Maëla prit une autre poignées de bonbons : c'est ainsi qu'elle passerait sa soirée : chauve et rose. Cependant, en regardant Instagram de Belle Beauté, il lui semblait participer même si c'était sous un mode dégradé à ses soirées parisiennes, à ses robes de princesse, pleine de dentelles et de paillette- de sa chambre on voyait la tour Eiffel illuminée."
Elle s'endormait au soleil, bercée par l'impression que la vie était tout à fait devant elle, inépuisable comme la mer, recelant mille possibles qui lui demeuraient encore inconnus.
Engoncée dans le canapé, l'ordinateur brûlant sur ses genoux, la sensation lui revenait que le monde n'était pas fait pour elle, à sa juste mesure, comme si son existence entière, jusqu'à son corps trop lourd, relevaient d'un surplus que rien ne parvenait à justifier ; ni à l'université ni sur les réseaux il n'y avait pour elle de place. Laura Chareau avait gardé un silence poli lorsqu'elle lui avait dit, à la fin du cours, qu'elle arrêterait peut-être la licence. Pas un instant elle n'avait cherché à l'en dissuader, décelant peut-être dans cette perspective un rétablissement du juste ordre des choses, où les filles comme elle n'encombreraient plus de leur nullité impavide les derniers rangs des universités. Aurait-il fallu plutôt, se dit Maëla, rejoindre la ZAD avant qu'elle ne soit démantelée, malgré la boue dans laquelle s'enfonçait chaque pas, ou la commune libre de Rennes 2, celle de Tolbiac peut-être ? Y avait-il quelque part un endroit qui soit pour elle, accueillant ses rêves morcelés, sa chair décevante ? Sur les réseaux elle suivait les communes libres, les masques d'animaux colorés qui dissimulaient les visages. Elle aurait revêtu un masque de Baloo, colorié aux nuances chaudes de son pelage, si seulement elle en avait eu l'occasion.
La neige était tombée sur la ville, et Maëla pensait que l’océan avait gelé peut-être. Elle savait que ce n’était pas possible, mais cela ne l’empêchait pas tout à fait de croire que ça s’était passé. Les routes étaient verglacées ; les bus ne circulaient pas. Elle ne serait pas arrivée en voiture jusqu’à Larmor-Plage – « tout est possible si t’y crois assez fort », savait-elle d’Instagram, et ces vérités générales, écrites en lettres roses d’un compte à un autre, s’étaient épandues dans ce qu’elle percevait du monde. Pendant la journée, l’image de l’océan glacé comme une grande patinoire lui revint sans qu’elle sache si elle l’apaisait ou l’inquiétait. Elle s’imaginait le silence.
On lui servit une infusion de fleurs sauvages. Le séjour s’annonçait si Instagrammable ; il y avait même des petits biscuits sur son lit, des bouteilles d’eau fraîche. Elle alla à la piscine en peignoir, excitée de porter le dernier bikini TropBonne.
L'eau chaude bouillonnait autour de son corps, troublant la perception de ses limites, comme si elle avait pu se répandre dans l'enceinte de la baignoire. Peut-être que BodyMax n'avait pour elle, comme pour l'océan, aucun désir ; c'était comme si elle se trouvait menacée de perdre toute substance, se diluant dans les jets d'eau vigoureux qui massaient ses jambes, ses pieds, sa nuque, ses bras. Alors elle pensa à Baloo, et il lui parut qu'il était là, sur le balcon, allongé sous le ciel étoilé, profitant de l'iode marin ; lui n'avait pas besoin d'un amour qui l'aurait assuré de l'existence de son corps abondant, de la tranquille évidence qu'il avait à être Baloo.
L'eau chaude bouillonnait autour de son corps, troublant la perception de ses limites, comme si elle se trouvait menacée de perdre toute substance, se diluant dans les jets d'eau vigoureux qui massaient ses jambes, ses pieds, sa nuque, ses bras. Alors elle pensa à Baloo, et il lui parut presque qu'il était là, allongé sous le ciel étoilé, profitant de l'iode marin ; lui n'avait pas besoin d'un amour qui l'aurait assuré de l'existence de son corps abondant, de la tranquille évidence qu'il avait à être Baloo.
un cœur romantique qui n’espérait plus être aimé en retrour