Citations de Nourredine Saadi (22)
Tous les chemins ramènent à l'enfance, parfois à un moment, un seul, de l'existence.
Troisième partie, Chapitre 21.
Ils lisaient amusés les épitaphes sur les cippes ou les dalles et elle lui fit observer en souriant combien au cimetière toutes les femmes deviennent vertueuses et les hommes bons pères et braves époux.
Deuxième partie, Chapitre 10.
Cela lui arrivait souvent de suivre une passante altière rompant l'air d'une démarche de danseuse, les seins scandaleusement offerts à la vie, et de savoir que ce beau visage allait disparaître à jamais au coin d'une rue ou à l'entrée d'un passage était pour lui une forme de désespoir, un morceau de monde qu'on lui enlevait.
Première partie, Chapitre 2.
Qui donc a écrit que la Seine est le seul fleuve au monde qui coule entre deux rangées de livres ? Peut-être Lanoizelée, cet écrivain bouquiniste dont la postérité n'a retenu que ses extravagances lorsqu'il déclamait à haute voix ses poèmes perché sur un parapet au risque à chaque instant de se noyer. À moins que ce ne soit le vieux Gibert, qui commerçait ses bouquins sur une péniche avant de s'installer un jour quai Malaquais…
Première partie, Chapitre 22.
Si on y pense bien, ces meubles, ces bibelots, ces statues poussiéreuses nous ressemblent ; ils sont provisoirement hébergés ici, venus je ne sais d'où et qui demain rejoindront un autre ailleurs ; oubliés dans une cave ou un grenier, ils seront récupérés par un chineur, répartis d'héritage en dévolution comme on transmet son nom jusqu'à ce qu'il s'éteigne. Il y a une secrète correspondance entre les êtres et les choses que l'on apprend dans le commerce de l'ancien.
Deuxième partie, Chapitre I.
Vous voulez que je vous dise quoi lorsque le fœtus est sorti du ventre de sa mère pour être égorgé ? Vous voulez savoir quoi quand l'égorgeur tue en croyant ainsi mériter le ciel ? Vous voulez connaître quoi sur moi, sur l'Algérie, quand il n'y a plus de mots, de vocabulaire pour en parler ? Qui est revenu un jour de la folie et du suicide pour vous décrire ce qui se passait dans sa tête ? De quoi voulez-vous me guérir alors que vous ne pouvez même pas comprendre, éprouver ce qui me fait souffrir ?
Troisième partie, Chapitre 31.
N'est-ce pas qu'il y a des choses qui demeurent irrémédiablement en nous au fond de la gorge ?
Deuxième partie, Chapitre 7.
Aucune victoire, fût-elle politique, ne peut effacer, même un soir, les blessures de l'âme.
Troisième partie, Chapitre 24.
Ah ! le bonheur, le bonheur, tu sais, c'est comme la fortune, la richesse… Certains le vivent dans la certitude des patrimoines accumulés par les siècles, d'autres comme un jeu de hasard, le gain d'une nuit qu'ils peuvent reperdre le lendemain.
Troisième partie, Chapitre 2.
La seule vérité d'une histoire est qu'on la croie.
Troisième partie, Chapitre 20.
Ici, tout est dans la parole, le bluff, la valse des Puces : écouter c'est acheter, parler c'est vendre.
Deuxième partie, Chapitre 8.
Mon père, elle ne m'en parlait jamais ; d'ailleurs je n'en possède aucune photo, et lorsque j'y pense, je l'invente. Tu te rends compte ? Quelqu'un qui meurt et dont on n'a même pas une photo, c'est comme s'il n'avait jamais existé. Tu vois, je vis avec une mémoire pleine de trous, la nuit de mes origines…
Deuxième partie, Chapitre 10.
Jacques referma le magasin de l'intérieur et l'entraîna vers la réserve, poussant une porte dérobée s'ouvrant sur une courette encombrée de meubles abandonnés aux intempéries. Elle s'étonna qu'on laissât ainsi de si belles pièces et il partit d'un grand éclat de rire : C'est comme ça qu'on fabrique de l'ancien aux Puces, c'est le temps qui augmente la valeur des choses. Notre métier est un trompe-l'œil. Il suffit de laisser le bois ou la pierre sous la pluie, le soleil et le vent, le reste est affaire d'imagination. Plus c'est vieux, plus ça vaut : notre devise !
Deuxième partie, Chapitre 1.
Mais n'est-ce pas que seuls les étrangers ou les visiteurs finissent par mieux connaître une ville que ses propres habitants ? On s'habitue si bien à la verrue sur son visage que le miroir même finit par ne plus le refléter.
Troisième partie, Chapitre 9.
Il y a des moments où écrire donne des racines à la mémoire.
Je crois que chaque Algérie est le souvenir intime, personnel, unique de celui qui la vit. Ainsi tout pays n'est que plurielle polyphonie.
«On croit être plus fort que sa mémoire, mais elle vous rattrape souvent «(p.177)
Alentour une mélopée : le roseau du berger.
Soleil, canicule et poussière et des paysages séparés par l'invisible frontière : ici, la terre sèche et qui crie ; là-bas, le vert bleuté des vignes ou l'or des orangers sur l'ocre mouillé des mottes. Et l'impossibilité d'assembler l'horizon du regard : un pays mal partagé, éternellement divisé, en fratricide guerre contre lui_même.
Et très vite, Dieu-le-fit, livré aux employés de la voirie, disparut au loin comme un lieu vidé par Dieu entre ciel et terre.
Des barbelés d’encre s’entortillaient attardés dans le ciel enguenillé et peu à peu , tel un miroir trop usé, le jour prenait cette couleur indécise du pétrole lorsqu’il jaillit pour la première fois à la lumière. Déjà plus noir mais encore ni gris ni bleu.