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Critiques de Patrick Chamoiseau (215)
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Texaco

Je crois bien que je n’ai jamais lu un roman français paru depuis que je suis adulte d’une telle qualité littéraire.

Le «marqueur de parole», Oiseau de Cham, a écouté, écouté son Informatrice raconter ses histoires de «manière assez difficultueuse», se contredisant, mélangeant créole et français, mots vulgaires et mots précieux. Dans une très belle langue, imagée, inventive, métissée, il met en scène le «sermon» (pas sur la montagne mais devant un rhum vieux) de cette femme-matador, fondatrice de Texaco prête à en découdre avec les céhéresses pour ne pas finir en clapier d’achélème. C’est vivant, c’est chaud, ça charrie plein d’émotions et avec ce très beau personnage nous est contée l’histoire d’un bidonville de Fort-de-France ou plutôt, nous dit l’Urbaniste, d’une «mangrove, une mangrove urbaine». Et comme c’est un roman où ça déborde, comme Marie-Sophie Laborieux porte en elle aussi la mémoire de son père, et par lui celle de sa grand-mère, il y a bien 150 ans d’Histoire de la Martinique qui s’engouffre dans ce livre. J’ai adoré l’épaisseur romanesque, la créativité de cette œuvre dense, profonde, vivante, où l’intime s’élargit dans le «noutéka», ce nous magique qui «charge un destin d’à-plusieurs».

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Manifestes

Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant, ce dernier maintenant disparu depuis 10 ans, ont souvent travaillé ensemble. Ces six textes regroupés ici par les éditions de la Découverte des deux écrivains emblématiques de la Martinique sont complétés par une postface pleine d’optimisme (est-ce si étonnant ?) d’Edwy Plenel.

Lorsqu’il écrit : « Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau n’ont cessé d’inventer une poétique de la politique », il résume ce livre.

C’est surtout les deux « Manifestes » (l’un réunissant deux textes) qui ont attiré mon attention. Ils proposent un projet global de civilisation et font l’éloge des « produits » de haute nécessité.

D’autres voix moins connues s’ajoutent aux deux monstres sacrés : Ernest Breleur (peintre), Gérard Delver, (metteur en scène, écrivain, interprète...), Serge Domi (sociologue)... qui induisent la nature de ces indispensables. Et la manière d’y arriver, qui, si elle est dans ce manifeste centrée sur la Martinique et la Guadeloupe, concerne tous les citoyens avides de démocratie :

« Ce mouvement se doit donc de fleurir en vision politique, laquelle devrait ouvrir à une force politique de renouvellement et de projection apte à nous faire accéder à la responsabilité de nous-mêmes par nous-mêmes et au pouvoir de nous-mêmes sur nous-mêmes ».

Les auteurs n’imaginent pas seulement une île Martiniquaise devenant le paradis du bio, en s’appuyant sur indispensable banane pour l’économie du pays ils imaginent un cercle vertueux permettant la prospérité partagée, respectueuse de l’environnement. C’est un alliage de terroir et d’universalisme, de mémoire et de vision d’avenir. Aprézan, il faut passer à autre chose ...

« Mais la liberté ne peut provenir d’en haut »

C’est surtout très bien écrit...
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Martinique vue du ciel

Ce qu'il y a d'intéressant avec un livre de photographies vues du ciel, c'est qu'elles offrent un autre regard, un regard plus grand , plus vaste, plus infini...

Aussi ce très beau livre sur la Martinique donne à voir ce que l'on ne peut pas voir , nous autres pauvres humains, pauvres habitants , pauvres touristes...

Un regard plus acéré, plus dénonciateur, plus surprenant. Car Anne Chopin ( la photographe) ne se contente pas de "cartes postales", elle donne à voir ( avec beaucoup de hauteur...) de belles choses , puis des choses moins belles , comme un immense rond point ( celui de la Galléria - le Lamentin ), comme des barres d'immeubles, parce qu'il faut bien se loger et circuler, même au paradis...

Elle donne à voir des briqueteries, des champs de cannes à sucre et le côté mécanique de la distillerie.

Et puis des plages, une Mangrove, de l'eau, des bateaux.

Et puis deux horribles immeubles à l'entrée de Fort de France , et puis un bateau de croisière , trop immense ...

Du bleu et du vert à perte de vue viennent séduire nos yeux fatigués par le gris...

Un livre qui appelle au voyage.

Un jour...

Bientôt...

Un joli cadeau dans ce mois de décembre pluvieux et tristounet, pour lequel je remercie chaleureusement les éditions Hervé Chopin et la Masse Critique de Babelio.

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Texaco

Esternome un des premiers noirs affranchis de la Martinique, raconte son histoire, par la bouche de sa fille Anne-Sophie. Elle poursuivra ensuite par le récit de sa propre vie.

C’est ainsi que de 1820 à nos jours, Patrick Chamoiseau nous livre l’histoire de la Martinique.

Dès le début, on est pris dans un tourbillon coloré. C’est vivant et réaliste, parsemé d’expressions créoles

Extravagance et sagesse cohabitent chez les personnages hauts en couleur.

Les difficultés de la prise de liberté, la conquête de « l’En-ville », la misère qui succède à l’espoir, l’importance des traditions, la peine à trouver sa place,l’auteur dépeint tout cela magistralement.

C’est très riche, très fourni, tellement même qu’on s’y perd parfois ; j’avoue avoir survolé quelques pages. Mais c’est extrêmement bien raconté et on lit comme on écouterait.

On a à faire à une œuvre majeure qui mérite amplement le prix Goncourt qui lui a été décerné.

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L'empreinte à Crusoé

Depuis vingt ans déjà, Robinson habite son île déserte. Il se présente comme un homme au-delà des peurs et de la solitude, un être apaisé et en harmonie avec lui-même et son univers : « l’idée de mourir là ne m’effrayait plus ; » (p. 21) Le naufragé s’est créé une civilisation pour lui seul : « j’étais de fait la seule survivance capable d’assumer le nom d’homme ; » (p. 25) Mais voilà qu’un jour, à l’occasion d’une promenade commémorative, Robinson découvre une empreinte d’homme sur le sable. Pour Robinson, la stupeur se mêle de terreur : « quelqu’un d’autre que moi-même était maintenant sur l’île ! » (p. 45)



Passée la première prostration, Robinson décide de se mettre en chasse et de débusquer l’intrus. Il refuse de partager l’île et veut s’affirmer seul maître du territoire qu’il a lentement apprivoisé. « j’attendais cet autre pour le combattre ; j’attendais pour le tuer, et pour rester vivant ; » (p. 57) Ne plus être le centre, ne plus être unique, c’est inimaginable pour Robinson. L’Autre, impensable pendant des années, est une irréalité qui a pris corps. Au cours de sa traque, Robinson redécouvre l’île et se redécouvre humain. Et si cette empreinte n’était pas une menace, mais une promesse ? Robinson se découvre « une soif inapaisable pour une goutte d’humanité » (p. 86) : il ne peut plus se suffire en tant qu’homme, il a besoin de sortir de lui-même.



L’empreinte est permanente, à jamais figée dans le sable de la plage originelle. Elle représente la folie et l’obsession du naufragé. Cette empreinte dans le sable, signe ô combien fugace, c’est la signature de l’humain et la preuve que l’île est devenue le tableau d’un homme. Toutefois, même si cette marque ne disparaît pas, elle est un paraphe dérisoire, la preuve ridicule d’une existence particulière au sein d’un univers qui ne cesse pas de s’épanouir, avec ou sans l’homme.



Ce nouveau Robinson parle sans majuscule, ni point. Son récit est un continuum de pensées et de paroles, un discours débité sans reprendre haleine. Le point-virgule n’y est pas respiration, ce n’est que la marque d’une pensée effilochée qui se livre par bribes impatientes. Par un surprenant effet de mimétisme, la parole se fait jungle comme celle de l’île. Dans les notes en fin d’ouvrage, Patrick Chamoiseau justifie son choix du point-virgule : « Le point-virgule s’est imposé, je ne sais pas pourquoi, peut-être l’idée du flux de conscience, de l’instabilité mentale, de la saisie qui ne raconte pas. Ce n’est pas le point-virgule de Flaubert. » (p. 239)



Patrick Chamoiseau offre un roman riche d’une grande intertextualité. J’avais préféré le Robinson de Michel Tournier à celui de Daniel Defoe. Le premier m’était plus sympathique et plus humain, car plus sensuel. Le Robinson Crusoé de Patrick Chamoiseau est, selon moi, plus proche de Tournier que de Defoe. Cette nouvelle robinsonnade explore des thèmes classiques comme la solitude, l’humanité, l’altérité, la folie, la culture face à la nature. Mais l’auteur les traite avec une plume nouvelle et une audace littéraire très marquée. Surtout, lisez bien les quelques pages du Journal du capitaine. Ne vous précipitez pas, lisez-les comme elles se présentent afin de découvrir l’histoire de ce Robinson, l’histoire de tous les Robinson. Patrick Chamoiseau se place au bout d’une longue lignée d’écrivains, mais son texte se veut celui des origines. C’est surprenant, époustouflant et superbement convaincant !

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Frères migrants

Ce livre indispensable se situe dans la lignée d'Edouard Glissant, d'Aimé Césaire et de tous les autre poètes que l'auteur cite à la fin de son recueil.

Philosophie et poésie s'entremêlent pour évoquer le dur chemin et l'arrivée tout aussi difficile des migrants sur une terre qu'ils imaginent bien différente de ce qu'elle est vraiment (exit le pays des droits de l'humain).

C'est un hommage aux accueillant.e.s et un hymne à l'acceptation de l'altérité.

Patrick Chamoiseau préconise l'emploi du terme "mondialité" plutôt que celui de "mondialisation", souligne l'aberration du "délit de solidarité" et met en lumière l'utilité de la relation à l'autre humain, sans le juger.

Tout cela est écrit dans une prose hautement poétique, avec clarté et intelligence.
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J'ai toujours aimé la nuit

J'ai toujours aimé la nuit ou ma rencontre avec la plume de Patrick Chamoiseau et quelle plume !.

La Martinique, une nuit de vendredi 13, Fort de France, deux hommes. L'un est agenouillé , les mains derrière la nuque, nous apprendrons qu'il s'appelle Eloi Ephraïm Evariste Pilon, qu'il est commandant de police et que cette nuit de garde est la dernière nuit de sa carrière de policier. L'autre , celui qui le tient en joue avec son arme , s'appelle Hypérion Victimaire, cet homme au gabarit impressionnant, aux yeux et au regard annonciateurs du pire, raconte la nuit qu'il vient de vivre, d'une voix monocorde il décrit la nuit dans les quartiers de l'ombre. Il nous dit ce qu'il a vu de la déchéance d'une certaine jeunesse, de l'abandon de ce qui à ses yeux représente la valeur de la culture créole , de la Martinique en particulier,drogue, prostitution, violence,mort , il aura tout vu en cette nuit infernale et il raconte ....

Eloi Ephraïm Evariste Pilon écoute cet homme ... pense qu'il ne verra pas la fin de cette nuit vivant mais il écoute.

Les deux principaux protagonistes sont campés , il ne vous reste plus qu'à lire , j'allais dire écouter cette voix à nulle autre pareille. Bien sur, il m' a surement manqué beaucoup d'informations pour apprécier à sa juste valeur ce roman certes noir, certes porteur de miasmes délétères mais apprécier l'écriture flamboyante de Patrick Chamoiseau ça je pouvais sans prérequis.

Un très grand merci aux éditions Sonatine pour cette découverte en avant-première.



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Texaco

Ce roman est une grande épopée de la Martinique, plus de cent cinquante ans de l'histoire, la vie de trois générations, depuis les souffrances des sombres plantations esclavagistes jusqu'au drame contemporain de la conquête des villes. Patrick Chamoiseau décrit les moeurs, la culture martiniquaise de façon savoureuse en faisant référence, souvent, au passé, mais également à la langue créole. Cela en fait un mélange étonnant, original et marquant.




Lien : http://promenades-culture.fo..
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Les neuf consciences du Malfini

J’avais conscience de lire un livre très différent de ce que je consulte d’habitude.

Étant donné que j’aime tout ce qui tourne autour de la nature, je ne pouvais qu’être bouleversé par ce roman.

Eh bien, ce ne fut pas le cas. C’est très poétique, 256 pages de narration poétique…

Il faut se concentrer pour que votre cerveau ne s’évanouisse pas dans un autre lieu, l’abysse ultime ne fut pas loin.

C’est un conte, une fable, agréablement bien raconté, mais cela m’a semblé long, un envol ou l’atterrissage fut dévastateur.



Bonne lecture !
Lien : https://angelscath.blogspot...
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Une enfance créole, tome 1 : Antan d'enfance

Dans un français très martiniquais (je ne parle pas du créole, qui apparaît aussi dans les paroles de la mère du narrateur) Patrick Chamoiseau nous conte les premières années de son enfance auprès de ses grands frères et soeurs et de sa maman, affectueusement surnommée Man Ninotte. Pour cela, il a choisi de suivre la voie des premières sensations, des premières émotions teintées de plaisir ou de peur.

Ce choix rend la lecture à la fois étonnamment profonde, poétique et vivante mais aussi ardue à suivre et je n'ai pas pris autant de plaisir que je l'aurais souhaité à lire ce premier tome de sa biographie.

J'ai aimé découvrir la vie martiniquaise dans les années 50, c'est ce qui m'a finalement le plus intéressée et c'est surtout ce que je recherchais en choisissant ce livre.

Chamoiseau a une écriture foisonnante, riche et très poétique qui explique sans aucun doute la reconnaissance à laquelle il a droit; mais si je continue à le lire, ce sera en m'orientant plutôt vers ses essais sur les langues françaises.
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J'ai toujours aimé la nuit

Ce roman n'est pas un roman policier, pas le moins du monde (aucune enquête), mais c'est la confession, sous forme de quasi-monologue d'un psychopathe devenu Archange vengeur, Négateur, après une enfance difficile et une carrière de militaire. Hypérion Victimaire se confie dans un huis clos saisissant à un flic (dont c'est la toute dernière nuit de service avant la retraite), Eloi Ephraïm Evariste Pilon qui a enclenché son magnéto. La confession d'Hypérion Victimaire n'est pas banale, ni sur le fond, ni sur la forme : il raconte à la fois cette nuit infernale et dingue qui est en train de s'écouler et comment il est devenu ce tueur, cet Archange vengeur et sanguinaire. le lecteur, porté par la voix d'Hypérion (j'imagine très bien ce livre en une version audio), est emporté dans un maelstrom d'une noirceur sans pareille, passant de l'horreur des scènes de crime laissées par Hypérion à la peinture d'une jeunesse en perte de tous référents et plongée dans l'enfer de l'extrême violence. Chamoiseau a construit un récit rigoureux d'une rare efficacité pour nous peindre une Martinique très éloignée de celle des guides touristiques. Quand à la langue choisie, elle est extraordinaire, le monologue d'Hypérion est incroyablement riche, et cette richesse contraste avec le vide de la langue des trois jeunes, démunis de tout outil de communication malgré leurs portables. le tête à tête entre Victimaire atteint de logorrhée et le policier est éblouissant et d'une densité rare.

En plus, ce livre restera cher à mon coeur pour m'avoir permis une petite découverte linguistique très personnelle. J'avais déjà découvert lors de vacances en Belgique il y a quelques années d'où me venait ma prononciation des mots oui et Louis (comme hui(t) et lui) : de mon arrière-grand-père belge que je n'ai pourtant pas connu (mystères de la transmission)! Et là, en lisant Patrick Chamoiseau, dès que j'ai vu écrit « manman » j'ai eu, pour parler comme Victimaire, une fulguration, j'ai compris d'où me venait ma prononciation de ce mot qui m'a posé tant de problèmes à l'école primaire. Comme je le prononçais ainsi je n'arrivais pas à comprendre pourquoi cela ne s'écrivait pas mamman (et j'ai encore tendance à faire cette faute que je justifiais auprès d'enseignants interloqués en expliquant que devant m on n'écrit pas n mais m ! ) et encore moins pourquoi il n'y avait que moi pour trouver ce mot difficile à écrire et mémoriser. Cela venait de l'enfance et l'adolescence de ma mère à la Guadeloupe, à la sortie de Basse-Terre, au bord du Galion, pas loin de la Glacière, entre 1936-37 et 1944. C'est sans doute un des rares mots qu'elle n'a pas employé en dehors de la maison à son retour en France, et la version créole de son enfance est restée ! Mille mercis à Patrick Chamoiseau pour cette magnifique langue orale mise à l'écrit !
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J'ai toujours aimé la nuit

J'ai toujours du mal avec les romans noirs ou j'y adhère et j'aime énormément ou cela ne prend pas et je décroche, pour celui-ci à mon grand regret j'ai rapidement peiné dans ma lecture.



Et pourtant le début était prometteur à mes yeux, un flic se fait braquer par un truand lors de sa dernière nuit de service, mais ou le récit pourrait être haletant je l'ai trouvé d'une platitude extrême et j'ai trouvé que cela tourné en rond, cela parle essentiellement de drogue, du tueur qui n'aime pas la jeunesse et je pense que les mots latins qu'il emploi tout au long du récit ont alourdi encore ma lecture.



On suit également la vie du policier mais la aussi pas de grand rebondissements, à mon plus grand regret j'ai mis très longtemps à finir ce livre pourtant plutôt court.



Aucune empathie de mon côté pour ses personnages, je n'ai également ressentie aucune atmosphère particulière ce qui est pourtant en général l'effet recherché dans ce type de lecture.
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J'ai toujours aimé la nuit

J'ai toujours aimé la nuit, de Patrick Chamoiseau, est un roman que j'ai reçu par net galley et les éditons Sonatine.

Il s'agit d'un très bon thriller, bien noir, qui m'a captivé de la première à la dernière page.

Une espèce de huit clos très bien écrit, avec des personnages forts, une histoire qui se tient du début à la fin.

Nous sommes à La Martinique, bien loin des images de carte postale, avec un regard aiguisé, et très actuel.

Beaucoup de noirceur dans ce roman très réussit, et quelle écriture, vraiment un plaisir à lire. Cela m'a donné envie de découvrir d'autres romans de cet auteur.

Je donne cinq étoiles à ce très bon thriller, que je recommande chaudement :)



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L'empreinte à Crusoé

"seigneur, je naquis de nouveau en cette année dont je ne savais rien, en cette heure d'équinoxe sur mon île oubliée, sans doute à l'instant même où j'éprouvais le sentiment de m'insinuer entre deux masses de lumière". Chamoiseau propose une relecture époustouflante de Robinson Crusoé, ce livre "resté ouvert comme une lumière dans [sa] mémoire."



"après toutes ces années, je peux dire que là j'étais heureux, sans espérantouille vaine, sans la gale d'un regret, juste impeccable dans mon ordonnance souveraine de cette rognure de terre". Robinson est naufragé depuis fort longtemps, et il survit en son île grâce à une foule de rituels qui lui permettent de sauvegarder sa raison. Tantôt aux abords de la folie, tantôt bien au-delà, sauvé par la lecture d'Héraclite et Parménide, Robinson poursuit son monologue intérieur au sein d'une très longue phrase, porté par un seul long souffle comme un courant de conscience, mais un souffle rythmé par le ressac, comme une longue respiration, sous-tendue par la langue succulente de Chamoiseau.





"cette obsession modifia le rapport que j'entretenais avec l'île alors que j'avais passé ces vingt dernières années à la mettre à distance, à la tenir pour ainsi dire en respect, je commençais à mieux accepter d'être en elle, d'être à elle, et qu'elle soit en moi-même ; l'idée seule de la perdre - pauvreté de la nature humaine ! - me la rendait désirable et précieuse". Tour à tour piège mortel ou jardin d'Eden, l'île est un personnage à part entière ... sinon LE personnage du récit, si on la considère dans son lien intrinsèque avec l'homme-île qui l'habite et l'aménage. Du désespoir terrifié des débuts jusqu'à la fierté du bâtisseur, d'ennemie l'île devient accueil et support d'une renaissance à soi-même dans une dilatation extrême du temps.





Tout le récit s'organise autour de la découverte d'une empreinte sur la plage qui fait vaciller la raison de Robinson et donne son titre à l'ouvrage "... et chaque orteil ruait dedans mon entendement comme autant d'alarmes, de haines, de colères, de menaces, le tout pourtant mêlé à la bouffée inexplicable d'un enthousiasme terrifiant : c'était une empreinte d'homme"



La "tempête mentale ininterrompue, proche du délire" est rendue superbement par une syntaxe déroutante, sans point mais émaillée de points-virgules. Dans ce très beau texte construit à la première personne dans un subtil réseau d'échos, Chamoiseau cherche et trouve "l'essence même de l'homme vrai". Avec une fin surprenante en forme de chute réaffirmant l'universalité de la condition humaine au travers de la "situation Robinson", et un ouvrage qui se referme sur de magnifiques fragments offrant un autre point de vue sur la lecture et l'écriture de cette Empreinte à Crusoé. Empreint d'un humanisme et d'une humanité profonde, L'Empreinte à Crusoé est définitivement porteur d'un universel. En bref, un grand livre.


Lien : http://le-mange-livres.blogs..
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Texaco

Texaco a été lauréat du Prix Goncourt 1992 - gros roman de 432 pages qui vous engloutissent dans une lecture passionnante mais touffue, lente, parfois laborieuse (tiens, la narratrice s'appelle Marie-Sophie Laborieux, coïncidence?). Lecture compliquée par le mélange de français littéraire, de vocabulaire oral de la Martinique avec parfois des expressions créoles. Comme j'avais envie de tout comprendre dans ce voyage littéraire j'ai souvent arrêté la lecture pour chercher les mots que je ne comprenais pas. 



Lecture compliquée aussi par l'intervention de plusieurs narrateurs : Marie-Sophie Laborieux, dans ses cahiers transcrit les paroles de son père Esternome, qui, lui-même rappelle les souvenirs des générations précédentes. Intervient aussi un urbaniste rédigeant des rapports...



Texaco est un quartier, bidonville, favela, de Fort-de France installé sur le terrain de la Compagnie Pétrolière Texaco et fondée par Marie-Sophie Laborieux.



Le titre Texaco qui fait du quartier un personnage à part entière, s'intègre dans une focale "architecturale" . Les repères chronologiques mis en avant par l'auteur sont  des modes de construction : "TEMPS DE CARBET ET D'AJOUPAS  "les Indiens Arawaks vivaient dans des huttes, après 1680, au "TEMPS DE PAILLE" les esclaves africains étaient dans des cases couvertes de paille autour des habitations des colons, "TEMPS BOIS-CAISSE" correspond à l'effondrement du système des habitations  tandis que les cases construites en débris de caisses s'élèvent autour des grandes usines à sucre. "TEMPS FIBROCIMENT" correspond à la construction de Texaco et précède le "TEMPS BETON".



Chamoiseau a donc rythmé la saga par l'édification des cases. L'histoire commence au Temps de Paille  du temps de l'esclavage, de 1823 où le grand père - empoisonneur fut mis au cachot tandis que la grand-mère était blanchisseuse. Le  père, Esternome,  naquit dans l'habitation et passa son enfance dans la Grand-case. Ayant sauvé la vie du Béké, il gagna la liberté de savane. La première partie du livre raconte comment Esternome s'est affranchi, comment il a quitté la campagne, est "descendu vers l'En-ville" où il est devenu charpentier sous la conduite du maître charpentier Théodorus.







Un des évènements les plus marquants de l'époque fut en 1848 : l'Abolition de l'Esclavage



"En fait, Sophie ma Marie, moi-même qui l'ai reçue, je sais que Liberté ne se donne pas, ne doit pas se donner. La liberté donnée ne libère pas ton âme"



Esternome tomba amoureux. mais je ne vais pas vous raconter tout le livre....Avec Ninon, il a essayé de se construire un paradis, un jardin au flanc d'un morne...



"Soufrière a pété, Soufrière a pété"



la catastrophe, la destruction de Saint Pierre le 8 mai 1902 l'exode vers Fort de France va marquer une nouvelle époque, Estenome a tout perdu, sa Ninon, son paradis sur le morne, et pourtant un nouveau départ: une nouvelle compagne lui donne une fille Sophie-Marie.



Nous allons suivre les aventures de la petite fille dans le Quartier des Misérables, la survie en vendant des fritures dans la rue. Orpheline, il ne lui restait plus qu'à faire la bonne avec plus ou moins de bonheur. Intelligente, elle a tiré profit de l'environnement, des musiciens de son premier maître, a appris à coudre chez la suivante, puis à lire et écrire. Son plus grand trésor fut quatre volumes qu'elle emporta :  Montaigne, Rabelais, Alice de Lewis Caroll et les Fables de La Fontaine. Lectrice, mais aussi scribe de l'histoire de son père et de ses ancêtres esclave. C'est elle qui a fondé Texaco, qui en est devenue l'écrivain public, l'animatrice jusqu'à aller trouver Césaire : 





Au  nom de l'hygiène, de la modernité, Texaco sera-t-il détruit pour caser ses habitants dans des achélèmes?



"L'urbaniste occidental voit dans Texaco une tumeur à l'ordre urbain. Incohérente. Insalubre. Une contestation

active. Une menace. On lui dénie toute valeur architecturale ou sociale. Le discours politique est là-dessus négateur. En clair, c'est un problème. Mais raser, c'est renvoyer le problème ailleurs, ou pire : ne pas l'envisager.

Non, il nous faut congédier l'Occident et réapprendre à lire : réapprendre à inventer la ville. L'urbaniste ici-là,

doit se penser créole avant même"



[...]



Texaco. J'y vois des cathédrales de fûts, des arcades de ferrailles, des tuyauteries porteuses de pauvres rêves.

Une non-ville de terre et d'essence. La ville, Fort-de-France, se reproduit et s'étale là de manière inédite. Il nous faut comprendre ce futur noué comme un poème pour nos yeux illettrés. Il nous faut comprendre cette ville créole dont les plantations, nos Habitations, chaque Grand-case de nos mornes, ont rêvé – je veux dire engendré.



C'est un beau roman, c'est aussi une histoire vraie. 



Un Goncourt largement mérité et qu'on ne risque pas d'oublier, 30 ans après le prix. 
Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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L'empreinte à Crusoé

Chamoiseau réinvente le mythe de Robinson, quelque part entre celui de Defoe et celui de Tournier, dans un roman multicolore à la langue foisonnante et extrêmement inventive.

Robinson vient de passer les vingt dernières années de sa vie sur une île déserte mais sa solitude est toute relative, peuplée des chants d’oiseaux, du bruit du vent dans les feuilles, d’odeurs de frangipane, de rose, de papaye… et surtout de cet Autre qu’il ne voit pas plus que nous mais qu’il imagine partout, derrière chaque bruit provenant d’un buisson, chaque mouvement qu’il croit détecter depuis qu’il a découvert une empreinte dans le sable.

Le lecteur suit les pensées de cet étrange Robinson qui évolue au cœur d’une nature luxuriante extraordinaire qui l’oblige à trouver d’autres mots, à les assembler différemment, à réinventer un vocabulaire adapté à l’île.



« L’empreinte à Crusoé » est un très beau roman de Patrick Chamoiseau, plein de sensualité et de magie (on y croise elfes et korrigans), une ode à l’imagination du romancier, un hommage à la langue française nourrie d’autres cultures (créoles notamment mais pas seulement).

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Texaco

Texaco un roman social et engagé qui aborde la grande Histoire de France par la vision individuelle et personnelle de personnages martiniquais, depuis l’esclavage puis pendant la colonisation et enfin au cours de l’urbanisation accélérée des années 1980. Patrick Chamoiseau réécrit l’Histoire à partir des points de vue que justement les manuels d’histoire ont oublié. Il place d’emblée son roman dans une énonciation biblique en reprenant dans son ossature des termes propres à la transmission orale et écrite d’une parole sacrée. Il s’inscrit lui-même dans sa propre fiction à travers le personnage du Marqueur de paroles, Oiseau de Cham.



Nous pouvons y voir une forme de littérature-document sur l’esclavage et sur son abolition, entre idéal et déception ; les deux guerres mondiales et la question de l’assimilation sont l’occasion de montrer l’ambiguïté des rapports avec la lointaine France… Le traitement des évènements historiques met en lumière une forme d’exclusion ; Esternome et Marie-Sophie sont pris dans la tourmente de l’Histoire mais n’y trouvent pas leur place. Patrick Chamoiseau révèle « dessous l’Histoire, des histoires dont aucun livre ne parle » : il nous familiarise avec les Mentô, hommes de forces, passeurs de mémoires et avec les Mornes, terres secrètes où les békés ne se sont pas aventurés. L’approche biographique entraine la confrontation de l’espace clos et intime du foyer familial avec l’espace public ouvert sur l’histoire nationale et locale ; Patrick Chamoiseau nous livre dans Texaco une véritable galerie de relations amoureuses ordonnées en parallèle des évènements historiques ; les amours de Marie-Sophie Laborieux et celles de son père avant elle relèvent d’une forme d’archivage incluant des récits seconds dans un récit premier.



Dans la biographie fictionnelle de Marie-Sophie Laborieux, nous retrouvons des sources d’inspiration puisées dans l’enfance créole et urbaine de Patrick Chamoiseau. Marie-Sophie rejoint Man Ninotte, la mère de l’auteur dans ses luttes quotidiennes contre la déveine et l’ensemble des « Man » martiniquaises. En cherchant plus avant, on trouve des ressemblances avec le père de Patrick Chamoiseau chez Basile (même prénom, allure et soin de sa personne) et Monsieur Gros-Joseph (goût de la lecture transmis à ses enfants). À côté de la vie d’Esternome et de Marie-Sophie, le roman donne une place à une mosaïque d’histoires individuelles et familiales.



Texaco se lit aussi comme une épopée moderne, une épopée de la ville créole, ancrée dans les réalités politiques et sociales de la Martinique, en d’autres termes, une réactualisation de l’épique à la lumière de la réalité antillaise. Patrick Chamoiseau a recours au chant, au « Noutéka des Mornes » pour raconter, « divulguer » « l’Odyssée voilée » de ceux qui, comme Esternome et Ninon, ont pris les Mornes. Marie-Sophie aura plus tard le désir de reprendre ce chant à son compte comme une « pauvre épopée, levée complice d’une amertume ». Patrick Chamoiseau apparaît comme un héritier des chants perdus de toutes les mythologies, orientales, amérindiennes, nordiques et gréco latines. Il développe l’idée forte de donner un texte fondateur à un espace et à un peuple à travers un quartier et ses habitants. Il reprend le thème de la cécité de l’aède homérique ; Idoménée ne veut pas raconter comment elle a perdu la vue puis la retrouve miraculeusement grâce aux larmes de joie versées pendant sa grossesse. A la fin de sa vie, Marie-Sophie aussi perd peu à peu la vue et se réfugie dans la mémoire. Dans le roman, la cécité devient le regard de l’intériorité et de la sagesse.

Une épopée a des héros et est généralement un récit de hauts faits ou d’exploits guerriers. Dans Texaco, la tonalité guerrière est donnée par le champ lexical de la conquête et de la guerre utilisé dès les premières lignes du roman qui annoncent les « élans pour conquérir l’En-ville » et « la création guerrière » du quartier » (p. 13). Marie-Sophie se présente d’emblée comme « ancêtre fondatrice » de Texaco (p. 38). L’Urbaniste la voit comme « la Dame » ou « la grande dame » (p. 436, p. 471). Elle est décrite comme une « vieille femme câpresse, très grande, très maigre, avec un visage grave, solennel et des yeux immobiles » (p. 493), « une câpresse de haute lutte, impériale, dont les rides rayonnaient de puissance » (p. 495). C’est surtout une femme-matador, au « dos droit, [au] regard ferme, [à la] voix claire, [au] geste tranchant » (p. 468). Aux Antilles, une femme-matador est souvent une demi-mondaine, coquette, provocante et surtout indépendante. Ici, il faut plutôt s’attacher à un sens de femme d’action virilisée à la forte personnalité, dominatrice et effrontée. Etymologiquement, cette appellation contient le verbe espagnol matar qui signifie « tuer » et peut convenir à toute femme de caractère qui transgresse les conventions. Marie-Sophie reçoit un enseignement, est formée en quelque sorte par un maître, le Mentô Papa Totone ce qui lui permet de comprendre les équilibres du quartier. Mieux qu’un titre glorieux, elle se donne un nom secret d’où elle tire sa force. Le roman livrera d’ailleurs des récits de combat contre les céhèresses digne des batailles homériques ; au cours de l’expulsion policière de novembre 1950 (p. 391-393) par exemple, nous assistons à des « assauts », des « sacrilèges », des retraites ; le quartier devient un champ de bataille remplis de cris et de fureur dominés par les armes et les équipements des forces de police.

Le thème du voyage et de l’errance est également développé dans Texaco avec les nombreux changements de lieux de vie d’Esternome et de Marie-Sophie Laborieux avant que cette dernière ne devienne peu à peu la guerrière de Texaco qui luttera contre l’En-ville.



Texaco présente également des trais communs à l’univers picaresque et au roman d’apprentissage. Le lecteur suit Marie-Sophie, de sa petite enfance à sa vieillesse et la voit se confronter aux évènements historiques, aux difficultés et aux obstacles d’un environnement hostile jusqu’à acquérir expérience, sagesse et droit d’exister, d’avoir une place reconnue. Nous retrouvons la pratique du récit enchâssé qui nous permet de découvrir les destins croisés d’un grand nombre de personnages secondaires comme par exemple Annette Bonamitan dite Sonore (p. 25-31) ou encore Péloponèse, la mariée douloureuse (p. 358-366). Le roman de Patrick Chamoiseau porte également la volonté didactique de faire prendre conscience au lecteur de la réalité particulière de la Martinique, de sa spécificité dans l’Histoire de la France.



Patrick Chamoiseau cite, convoque et mêle à l’intrique un grand nombre de personnages historiques du XVIIème siècle à nos jours entre hommage implicite, dénonciation déguisée et prise de liberté avec les réalités historiques : il faut retenir ici les passages consacrés au Général de Gaule et à Aimé Césaire, particulièrement savoureux.



J’ai personnellement lu et relu ce roman ; je ne m’en lasse pas, chaque lecture est une nouvelle découverte de la langue créole, de la poésie distillée à chaque page, des intertextes, des failles historiques…

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L'empreinte à Crusoé

A la croisée des chemins entre le Robinson Crusoé historique de Daniel Defoe et le Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier, Patrick Chamoiseau nous propose sa propre réécriture du mythe littéraire énorme qu’est Robinson.



En ce qui concerne la narration, le choix est porté sur un récit-fleuve par “Robinson” lui-même, avec l’utilisation presque exclusive du point-virgule pour toute ponctuation (avec la virgule) : “étrange, le point-virgule, il n’arrête pas mais précipite, quelquefois il suspend légérement, mais précipite quand même.” (L’atelier de l’empreinte. Chutes et note). Un point-virgule qui impacte le rythme et le sens du texte, comme on le verra par la suite.



Robinson s’est installé sur son île. Bizarrement, il ne se rappelle pas comment il est arrivé là, attaché à un baudrier qui porte ce seul nom : Robinson Crusoé. Sans identité, il décide de l’adopter.



“j’avais conscience que ma perte de mémoire avait effacé tout rapport à ma propre personne, mais cette altérité si radicale, qui surgissait dans ce que mon moi-même avait de plus fondamental, m’était très difficile à vivre ; j’habitais un étranger;”



Cependant, la vie s’organise, les années passent et il remplit toutes les tâches décrites dans les deux Robinson précédents : occupant l’île comme un seigneur, il domestique, fabrique, cuisine. C’est la première partie, celle du constructeur. Et puis un jour, il découvre une empreinte de pas humain. Et c’est la frénésie. Après quelques mois où il perd la tête car il n’est plus habitué à la compagnie humaine, il décide de chercher cet être. Mais il est seul : “J’étais entré dans un douloureux rapport à moi-même.” C’est le début d’une lente évolution, qui fait écho ici davantage au texte de Tournier.



Je ne veux pas dévoiler plus du cheminement du personnage, de la peur de la mort à l’accomplissement de la beauté et de l’art.



Le roman se décline en plusieurs phases bien distinctes qui toutes représentent une facette de l’humanité : l’idiot dans sa caverne, puis sa sortie, sa redécouverte de l’île qu’il n’avait jamais vraiment vu, aveuglé par sa frénésie de maîtrise de la nature. C’est l’allégorie de la caverne de Platon. D’ailleurs Chamoiseau fait le choix de lui laisser Héraclite et Parménide entre les mains, alors que le Robinson de Defoe n’a que la Bible. Une différence de lectures qui éclaire le décalage entre les deux oeuvres.



La réécriture de Chamoiseau est intéressante car elle examine le rapport du naufragé avec lui-même. On voit comment il se perd, se reprend en main, reprend conscience de lui-même, de son attitude, de son physique. On suit comment il tend à plusieurs reprises à la limite extrême de la raison. Le débit saccadé du texte rend le risque de la folie encore plus présent.



Petit à petit, il décortique tout ce qui fait l’homme : le désir de possession, la parole, la pensée, la nécessité de nommer les choses, et puis l’art, dont “Robinson” s’aperçoit qu’il est l’acte ultime et que tout le reste est vain. Son regard s’affirme, induit de la lumière dans tout ce qu’il voit, observe : “je n’éprouvais aucune envie de construire, de chasser, de régenter ce lieu, seulement le désir immense de percevoir ce Quoi que le faste naturel de l’île me laissait supposer, et qui était en elle, tout comme il était en moi.”



*



“Au bout de tout cela, seigneur, j’étais tombé en connaissance, c’est-à-dire dans ce questionnement angoissé sur ce que j’étais dans cette île, avec la certitude de garder cette question comme un inatteignable soleil tout autant qu’un mapian, comme disent les nègres de plantation à propos de ces blessures qui ne guérissent jamais …;”



Servi par une langue magnifique, le texte de Patrick Chamoiseau nous transporte sur cette île, aussi bien dans cette nature luxuriante et bienveillante, qu’en plein coeur d’une réflexion philosophique sur la condition humaine, sur l’individu, par le parcours fin et sensible d’un personnage mythique revisité.
Lien : http://missbouquinaix.wordpr..
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Frères migrants

Plutôt qu'une critique supplémentaire sur ce livre vrai en son discours et ses intentions, voici une petite illustration chantée d'actualité : https://www.youtube.com/watch?v=6a6DWb5dxKs

Les migrants, les migrations en général, sont la réalité critique incontournable de ce monde, le nôtre, tel qu'il s'est construit avec la prise de pouvoir de la domination marchande sur la quasi totalité de son organisation. La légitimité des migrations, qu'elles soient consécutives aux guerres ou aux oppressions de toutes sortes (économiques et sociales), aux dégradations climatiques, est absolue. Vouloir rejeter les migrants, c'est rejeter le monde, c'est rejeter la vie. C'est aussi rejeter les conséquences de nos actes, de nos choix ou tout aussi bien de notre passivité; c'est rejeter l'histoire. Les migrants sont l'expression la plus visible de la nécessité du renversement d'une société régit par la logique marchande, par l'argent roi et l'égoïsme promu valeur dominante. Les migrants sont nos frères humains. La peur ne peut faire oublier que c'est juste un hasard que nous ne soyons pas à leur place. D'un coté il y a un devenir humain qui s'annonce difficile mais de l'autre, il n'y a que l'inhumanité, la barbarie et la honte.
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L'empreinte à Crusoé

Un récit de solitude sur une île paradisiaque mais surtout carcérale. Chamoiseau reprend le mythe de Robinson Crusoe et infiltre le lecteur dans les interstices, dans les détails de sa solitude sur une île qui semble devenir de chair.

Le début est conforme au modèle: un homme se réveille échoué sur une île mais ce qui différencie ce roman de ceux de Defoe et de Tournier c'est d'abord le style, poétique avec des phrases sans points, remplacés par le point virgule. Ce qui rend la lecture fluide mais sans répit.

Et surtout c'est un roman de réflexion sur la solitude ,et c'est long très long à lire 200 pages sur la solitude. Si bien qu'à force de longer les frontières du sommeil on finit parfois par y tomber s'il ne se passe rien.

J'espérais lire une version plus créole du mythe, plus vivant dans le style et dans le récit car j'avais adoré Solibo Magnifique du même auteur. Mais je n'ai apprécié ici que quelques passages et la fin, très surprenante.

Ce qui ne suffit pas pour savourer l'ensemble.
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