« Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père », déclare le Christ dans l'évangile de Jean. Si les différentes Églises chrétiennes ont fondé des traditions dissemblables, leur dessein est cependant de s'unir en Dieu.
Retraçant l'aventure oecuménique à travers ses grandes figures, dates et étapes, Antoine Arjakovsky montre comment, par-delà la réunion des baptisés, elle permet d'envisager et d'appréhender la nécessaire convergence entre les croyants du monde entier. Prenant appui sur Nicolas Berdiaev, John Milbank, mais aussi Emmanuel Levinas ou Abdennour Bidar, reprenant l'esprit de rapprochement entre les Églises chrétiennes initié en Europe au XXe siècle et de la rencontre interconfessionnelle d'Assise en 1986, il dessine une voie de conciliation entre chrétiens, juifs, musulmans mais aussi hindouistes et bouddhistes, afin de dégager une conception de l'oecuménisme plus juste, plus vraie, plus paisible et plus respectueuse de l'environnement à l'échelle planétaire. Il y parvient en proposant une science nouvelle fondée sur une métaphysique résolument oecuménique.
Une profession de foi en l'espérance.
Fondateur en 2004 à Lviv, en Ukraine, du premier Institut d'études oecuméniques en ex-URSS, directeur de recherche au Collège des Bernardins, enseignant de science oecuménique à l'Institut chrétiens d'Orient et président de l'Association des philosophes chrétiens, Antoine Arjakovsky est l'auteur, entre autres, de Qu'est-ce que l'orthodoxie ?
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La pensée européenne de notre temps a définitivement séparé la connaissance d’avec la foi, la philosophie d’avec la religion. La philosophie européenne s’est renouvelée en protestant contre la situation qui lui était imposée au Moyen-Âge, elle s’est pleinement différenciée en s’opposant consciemment à la foi et à la religion.
Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu'on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : Comment éviter leur réalisation définitive ?... Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d'éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins "parfaite" et plus libre.
L’esprit est toujours vérité, vérité orientée vers l’éternel. L’esprit échappe au temps et à l’espace. Par son caractère intégral, il s’oppose au morcellement temporel et spatial. L’esprit n’est pas être, mais il est le sens de l’être, la vérité de l’être. L’esprit est également intelligence, mais une intelligence intégrale. L’esprit est aussi bien transcendant qu’immanent. En lui le transcendant devient immanent et l’immanent transcendant. L’esprit n’est pas identique à la conscience, mais la conscience se construit par l’esprit, et c’est aussi l’esprit qui transcende les limites de la conscience, qui atteint au supraconscient. L’esprit présente un aspect prométhéen, il se révolte contre les dieux de la nature, contre le déterminisme du destin humain ; l’esprit est une évasion, une évasion vers un monde supérieur et libre.
L’individualisme, l’atomisation de la société, la concupiscence déréglée du monde, le surpeuplement indéfini et la pléthore illimitée des besoins, la déchéance de la foi, l’affaiblissement de la vie spirituelle : autant de causes qui ont contribué à édifier le système industriel et capitaliste, lequel a changé toute la figure de la vie humaine, tout son style, en retranchant la vie humaine du rythme de la nature.
La machine, la puissance qu’elle apporte avec elle, cette précipitation du mouvement qu’elle a engendrée, ont créé des mythes et des fantasmes, ont dirigé la vie de l’homme vers des fictions qui, néanmoins, donnent l’illusion d’être la plus réelle des réalités.
Mais y a-t-il donc tant de réalité au sens de l’être, de réalité ontologique, dans leurs bourses, leurs banques, leur papier-monnaie, leurs monstrueuses manufactures, fabricatrices d’objets inutiles ou de munitions pour la destruction de la vie, dans l’étalage de leur luxe, dans les discours de leurs parlementaires et de leurs avocats, dans leurs articles de journaux ? Y a-t-il tant de réalité dans l’augmentation progressive de nos insatiables besoins ?
Partout nous découvrons un mauvais infini, un infini qui a horreur des solutions.
Tout le système économique du capitalisme est le rejeton d’une concupiscence dévoratrice et destructrice. (pp. 123-124)
La grande masse de l'humanité ne tient point à la liberté, et ne la recherche pas.
C’est une vérité qu’il ne faut pas se lasser de répéter, que l’homme est un être contradictoire et en conflit avec lui-même. L’homme recherche la liberté, il y aspire sans cesse et de toutes ses forces, et il arrive cependant que non seulement il tombe facilement en esclavage, mais qu’il aime l’esclavage.
L'existence de la personne a pour condition la liberté. C'est la personne qui fait la dignité de l'homme.
L'univers entre dans une période où la liberté de l'esprit agonise ; l'homme est ébranlé jusque dans les bases primordiales de son être par la déshumanisation. Son idéal s'est obscurci. Il s'agit là, ainsi que nous l'avons dit, d'une époque transitoire, époque infiniment douloureuse.
Nous vivons à une époque où l’on n’aime pas la vérité et on ne la cherche pas. La vérité est de plus en plus souvent remplacée par l’intérêt et l’utilité, par la volonté de puissance. La désaffection envers la vérité s’exprime non seulement dans une attitude nihiliste ou sceptique à son égard, mais aussi dans la substitution à la vérité de l’une ou l’autre croyance, de l’un ou l’autre enseignement dogmatique, au nom desquels on admet le mensonge et on le considère non comme un mal, mais comme un bien.
Croit-on à la force de l’esprit ? Les chrétiens y croient-ils ? Quelle question troublante, particulièrement inquiétante en nos jours où règne le culte de la force ! Il faut dire la vérité : l’écrasante majorité des hommes, et parmi eux les chrétiens, sont des matérialistes. Non pas matérialistes dans leur doctrine, mais dans leur vie. Ils ne croient qu’à la force matérielle, militaire, économique, celle des armes et celle de l’argent. Ceux qui croient trop en une force spirituelle font figure de sots. On se rit d’eux.