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3.41/5 (sur 16 notes)

Nationalité : Jamaïque
Né(e) à : Kingston , le 20/12/1960
Biographie :

Nalo Hopkinson est une romancière de science-fiction et de fantasy.

Son père est l'écrivain guyanais Abdur Rahman Slade Hopkinson. Elle a obtenu le Warner Aspect First Novel Contest en 1997 et le prix Locus du meilleur premier roman en 1999 pour "La Ronde des esprits" (Brown Girl in the Ring, 1998) ainsi que le prix World Fantasy du meilleur recueil de nouvelles en 2002 pour "Skin Folk".

Elle a vécu à Toronto au Canada de 1977 à 2011. Elle a occupé le poste de responsable des subventions de recherche à Toronto Arts Council.

Nalo Hopkinson vit à Riverside en Californie du Sud où elle est professeur de l'écriture créative à l'Université de Californie à Riverside (UCR) depuis 2011.

son site : http://nalohopkinson.com

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Nalo Hopkinson: 2012 National Book Festival


Citations et extraits (8) Ajouter une citation
Je lui avais parlé de ce groupe d'activistes Sioux et de leur combat contre une université dont le département d'archéologie avait déterré un de leurs lieux de sépultures ancestraux. Je suis Sioux du côté de ma mère, de la tribu des Rosebuds. Quand le chef du département avait refusé de revenir sur sa décision, ces gars-là s'étaient rendus une nuit, au cimetière où son arrière-grand-mère était enterrée. Ils avaient déterré ses restes, exposé tous les os et les avaient étiquetés. Ils firent de la prison, mais l'université avait rendu les dépouilles de leurs ancêtres au conseil.
Une bouteille à la mer
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« REMETTRE LES PENDULES A L'HEURE »

Interview de Nalo Hopkinson par Terry Bisson

- Votre travail est souvent décrit, y compris par vous-même, comme une « subversion du genre ». Est-ce que cela n'est pas contraire aux règles ? Ou du moins grossier ?
- La Science-Fiction est-elle censée être polie ? Bon sang, peut-être devrais-je me mettre à la poésie. En vérité, je regrette le jour où j'ai laissé paraître cette citation au grand jour. Je l'ai utilisée dans une demande de subvention canadienne, il y a quinze ans. A cette époque-là - quand très peu d'écrivains de science-fiction et de fantasy recevaient des subventions des conseils des arts car la plupart des jurés pensaient que la science-fiction et la fantasy étaient, par essence, immatures - ça a fonctionné. Cela m'a permis de monter sur le ring et d'attirer l'attention du jury. Mais ça sonne présomptueux si c'est dit devant la communauté de la science-fiction. Je ne me souviens pas comment ça s'est propagé de ma demande de subvention confidentielle au grand public. Je suis probablement la responsable, ma propre folie.
Maintenant, ce maudit truc n'arrête pas de me revenir en pleine face pour me hanter. Les gens la citent partout, et je me sens rougir d'embarras. La science-fiction et la fantasy s'attellent déjà à renverser les paradigmes. J'adore ce côté-là.
Et pourtant, pour être honnête, il y a une part de vérité dans toute cette histoire de vantardise. Personne ne me forcera à renoncer à cette littérature que j'aime, faite par des écrivains hétérosexuels, blanc, occidentaux, hommes (et femmes), mais à un moment donné, je désirais ardemment voir d'autres cultures, d'autres esthétiques, d'autres histoires, d'autres réalités et corps représentés en force aussi. Il y en avait quelques-uns. J'en voulais plus. Je crois que je suis en train de le faire.
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Par le plus grand hasard, il s’avère que le vernissage de mon exposition à Eastern Edge tombe pile quand Babette et Sunil sont en ville. « Fouilles », c’est son nom. L’idée m’est venue après le petit épisode de Russ et la fourmilière. J’ai pelleté près d’une demi-tonne de terre, récupérée sur un site archéologique local. J’aurais voulu la prendre directement au Mexique mais on fait avec ce qu’on a. J’ai semé la terre de nombreuses petites reliques historiques contemporaines que les scientifiques avaient rejeté dans leur quête du passé emblématique des autochtones de la région : une botte en caoutchouc qui a appartenu à un zapatiste maya du Chiapas, un récipient en plastique qui contenait de la Javel avant d’être réhabilité comme seau à l’usage des enfants pour transporter de l’eau, un morceau de couverture en laine faite main et marquée de taches marron. A l’entrée de l’exposition, les gens prennent des outils de fouille basiques. Dès qu’ils déterrent un objet, l’histoire de cette relique se lance sur l’un des écrans au-dessus.
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Bonjour. Je voudrais remercier l’Association internationale du fantastique dans les arts pour évoir dédié, cette année, l’ICFA aux questions de race dans la littérature du fantastique, et pour avoir invité M. Tatsumi, M. Yep, moi-même, et beaucoup d’autres, à intervenir sur le sujet.
Le premier sujet que je voudrais aborder est…
[ÊTRE PRISE DE VERTIGES PUIS DEVENIR LA MONTURE]
Oh – waouh. Ça a marché. Je suis là. [REGARDER MES MAINS, PUIS L’AUDIENCE]
Mes chers, ne soyez pas alarmés, je vous prie. Je ne vous veux aucun mal. Vraiment pas. Je ne chevauche la tête de cette jument que pour un petit instant, je vous le promets. Ne me faites pas de mal, je vous prie. C’était une mesure désespérée. Il semble que ce soit le seul moyen pour communiquer directement avec vous.
Je viens d’une autre planète. Cela fait des décennies que nous recevons des transmissions de la vôtre, qui nous sont destinées semble-t-il. Nous sommes ravis et honorés mais aussi perplexes. Nos meilleurs traducteurs ont formé des équipes pour décrypter vos messages, mais il nous est sincèrement difficile de dire si ce sont des gestes d’amitié ou d’agression. Comme vous pouvez l’imaginer, c’est très important pour nous de savoir. Si c’est en effet de l’amitié, nous serions ravis de réciproquer. Si c’est de l’agression, eh bien, comme dirait l’un de nos groupes ethnoculturels : « Ne commence rien, tu n’auras rien en retour. »
Je me dois d’être très claire : je ne représente pas toute ma planète. Je ne représente pas non plus tout mon groupe ethnoculturel. Ni même tous les traducteurs assignés au projet ; essayez d’en trouver deux en accord sur la même chose… Il y a eu des désaccords fougueux entre nous pour savoir si je devais tenter cette méthode désespérée pour communiquer directement avec vous. En fin de compte, pour tout vous dire, je me suis éclipsée quand personne ne regardait.
[TRITURER MES VÊTEMENTS]
Eh bien, cette monture s’habille de la plus inconfortable des manières, ne trouvez-vous pas ?
[ENLEVER MA CHEMISE POUR RÉVÉLER T-SHIRT AVEC MESSAGE « CELLE QUI S’ADRESSE AU PEUPLE BLANC »]
Ça ? Ce n’est que mon nom, chers amis. Ou mon titre, si vous préférez. J’espère, en tout cas, pouvoir vous appeler mes amis. Cependant, pour assurer ma protection, ou du moins garder une trace de ce qui se passera aujourd’hui, je suis accompagnée par mon partenaire Danse avec les Blancs, et son appareil d’enregistrement.
[MONTRER DAVID FINDLAY EN TRAIN DE FILMER] Je le répète, ne soyez pas alarmés. Ce n’est, en aucune façon, une arme.
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En plein milieu de RaceFail 09, j'ai entendu certains des Blancs dans la communauté se déclarer furieux face à la rage affichée par les personnes de couleur, et dire que nous ne méritions pas d'être écoutés si nous ne savions pas rester polis. Je n'arrivais pas à comprendre ce qui me chiffonnait dans ces déclarations jusqu'à ce que je lise un post dans lequel ma collègue, l'écrivaine Nora .Jetnisin, commentait RaceFail. Elle y faisait la remarque que les échanges sur les questions de race dans notre communauté s'étaient déroulés poliment pendant des décennies. Et bien qu'il y ait eu du changement, il a été minimal. Quand nous, les gens de couleur, nous sommes enflammés, il y a eu, tout à coup, plus d'entre vous à prêter attention. C'est ça le truc. J'ai toujours dit que si vous me marchiez sur le pied une ou deux fois, je vous demanderais sûrement poliment de faire attention. Mais au bout de la millième fois, l'excuse « Je ne t'avais pas » commence diablement à ressembler à « Tu m'importes trop peu pour que je fasse attention. »
La réaction violente des personnes de couleur face à RaceFail a poussé plus de gens à faire attention.
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La ferme Riverdale avait été un espace récréatif, propriété de la ville ; une ferme active, réplique du modèle précédent qui avait occupé ces terres au XIXe siècle. Les Torontoniens avaient l’habitude de s’y rendre pour regarder les fermiers traire les vaches et ramasser les œufs des poules. La maison Simpson n’était pas une vraie maison, seulement une façade que le Département des Parcs avait construite pour ressembler à la ferme originelle. Il y avait un perron qui donnait accès à un court vestibule. À gauche et à droite du vestibule se trouvaient deux petites pièces où l’équipe de Riverdale dirigeait des ateliers de tricot et de broderie. Mami utilisait la pièce de droite avec sa cheminée comme salon et salle à manger ; celle de gauche constituait la salle d’examen. À l’étage, les deux bureaux qui s’y trouvaient avaient été convertis en chambres à coucher : une pour elle, et l’autre pour Ti-Jeanne et Mi-Jeanne. Depuis que Mi-Jeanne était partie, Ti-Jeanne partageait sa chambre avec son petit garçon. Les pièces arrière de la maison avaient servi de toilettes publiques pour hommes et femmes ; mais elles n’étaient plus utilisées dans une ville dorénavant privée de système d’égout. Les fidèles de Mami avaient construit une fosse d’aisance à l’extérieur et ils avaient converti les toilettes en chambre froide et en cuisine aérée, où elle préparait les repas sur un four à bois que quelqu’un lui avait apporté.
– Tu m’écoutes, Ti-Jeanne ? Pour les démangeaisons des pieds, tu dois écraser de l’ail, le mélanger avec du gros sel et appliquer le tout entre les orteils. Cela règle le problème.
Mami Gros-Jeanne veillait constamment à instruire Ti-Jeanne sur son travail de guérisseuse.
– Oui, Mami.
– Cette portion-là, c’est pour Papa Butler. Il viendra la prendre dimanche. J’ai dit à cet homme qu’il devait laver ses pieds chaque jour. Il porte la même paire de chaussettes puantes de septembre à juin. Imbécilité !
– Oui, Mami.
– Et qu’est-ce que l’on met sur une coupure pour la guérir ?
Merde ! Encore un de ces tests imprévus de Mami.
– Ah, de l’aloès ?
– Et si on ne peut pas trouver de l’aloès ? Quelle est la plante canadienne qui la remplace ?
Merde encore ! C’était une plante portant le nom d’une plante tropicale, mais ce n’était pas la même chose. Quoi, quoi ? Ah, oui :
– Feuille de banane verte.
Sa grand-mère grogna. Ti-Jeanne avait donné la bonne réponse, mais ce grognement serait sa seule note de passage. Elle soupira de dépit.
– Et contre le mal de tête ?
Cette question-là était facile.
– De l’écorce de saule.
Tony avait taquiné une fois Ti-Jeanne au sujet de sa grand-mère :
– Qu’est-ce que cette vieille folle fait là sur la ferme Riverdale, hein, Ti-Jeanne ? De l’Obeah ? Personne ne croit plus à ces histoires d’esprits !
– Il ne s’agit pas d’Obeah, Tony ! Mami est une guérisseuse, une voyante ! Elle fait du bien, non pas du mal !
Mais Ti-Jeanne n’en était pas convaincue elle-même. Il y avait ces sons de tambour qui provenaient du crématoire de la chapelle tard au cours de la nuit. Les gémissements et les cris des fidèles. Le sang coagulé sur le plancher du crématoire le matin, mélangé au maïs concassé. Il était évident que des gens autres que Mami croyaient encore à ces « histoires d’esprits ».
Ti-Jeanne ne croyait pas tellement aux remèdes fokloriques de Mami. Parfois les herbes conservées durant les longs et pénibles hivers de Toronto perdaient leur efficacité. Et on n’avait alors plus qu’à trouver le bon dosage. Par exemple, l’écorce de saule était un bon calmant, mais une surdose provoquait des saignements internes. Ti-Jeanne aurait préféré l’utilisation des remèdes commerciaux. Elles pouvaient toujours s’en procurer, et avec sa formation d’infirmière Mami savait comment les prescrire. On lui apportait presque chaque jour de ces produits pillés dans les pharmacies pendant les Émeutes qui eurent lieu lorsque la ville en banqueroute avait licencié son corps de police. Les gens n’avaient aucune idée de la signification des étiquettes en matin sur les paquets ; ils pensaient seulement qu’ils seraient appréciés équitablement par Mami en échange des soins qu’elle leur prodiguait.
Elle avait accumulé tout un stock d’antibiotiques et de calmants ; Ti-Jeanne ne comprenait donc pas pourquoi Mami persistait à tenter de lui enseigner toute cette panoplie de vieilles recettes. Si Mami ne savait pas comment guérir quelque chose, elle pouvait trouver les renseignements dans un de ces livres médicaux qui s’empilaient le long des murs de la maisonnette.
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Aussitôt qu’il entra dans la pièce, Baines s’époumona :
– Trouvez-nous un cœur humain convenable, vite !
– Tonnerre de Dieu ! jura Rudy, estomaqué. Rien que ça ?
Il dévisagea l’employé effrayé de l’hôpital des greffes de l’Ange de la Miséricorde, situé près de Feu. À l’évidence, Douglas Baines ne s’était jamais aventuré auparavant dans le quartier de Rudy. L’individu rondelet s’était présenté vêtu d’un manteau pare-balles de mauvaise qualité qui traînait par terre, et dont le gabarit en tonneau étirait les boutonnières. Il avait l’air idiot, et il semblait le savoir.
Rudy regarda Baines rendre le manteau pare-balles à Melba. Il portait un veston mal coupé et une chemise blanche miteuse bon marché. Rudy balaya du revers de la main un duvet inexistant sur la manche de son propre complet de laine fait sur mesure. L’absence évidente de protection traduisait son propre message. Le patron était sans doute protégé par d’autres moyens.
– Assieds-toi, l’ami.
D’un mouvement du menton, Rudy indiquait le siège en plastique dur de l’autre côté de son bureau. Son siège à lui était un fauteuil confortable rembourré en cuir, couleur d’ébène.
Baines s’installa en tambourinant nerveusement sur l’étui de son agenda électronique.
– Nous avons besoin d’un cœur, répéta-t-il. C’est… Comment dire… pour une expérience. Nous espérons que vos gens puissent nous aider à en dénicher un.
Quelque chose semblait clocher pour Rudy.
– Et pourquoi n’utilisez-vous pas le cœur d’une truie ? N’est-ce pas pour ça que vous élevez des cochons dans les fermes ?
– Oui, bien sûr, le Programme de Récolte des organes porcins a révolutionné la technologie des greffes humaines…
Hé hé, il baragouine le jargon officiel, se dit Rudy. À la façon qu’il a d’utiliser des mots ronflants, ça doit être quelque chose de gros. Rudy s’accouda sur son bureau et déplia ses doigts en faisant miroiter l’anneau d’or qu’il portait au pouce.
– Je t’écoute.
– Eh bien, je crains que le matériel porcin ne fasse pas l’affaire dans ce cas. Question d’éthique, vous comprenez ?
Dès qu’il entendit le mot « éthique », Rudy fut tout à fait convaincu qu’il savait de quoi il était question. L’homme répétait les paroles de quelqu’un d’autre. Rudy fit un sourire triomphal à Baines.
– Il s’agit d’Uttley, n’est-ce pas ? Vous cherchez une greffe du cœur pour elle, et elle ne veut pas que vous lui mettiez du cochon dans le corps ?
– Du cochon ?
– Du cochon.
Baines paraissait troublé, puis d’un air résigné il haussa les épaules :
– Foutre ! Je déteste ça. Je ne veux que faire mon boulot, vous savez ?
Rudy regardait Baines calmement, ce qui le mettait de plus en plus mal à l’aise.
– Tout ceci restera entre nous, bien sûr ? bredouilla Baines.
– Mmmmm.
– Ben, ouais, il s’agit de Madame le Premier ministre Uttley, en effet. Elle exige un donneur humain. Elle dit que les fermes d’organes porcins sont immorales. Vous connaissez le refrain : la greffe d’organe humain devrait relever du secours d’un humain à un autre, et non pas de l’exploitation de créatures innocentes, tra-la-la, tra-la-la… Elle demeure persuadée que si elle doit recevoir un nouveau cœur, il lui sera donné par la population. Mais bon, elle se fourre le doigt dans l’œil : presque personne au monde ne dirige des programmes de donneurs volontaires de nos jours.
Mais sa position lui vaut l’appui des électeurs. Les sondages penchent en sa faveur depuis qu’elle a lancé cette histoire de « Créatures de Dieu ». Elle pourrait même être reconduite à son poste l’année prochaine. Et il semble bien qu’elle ne veuille rien laisser au hasard, non plus.
En tout cas, quelqu’un se démène royalement en douce pour que les hôpitaux obtiennent un cœur humain pour elle. Cela amènerait de bonnes affaires pour l’Ange de la Miséricorde si nous étions celui-là. Ça nous filerait un sacré coup de main !
Rudy se replia derrière un masque d’ennui.
– Et en quoi ça peut bien nous concerner ? Notre meute n’a rien à foutre avec la politique. C’est nous qui contrôlons les choses maintenant.
C’était vrai. Le gouvernement avait abandonné le centre-ville du Toronto Métropolitain, et cela convenait parfaitement à Rudy.
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Ti-Jeanne voyait au-delà des apparences. Parfois, elle pressentait comment quelqu’un allait mourir. Quand elle fermait les yeux, elle se rappelait les comptines que sa grand-mère lui chantait. Des images dansaient sur l’air de ces chansons : le corps de celui-ci tressautait sous une rafale de feu et de sang ; celui-là se tordait alors que des crampes d’estomac réduisaient ses intestins en bouillie. Ces morts étaient toujours violentes. Ti-Jeanne détestait ces visions.
Au rythme des balancements du cyclo-pousse, elle tenait Bébé, entourant sa petite tête d’une main pour la protéger des soubresauts. Indifférent au mouvement cahotant du cyclo-pousse, Bébé essayait de sucer son pouce. Ti-Jeanne retint sa main pour y glisser une petite mitaine bleue.
– La rue Sherbourne, au coin de Carlton, dit-elle au conducteur.
– Pas de problème, madame, répondit-il d’un ton essoufflé. Vous ne pensez pas que je me dirigerais vers Feu, quand même !
Le cyclo-pousse atteignit l’intersection des rues Sherbourne et Carlton en peu de temps. Ti-Jeanne descendit, prit le bébé et le paquet sous son bras, et paya la course. Elle ferait le reste de la route à pied, en direction de la cour des baumes de la vieille ferme Riverdale dans laquelle sa grand-mère avait emménagé.
Le conducteur s’en alla rapidement, sans attendre d’autres clients. Poltron, se dit Ti-Jeanne tout bas. On était en sécurité tout de même, de ce côté-ci de Feu. Les trois pasteurs des églises coréenne, unie et catholique qui encerclaient le coin s’étaient entendus pour prendre le contrôle de la plupart des édifices depuis ce carrefour jusqu’à l’ouest de la rue Ontario. Ils s’occupaient des gens de la rue avec fermeté, protégeant leurs ouailles et leur territoire avec des battes de base-ball si nécessaire.
Ti-Jeanne frissonna dans l’air frais d’octobre et hissa Bébé plus haut sur sa hanche. Le paquet qu’elle transportait contenait quatre livres rongés par les vers et retenus par un lacet. Sa grand-mère serait contente d’apprendre ce qu’elle avait eu en échange de l’onguent contre l’eczéma. Lorsqu’elle s’était présentée pour livrer le médicament, elle avait trouvé M. Reed, qui s’était institué bibliothécaire de la ville, juché au dernier échelon d’un escabeau dans le vestibule de la vieille bibliothèque Parkdale. Il collait des découpures de journaux sur le tableau d’affichage.
– Hé, Ti-Jeanne, que penses-tu de mon étalage ?
Il était descendu de son escabeau et le déplaça pour qu’elle puisse mieux voir son oeuvre. Au haut du tableau elle lut un message écrit à la main : « Toronto ou la création d’un trou de beigne. »
Il avait découpé des manchettes de journaux datant de douze, treize ans, et les avait collées par ordre chronologique.
– Que voulez-vous dire par « trou de beigne » ? lui demanda Ti-Jeanne.
– C’est ce que l’on dit lorsqu’un centre-ville s’effondre et que les gens s’enfuient vers les banlieues, répondit-il. Juste un petit peu d’histoire. Vous aimez ça ? […]
« C’est bien », dit Ti-Jeanne avec hésitation, ne sachant pas trop quoi dire à l’homme. Tout cela était une vieille histoire. Qui s’en préoccupait encore ? Elle lui avait donné son médicament. En retour, il avait farfouillé dans ses tas de livres et déniché une encyclopédie de symptômes médicaux, deux livres de jardinage, et là… la trouvaille : Les Plantes sauvages des Caraïbes et leurs usages.
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