stupide qu'une femme pendant son flux menstruel est impure et détient un pouvoir maléfique. À son approche, les grains perdent leur fécondité, les essaims d'abeilles meurent, la chair du cochon pourrit. Si la société lui laissait le choix, Gabrielle étudierait pour aller plus loin encore et pour devenir docteur en médecine. Comme elle voudrait être un homme pour s'accomplir réellement ! L'envie de se confier à Victor s'évanouit aussi vite qu'elle s'est manifestée. Son ambition n'est que rêve.
Et si survivre, c'était de ne pas tuer la révolte qui coule dans ses veines ? Être en colère, crier, se faire punir, c'est être vivante.
L’eau-de-vie vous redonne des couleurs.
Une nouvelle existence nous attend. Là-bas, tout est différent, et la vie, bien meilleure. Le droit de pêche et de chasse est accordé ! On mange de la viande tous les jours ! Tu ne sauras plus où donner de la cognée avec la quantité d’arbres à abattre !
Le mauvais temps n’exprimait pas pour eux la colère divine. Dans ce lieu familier, ils ne voyaient ni diables danser dans le balancement des branches ni êtres maléfiques derrière les troncs des chênes et des hêtres, dont les flammes vives réchauffaient les maisonnées. Le blanc fantôme d’une effraie, qui s’élança d’un vol silencieux vers quelque victime en poussant une longue plainte terrifiante à leur vue, ne symbolisa pas le malheur. Aucune croyance ridicule ne les poussait à crucifier les chouettes sur la porte des granges pour éloigner les mauvais esprits.
Les barbares se convertissent uniquement par intérêt, pour en tirer les bénéfices, ou par attraction envers les missionnaires. Ils ne les contredisent pas et se prêtent à tout par politesse, qui n’est que dédaigneuse courtoisie. Finalement, ils n’en font qu’à leur tête et retombent vite dans leurs défauts, oubliant les règles, dès que leur course à travers les bois les éloigne de l’instruction des religieux. Cela ne les dérange pas de combiner l’enseignement de l’Église avec leurs croyances traditionnelles.
À l’allégresse de quitter le navire après un trop long voyage et de se lancer à la découverte d’un nouveau monde s’unit la nostalgie de leur ancienne existence. Allaient-ils connaître le désenchantement ? Ils prirent conscience de leur exil et de leur éloignement de toute civilisation devant les Indiens primitifs, effrayants, dont ils ignoraient les mœurs, et devant cette forêt qui poussait à l’infini, pleine de dangers.