Je n'étais pas retourné au Pavillon argentin depuis l'Exposition universelle de Paris en 1899. L'exposition terminée, le palais de fer et de verre avait été démonté et embarqué à destination de Buenos Aires...
N'ayant plus à représenter le pays, l'ancien Pavillon argentin était devenu une simple salle de théâtre et de concerts, où des troupes espagnoles présentaient des zarzuelas, et les italiennes, des opérettes ; où de pâles jeunes filles au long cou jouaient du Schubert et des magiciens et hypnotiseurs sciaient des femmes et faisaient danser des squelettes. Chaque jour qui passait, la salle prenait congé de son illustre origine et de sa perfection célébrée : les boulons tombaient, les carreaux vénitiens se détachaient, la grêle dessinait des étoiles sur le verre.
A l'intérieur on avait installé des rangées de sièges, très près les uns des autres pour occuper un maximum d'espace et récolter plus d'argent. Les dames se voyaient contraintes à la promiscuité ; les hommes à la tentation ; les gros, à l'exil au dernier rang. On entendait des excuses répétées, parfois une interjection d'alarme ou de protestation. Il y a quelques années encore, dans le vieux théâtre Colon, le public était réparti dans la salle selon le sexe et la catégorie sociale : les hommes et les femmes ne pouvaient être ensemble que dans les loges, l'orchestre était réservé aux hommes, le poulailler aux femmes. Dans la Pavillon argentin,peut-être parce qu'il avait été construit pour célébrer le centenaire de la Révolutions française, sexes et catégories étaient démocratiquement mélangés. Nous étions tous immergés dans les plaisirs, les inconvénients et les confusions du gouvernement des hommes libres.
J'ouvris le frigo. Vide. Vide de ce vide vantard dont seuls les frigos sont capables. Ils ne disent pas seulement: il n'y a rien à manger. Ils disent: ta vie est un désastre.
(...) mais la vie est si prolixe et si changeante que ce qui n'était pas continûment présent s'évaporait dans l'air.
Je crois qu'il ne pouvait pas vivre dans un monde sans secrets. Et vous, Dorey, vous pouvez vivre dans un monde sans secrets?
Pourquoi oublions-nous des personnes, des décennies, des villes, alors que nous nous souvenons de quelque chose d'aussi évanescent qu'un parfum ?
- Et le commissaire Janzen ? demandai-je à Reverter tandis que les policiers étendaient sur l'herbe cordes et crochets. Janzen était le principal enquêteur de la police. Lorsqu'un crime était commis, ils arrivaient tous deux ensemble : le légiste pâle et maigre, et le policier robuste au visage congestionné.
- Il n'est pas là. Il est parti dans sa famille, à la campagne, Salvatrio, vous devriez essayer de ramener cette femme à l'intérieur. Si elle s'évanouit, je vais être obligé de m'occuper d'elle. Et j'ai perdu l'habitude des patients vivants.
L'histoire de notre vie est l'histoire de nos peurs.
Personne n'a besoin d'un monde parfait. Avec les années, nous apprenons que la perfection est une ennemie obstinée de la vie. Il suffit d'avoir une bonne raison pour se lever tous les matins.
Il faut songer que les librairies de livres d'occasion n'existent que pour les lecteurs qui détestent poser des questions : ils veulent trouver par eux-mêmes. De plus, ils ne savent jamais ce qu'ils cherchent ; ils ne le savent que lorsqu'ils l'ont trouvé.
Les femmes gouvernent le cœur des hommes. Ce sont elles qui leur mettent du poison dans les oreilles.