La semaine dernière, il s'est fait violence pour quémander les lumières du curé de Molines, l'abbé Tifaine, à propos des sentences latines du cadran de Fontgillarde - et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il a été servi !
Sautant sur l'occasion, le prêtre l'a entraîné, ainsi que les enfants du catéchisme, jusqu'à cet angle du clocher de son église où un cadran - double, celui-là - interpelle le passant d'une mise en garde tout aussi sibylline que celle de Fontgillarde : Ora ne te rapiat hora.
- Prie pour que l'heure ne te prenne pas ! Voilà ce que cela nous dit, mes enfants ! Il faut donc prier, chaque jour de notre vie, car nous ne savons pas quand notre heure viendra ! Et c'est aussi ce que nous dit ce cadran de Fontgillarde, que notre ami Victor a si bien observé : "La vie s'enfuit comme l'ombre. Celui qui vit bien mourra bien."
Sur le coup, Victor n'a rien trouvé à dire, mais il s'est questionné depuis - et plutôt cent fois qu'une - sur le sens de ce "vivre bien". Serait-ce, effectivement, vivre en bon chrétien, selon la version du curé Tifaine ? ... ou plutôt vivre en profitant, au maximum, de chaque heure qui nous est donnée ?
Voilà comment, sans le savoir, on peut devenir philosophe.
Nombre de villes ont vu s'ouvrir des boulevards en lieu et place de leurs défuntes fortifications. À Liège, c'est sur le lit d'anciens bras de la Meuse que le terrain a été gagné : ces bras secondaires qui faisaient de la cité une petite Venise, mais qu'on a fini par assécher au vu des multiples désagréments que leurs humeurs - dans tous les sens du terme ! - ne cessaient d'engendrer au coeur même de la ville. Sur ces larges couloirs, aux sinuosités bien surprenantes pour les non-initiés, courent aujourd'hui de belles artères plantées d'arbres qui sont, pour les Liégeois, autant de lieux d'exquise promenade.
C'est l'heure où la montagne est la plus belle ; l'heure où, sur un fond du ciel d'une indicible limpidité, tous les sommets du couchant se sont ourlés de ce rouge orange qui contraste à merveille avec le mauve violacé des versants qui s'enténèbrent ; l'heure, enfin, où la fraîcheur du soir vous ramène aux narines, en un délicieux pot-pourri, mille et une senteurs qui s'étaient assoupies à la chaleur du jour.
Semaines d'enfer que celles de ces premiers mois ! De l'aube au crépuscule, à toute heure du jour, il n'en était pas un, pas une, parmi eux, qui ne fût à creuser, tailler, sarcler, faucher, gâcher le plâtre ou le mortier, jouer de la truelle... mais aussi traire, écrémer, battre le beurre, charrier le fumier par quintaux, affourager les bêtes ou les mener aux champs.
Voici que, depuis quelques jours, le regard du beau garçon fuyait le sien, tandis que son humeur s'assombrissait de plus en plus ! Finis les beaux sourires qui la faisaient chavirer ! Finies les sérénades fredonnées en toute occasion ! C'était comme si, de son aile, quelque malheur lui avait caché le soleil.
À pas prudents, ils avancèrent ainsi, l'un derrière l'autre, trébuchant ça et là sur quelque caillou, s'effrayant à l'envol de quelque pipistrelle... ou même à la mouvance de leurs ombres fantomatiques que la lumière crue de l'acétylène projetait sur les parois de la galerie.