Les Tics de l'Actu - La sagesse du jardinier
L'homme moderne est un obsédé de la sur-occupation. A l'ère numérique, le développement des loisirs et l'abondance d'informations nous donnent la sensation que nous n'en avons jamais fini: jamais fini d'apprendre, jamais fini de lire, de partager, de nous distraire, de répondre aux e-mails qui s'accumulent en temps réel dans notre boîte de réception et de sursauter à chaque signal de notification. Mais pour quelle étrange raison tout le monde se dit occupé? Parce que cela "pose" quelqu'un, le valorise et l'impose, parce que quelqu'un d'occupé souligne son importance, parce que notre indisponibilité, pensons-nous faussement, nous confère les attributs de la réussite sociale.
[...] Car le besoin de divertissement est, selon [Blaise Pascal], l'élément qui, très précisément, caractérise l'homme moderne, lequel découvre un univers illimité à explorer et qui doit par conséquent faire face au progrès qui accélère le cours de ses journées et qui raccourcit conséquemment sa vie. [...]
Qu'est-ce que le divertissement? [...] en un sens plus général et plus profond, il désigne tout ce qui détourne effectivement [...] l'homme du face à face avec lui-même. Pour Pascal, les activités les plus sérieuses comme nos métiers ou les hautes fonctions que l'on peut occuper ne sont que des divertissements par lesquels l'homme se dupe lui-même sur la signification réelle de son activité.
Le divertissement signifie donc l'impossibilité qu'a l'homme de rester seul avec lui-même, d'avoir toujours besoin de s'agiter et d'être distrait, raison pour laquelle nous nous occupons et occupons nos enfants. Les rois sont occupés, les patrons sont débordés, nous prétextons des réunions et nous avons besoin d'être divertis de cette façon, rappelle Pascal, de peur d'être confronté à nous-même, à notre vérité qui est celle-ci: nous ne faisons que passer.
Un article de l'Obs s'est penché sur cette question en observant que le tutoiement s'est généralisé dans le monde de l'entreprise et que ce registre s'accompagne d'un risque, majeur pour les salariés, d'un brouillage des codes, d'une perte de cadre et de repères. Car l'entreprise n'est pas une famille mais un lieu hiérarchisé où le pouvoir ne circule pas égalitairement, ce que rappelle la langue. Or, aujourd'hui, la bise et le "Tu" constituent souvent la norme, comme pour laisser croire que nous sommes pairs, proches et intimes alors qu'il n'en est rien et que chacun calcule pour lui-même son effort en terme de ROI (return of investment). [...] Mais dire "Tu" au travail à sa hiérarchie est une stratégie qui cultive l'ambiguïté en permanence. C'est un peu comme si le tutoiement imposait au travailleur de considérer le lieu où il travaille sans établir de frontière avec sa vie privée. On évoquera, en termes de culture d'entreprise, les notions de bien-être au travail et de personnalisation. En réalité, l'enjeu, par un glissement subtil, c'est l'irruption de l'affectivité du travailleur dans un lieu dévolu à une tâche dont l'objectif est l'enrichissement d'un autre, laquelle tâche est compensée par un salaire. Quoi qu'on dise et que les patrons martèlent, l'entreprise n'est pas une famille même si elle emploie beaucoup de ressources humaines pour en persuader le travailleur, avec l'usage familier du "Tu" comme allié. Certes, le tutoiement est sympathique sans doute, peut-être, parfois. Mais c'est aussi un piège qui efface des frontières, qui abolit des limites utiles et impératives à sauvegarder à l'ère de la dictature de la transparence, de la flexibilité et de la disponibilité.
Et il en est qui se sentent tellement petits et qui veulent tellement gagner en importance qu'ils en flattent d'autres pour se rêver importants à leur tour. Mais c'est une dynamique triste et vide. Et surtout qui ne dure que ce que durent les choses humaines.
La caverne est assez douillette et l'aveuglement, confortable. les prisonniers que nous sommes chérissent leur condition. Ils regardent des écrans ou plutôt la vie qui se déroule sur des écrans et cela leur suffit. Comme la panthère de Rilke, les prisonniers, lassés et indolents, pensent qu'au-delà des milliers de barreaux, il n'y a rien. Et ils ferment les yeux.
Le philosophe Michel Serres avait compris le sens de notre désarroi face au vieillissement lorsqu'il recommandait un remède imparable pour bien vieillir dans son corps et dans sa tête [...]: nous encourager à lire des choses à peine "un peu plus difficiles que celles que nous pouvons comprendre". Parce que nous oublions que ce sont nos facultés d'adaptation qui vieillissent le plus vite et que c'est notre esprit qu'il convient de garder souple, plastique, vivace et vivant face aux changements. Michel Serres met en évidence un leurre qui consiste à croire qu'acheter quelque chose ou appliquer un échantillon [de crème antirides par exemple] nous dispenserait d'une action importante: l'effort. Car œuvrer à la compréhension d'un monde en changement permanent, stimuler notre curiosité à l'égard de l'inattendu, repose sur un effort tel qu'oublier de le pratiquer peut faire de nous des vieillards à quarante ans.
Quantifier, c'est l'exigence à laquelle répondent les récentes applications disponibles sur nos téléphones qui, bientôt, prendront légitimement les décisions à notre place sur la base de vérités chiffrées et de ratios indiscutables. Combien avons-nous fait de pas? Combien de calories ingérées et dépensées? Combien de messages reçus, envoyés et combien de comment? Quel solde sur notre compte en banque? Quelle fréquence nos rapports sexuels et notre rythme cardiaque? [...] Car nous vivons au temps de la siliconisation du monde, où raconter sa vie et tenter de dire qui nous sommes est moins une question de récit que d'inventaire, de quantum et de statistiques, moins une question de livres, d'histoires et de contes que l'archivage d'une comptabilité et ses livres de comptes.
Je suis Marcelo Lobosco / Master à Paris 8/ Docteur en Philo en Université de Gent / je besoin lien avec toi / j aime tes réflexions
Par exemple « L’ordre de la langue instaure un ordre symbolique « et regardez Philosophie Vagabonde
mrlobosco42@gmail. com
La poésie crée un monde habitable avec autrui et pour autrui, ce que l’on pourrait appeler une « poéthique ».
Aristophane raconte qu’à l’origine, il existait trois catégories d’êtres humains – et non deux, comme aujourd’hui : le mâle, qui est un fils du Soleil, la femelle, qui est une fille de la Terre et l’androgyne, sorte de troisième sexe, enfant de la Lune.
Deux mouvements contraires, le désir de faire société d’une part et la monotonie de leur vie intérieure d’autre part, poussent les hommes à se tourner les uns vers les autres. Mais les défauts de chacun, qui inévitablement apparaissent, les dispersent aussitôt : tel est le paradoxe de la vie en commun. Excessivement proche en mode fusion ou trop éloigné d’autrui en mode fission, les risques sont, en réalité, exactement les mêmes pour les hérissons que nous sommes : ceux de la solitude, de la déception conjugale, amicale ou sociale mais avec toujours, au milieu du gué, un corps qui tremble de froid ou qui, s’il se réchauffe, finit par suffoquer.