C'est dans la Camera dipinta, chambre d'amour et de deuil, où la marquise Barbara a fait porter pour l'occasion un somptueux lit à baldaquin, que le rituel du mariage doit s'accomplir. Claire, escortée de ses dames d'honneur, y est conduite sous les regards vigilants des quelques invités de marque rassemblés dans l'embrasure de la porte. La jeune fille, attentive à ne pas décevoir ses proches, se plie de bonne grâce à l'insolite mise en scène.
Après avoir dénoué des tresses et revêtu la fine chemise blanche garnie de dentelles, elle s'allonge et se tient immobile tel un gisant. [...]
Soudain un contact glacé contre sa chair la fait frémir [...] L'ambassadeur Jean de Tersac, mandaté par le comte Gilbert de Montpensier, vient de glisser sa jambe nue contre la sienne. Le mariage est consommé symboliquement selon les règles protocolaires.
Claire se hâte de rejoindre les suivantes, extrêmement contrariée par les remarques acides de son époux sur sa tenue. Ses toilettes somptueuses font sensation à la cour mais Gilbert s'irrite toujours de cette extravagance dont la reine pourrait s'offusquer. Il tente de faire comprendre à son épouse que le bon goût français, caractérisé par une simplicité de bon aloi, dont la souveraine, le plus souvent vêtue de noir, donne un bel exemple, s'accommode mal de toutes ces dentelles et galons de fourrure. Les traînes démesurées de ses robes aux décolletés carrés dévoilant généreusement sa gorge, ses parures de joaillerie trop voyantes et ses coiffes sophistiquées la signalant d'aussi loin qu'on l'aperçoit comme "l'Italienne", un surnom devenu peu flatteur...
Elle disparait dans la plus grande discrétion, loin de sa patrie et de celui qu'elle aimait et vénérait par-dessus tout, son frère, Gian Francesco Maria, marquis de Mantoue, illustre représentant de la lignée des Gonzague.
Comtesse d'Aigueperse pour l'éternité.
Quelques jours plus tard, devant le catafalque supportant le cercueil de Louis de Gonzague, ramenée à Mantoue pour être inhumé en l'église Saint-François selon la tradition familiale, Frédéric renouvelle sa promesse, en dépit du péril qui le cerne : un complot ourdi par ses frères Jean-François et Rodolphe dans le but de l'empoisonner et de s'emparer à la fois du pouvoir et de ses biens. Le secret éventé par son cadet, le jeune Louis, l'a sauvé à temps.
Cette fois, c'en est fini de l'innocence, désormais il lui faudra côtoyer les hyènes et les loups, monter la garde de jour comme de nuit.
L’entrée solennelle à Aigueperse le 22 juillet officialise l’union de Gilbert et de Claire consommée la veille à Cusset dans des conditions romantiques sinon rocambolesques. Gilbert, accompagné de deux gentilshommes, est arrivé très tôt au château, désireux de voir sa fiancée en secret. Il guette son arrivée depuis une fenêtre, le visage recouvert d’ « une coiffe de taffetas » pour ne pas dévoiler son identité. Puis il sollicite la complicité amicale de Niccolò da Correggio qui a imaginé un subterfuge. Après le dîner Claire se rend au chevet de madonna Cassandra soi disant malade et lorsqu’elle entre dans la chambre accompagnée de messire Niccolò et de Beltramino, le comte qui attendait dans l’antichambre avec ses deux gentilshommes, sort aussitôt et l’embrasse fougueusement tandis que Claire, consentante quoique saisie « d’un trouble honnête et doux », passe par « mille couleurs » . L’ambassadeur achève son récit avec une joie non dissimulée. Quelques années plus tard en 1484, Louis de La Trémoille, fiancé de Gabrielle de Bourbon, sœur de Gilbert, adopte le même comportement. Peu rassuré par le portrait qu’on lui avait montré, il « entreprinst avec ce gentil-homme [de la maison du roi] qu’il iroit avec luy, en habit dissimulé à ce qu’il ne fust congneu » .
Puis le comte et sa jeune épouse reproduisent la cérémonie du mariage qui a eu lieu à Mantoue quelques mois plus tôt, répétant les paroles d’engagement avant de recevoir la bénédiction de l’Eglise. Il est possible que le comte ait profité de ce moment pour lui offrir l’anneau décoré d’un diamant en forme de coeur auquel la princesse fait allusion dans son testament, à moins qu’il ne l’ait confié aux ambassadeurs qui se sont rendus à Mantoue pour la cérémonie du 25 février 1481. « Vers quatre heures du matin, le comte prend du plaisir avec elle et, au nom du Dieu tout puissant, ils ont consommé le mariage ». Le soir même Gilbert s’arrête à Chanas, à quatre ou cinq milles de la ville pour dîner et passer la nuit avant de rejoindre Aigueperse pour y accueillir officiellement sa jeune épouse le lendemain.