Natasha Walker

Ils venaient de faire l’amour. C’était merveilleux et totalement spontané. Heureusement, les voisins ne risquaient pas de les espionner, là où ils se trouvaient. Elle adorait ces instants d’intimité, même si leurs ébats manquaient un peu de piquant. Les besoins sexuels d’Emma paraissaient démesurés par rapport à ces moments de profonde tendresse. Une épaule contre laquelle se blottir, la tiédeur d’un corps contre le sien, des étreintes, des baisers, des caresses, un confort douillet. Sur ce plan, David était le meilleur des amants et paraissait également être le plus heureux des hommes.
L’amour avec lui était vraiment fantastique. Le problème n’était pas là. Il se situait ailleurs.
Sa vie sexuelle avait été particulièrement intense avant son mariage. Elle ne voyait pas comment combiner les deux. Du coup, elle se perfectionnait dans l’art du mensonge, à mesure que sa marge de manœuvre se réduisait.
Mais plus elle aimait David, plus l’idée de lui déplaire lui était insupportable.

La satisfaction intellectuelle de la séduction entraînait une profonde plénitude physique qui la plongea dans un état proche de la transe, à l’égal de celui que devait ressentir son jeune amant, du moins le supposait-elle. Sensation inédite, car dans sa course folle à la poursuite du plaisir, du toujours plus – « Donne, donne-moi, donne-moi encore et encore », telle aurait pu être sa devise –, elle n’avait jamais pris le temps d’y réfléchir. Elle ne s’était jamais glissée dans la peau d’un garçon quand elle était au lycée. Quant aux filles, elle les avait méprisées souverainement – ces petites dindes repues qui se satisfaisaient de petits bonheurs et qui, à sa profonde consternation, semblaient tirer la plus grande félicité de leur développement sexuel tardif.

Elle aimait rêvasser. Tout naturellement, elle se remémora des souvenirs figés sur des photos un peu ratées ou des vidéos amateurs à l’image pas toujours nette et à l’éclairage approximatif. Heureusement, elle avait le réservoir inépuisable de son imagination fertile. Des bribes surgissaient de son passé, d’autres étaient pure invention, la plupart s’imbriquaient, s’entremêlaient dans un perpétuel flux et reflux. Certains épisodes se répétaient, partaient, revenaient, se modifiaient, l’abusaient par de nouvelles visions, sons ou sensations. Son corps, auquel elle laissait une entière liberté, s’accordait aux jeux de son esprit.

Pour Emma, le sexe était une gourmandise essentielle, mais, comme dans tout régime alimentaire qui se respecte, elle avait besoin d’une nourriture appétissante et variée.

Emma n’avait pas trompé son mari durant trois mois pleins. Cela peut sembler court, surtout si l’on considère que la fidélité dans le mariage est censée durer toute la vie, mais Emma estimait exactement ainsi la durée de la fidélité conjugale : quatre-vingt-neuf jours. Il s’agissait là d’un mode de respect du serment marital qui lui était personnel, bien moins hypocrite que la loyauté diluée, communément répandue parmi les couples.

Elle avait été rattrapée par la réalisation du fantasme qu’elle avait mis en place – celui de déniaiser un jeune homme et de lui apprendre les jeux de l’amour –, et de professeur elle était devenue élève, aussi. Tel est pris qui croyait prendre… Toutes ses années d’intrigues amoureuses et de scénarios torrides étaient comme balayées par le simple gémissement langoureux qu’elle n’avait pu retenir.

Elle lui décocha un sourire éclatant. Il était si charmant, si désireux de lui plaire, de ne pas la vexer. Elle le sentait sur le point de craquer, entièrement à sa merci. Elle pouvait en faire ce qu’elle voulait. Elle avait l’impression d’être redevenue une adolescente énamourée et décida de tester son pouvoir de séduction.

Pour Emma, la sexualité devait être conduite à dessein, même si elle ne devait subir aucune règle de nature à l’enfermer dans un carcan. Le mariage imposait un modèle traditionnel qui envahissait tous les compartiments de l’existence. On ne vous traite pas de la même façon une fois que vous avez convolé en justes noces

Vivre avec un homme sans être mariée ne comporte pas les mêmes risques en cas d’infidélité de l’un des partenaires. Un séducteur, ou une séductrice, accordait sans doute une certaine valeur aux liens du mariage et conquérir une personne mariée requérait une subtilité qui n’était pas forcément de mise le reste du temps.

La simple idée de partager sa vie avec quelqu’un lui semblait désormais inconcevable, même si le pari lui avait paru réalisable avant le mariage. Seulement, comme chacun sait, la théorie est une chose, la pratique une autre. A présent, elle en avait conscience, c’était devenu totalement impossible.