Pascal Alliot

Un gardien de phare se doit d’être un homme attentif et vigilant, en permanence en éveil, malgré la routine lénifiante de sa tâche.

On retrouva le corps nu d'Apolline le 26 juin 1867.
Le visage avait été écrasé par une grosse et lourde pierre lancée à la volée, réduisant en bouillie ce visage d'une beauté remarquable. Il y avait un atroce « F » taillé sur trois centimètres d'épaisseur sur le bas du ventre de la jeune femme et vingt-sept coups de couteau portés avec une sauvagerie extrême. Comble de l'horreur, les deux seins découpés, posés près des genoux. Aucune rose dessinée cette fois ou déposée sur le corps.

L’Ange Déchu évolue lentement, la marche ralentie par les trois ombres qui complètent cette procession lugubre s’alignant dans la nuit d’ébène. Le bruit de la chaîne, tel un métronome, frappe fort le rythme délirant voué à cette marche de la mort.

Le matin se lève sur la nuit sans fin du gardien du phare d’Amboise. Il a réglé la lumière comme tous les jours depuis quinze ans qu’il vient inlassablement effectuer cette tâche. Il habite ici, dans cette structure de pierre, cet abri de sa mémoire qui ne souhaite plus partir vers des souvenirs qui lui troueraient l’estomac. Ils sont loin les drames qui l’ont décidé à cet exil marin, entre ciel et terre, entre vide et oubli, pour ne plus être celui qu’il fut il y a vingt ans, celui qui tua. Celui qui s’enfuit. Celui qui décida que jamais il n’irait se confondre face aux juges, aux familles de ceux qu’il a refroidis à jamais.

Le jour s'effondre sur les relents d’une journée grise, convoquant les fantômes de la nuit pour leur messe quotidienne. La nature, le temps de quelques heures, reprend le pas sur la désolation qui plonge la lande vers les tréfonds d’une maladive désolation.
Avançons doucement, à pas de chat dans cette lande mortifère. Progressons le long de sa plate résurgence géographique. Pas de cimes, de collines, de montagnes, d’aspérités, mais une tourbière infinie qui exhale les remous de ses entrailles en perpétuel mouvement. Marchons encore un peu vers le néant, là-bas, à l’horizon.

Devant eux se dressaient les cadavres massacrés au- delà de toute vision d’horreur d’une bonne trentaine de personnes. Un amoncellement de sang, tripes, boyaux et divers autres restes s’accumulait. Des rictus sévères marquaient chaque visage.
Les ventres, ouverts, s’offraient au repos éternel, tels des spectres magnifiés par la terreur. Comme s’ils avaient accepté leur sinistre destin sans opposer la moindre ou résistance.
Volontaires pour l’Enfer.
Très vraisemblablement les membres de la Communauté (...)

Marianne marchait tranquillement lorsqu'elle croisa le regard que posait sur elle ce jeune homme qui semblait si doux. Pas un homme de par ici, pensa Marianne. Il était beau et se tenait à une bonne quinzaine de mètres. Le coup de foudre fut immédiat. Elle ne put y résister. Comme un appel vers l'infini désir. Jules, c'était superbe, mais pour les choses du sexe, un bel amant étranger vaut plus que tout. Donc, à sa totale surprise, elle se donna très vite à lui, dans les hautes herbes. Elle ne sentit nullement la lame du couteau qui l'égorgea ni les multiples coups qui lui furent portés au ventre. La police en comptera vingt-sept un peu plus tard, lorsqu'ils découvrirent, horrifiés et pâles, le corps inerte et sanglant de la belle Marianne.

La délicieuse jeune femme avait été égorgée avec un couteau de belle dimension, très hâtivement, vu la large et horrible plaie ouvrant sa gorge. Elle porte aussi la trace de vingt-sept coups de couteau en de multiples endroits sur son ventre. Ses deux seins avaient été découpés et déposés sur les côtés au niveau des genoux. Il y avait également cet atroce « F » taillé sur le bas-ventre de la jeune femme. Et cette rose, naturelle, posée sur son abdomen. Et, nouveau détail, deux baisers de sang déposés sur son sexe et ses lèvres, marquées de morsures.

Au départ, un prêcheur abandonné par l’Église conventionnelle, Darius Maloberti taillé dans un chêne des plus solides. Un homme immuable débarqué dans ce bout du monde dix ans auparavant et initialement accompagné d’une dizaine de fidèles. Une bonne dizaine. Et, peu à peu, le vent
porte le message, et ils débarquent, sans crier gare.
Aujourd’hui, plus de soixante ombres peuplent cet appendice de l’enfer. Une vingtaine de maisons, gravitant autour de l’imposante église, cathédrale de ce no man’s land désertique.

Mon père, cette sorte de clown pitoyable, pensait m’élever dans le droit chemin, mais voyez où ce chemin m’a amené.