La voix des colonisés : l'histoire d'Anacaona, reine Taïno en Haïti
Le privilège est invisible pour ceux qui en disposent.
"Je voulais raconter mon histoire, avec honnêteté, sincérité, pour témoigner. Témoigner d'abord de la force de la volonté - quand on veut, on peut. Rien ne prédestinait un négrillon comme moi à faire des études, à faire le tour du monde.
Et je voulais vous dire aussi que la paix intérieure est parfois difficile à trouver, il faut u temps pour accéder au bonheur, mais il ne faut pas désespérer."
"[...] j'en sortirai grandie, immense : je vais pardonner mais pas oublier ; et j'irai les voir, lui, eux, je m'assoirai en face d'eux et resterai silencieuse - rien, je ne leur dirai rien, baston de regards, ça sera à celui qui baissera les yeux le premier, et ça sera eux qui baisseront les yeux les premiers, je le sais, car j'ai la force avec moi [...]."
"[...] on a beau se construire toutes les carapaces du monde, une fille a toujours besoin d'un père ; pourquoi, pourquoi, au fond du tréfonds, je rêve d'aimer un homme, vous voyez, je ne peux pas dire "je rêve d'aimer mon père", impossible, c'est pas possible et c'est faux, non, je ne rêve pas de l'aimer, je rêve d'aimer un père qui aurait été différent, là, voilà, comme ça, je peux le dire."
"_L'important est de se connaître soi-même. Je savais que j'avais les capacités d'aller là où je voulais aller. J'avais la détermination. J'ai insisté, j'ai persisté, je n'ai jamais renoncé, confiante, absolument confiante que tout ce dont je rêvais serait un jour à ma portée."
"L'argent achète tout, notamment les amitiés [...]"
Il est vrai que, toute sa vie, Jorge ce sera battu pour défendre les droits des Noirs et leur culture, dont le candomblé est une manifestation vivante.
Nous étions pauvres, mais contrairement à d'autres, jamais la nourriture - frugale, mais l'ingéniosité de nos femmes savait la rendre savoureuse - ne manqua. Cependant, tout se répétait, c'était la même existence pour toutes les femmes d'ici. L'une brodait un peu mieux que l'autre qui cuisinait un peu mieux, mais celles qui n'étaient pas vieilles filles faisaient un enfant par an, se levaient à l'aube, et étaient ridées avant d'être vieilles; Nous étions fortes par nécessité, n'ayant d'autre choix que d'affronter la vie harassante qui nous attendait - femmes, pauvres, descendantes d'esclaves. (16)
Face à ma petite sœur blessée, je me rappelai les conseils d'Eufrosina.
Que se serait-il passé si elle avait hurlé : Aaaaaah ! Le Dr Nestor aurait-il insisté? J'aurais dû - nous aurions dû, maman, Odette et moi - prévenir notre petite sœur du danger que représentaient les hommes. Il ne fallait jamais être seule en leur présence. Être une enfant ne nous protégeait pas d'eux. Comme j'ai regretté que mes deux petites sœurs - ou plutôt toutes les femmes sur cette terre - n'aient pas de poignard dissuasif à brandir devant des Marco ou des Nestor ! Il fallait leur montrer que nous étions fortes et que nous n'avions pas peur.
Que pouvaient faire les fillettes ou les femmes qui n'avaient pas de poignard et qui étaient harcelées, poursuivies sans relâche, violées ? Dans de nombreuses familles, des pères ou des frères vengeaient l'honneur d'une sœur ou d'une fille en tuant le coupable. Cela ne lavait pas l'honneur de la femme, mais le leur. Les hommes gagnaient alors le sertão pour rejoindre les cangaceiros. C'est ce qu'avait fait le fils du sellier, maître José Amaro : il avait éventré le propriétaire de l'épicerie de Mucugê, ce coureur de jupons qui avait engrossé sa sœur, et avait rejoint la bande de Volta-Grande pour échapper à une condamnation. Parfois encore, le coronel faisait annuler leur peine grâce à de petits accords avec le juge et devenait leur patron et protecteur, exigeant d'eux une fidélité absolue. Enfin, le reste du temps m, ces pères ou ces frères s’enfuyaient et ne revenaient plus. Et la fille violentes restait le corps et le cœur flétri, condamnée, comme fossilisée.
Je n'avais jamais dit « Non, Madame ». Comment m’étais-je ainsi résignée à perdre ma dignité - et même la sensation d'être vivante ? Jamais dona Francesca ne me demanda comment j'allais et, bien sûr, jamais elle n'eut à mon égard une amabilité, un geste d'affection. J'avais perdu mon foyer et les êtres que j'aimais - je travaillais sept jours sur sept, ne voyais plus mes anciennes compagnes du quartier et n'entr' apercevais Dézinha que pendant quelques minutes volées, lorsqu'elle s'attardait après avoir livré les toilettes de dona Francesca. J'avais perdu tout droit sur mon corps, qui ne m'appartenait plus, il appartenait entièrement à mes patrons. Ou était la fière Maria, vibrant des discours de Luisa, de Maria-Félipa? Celle qui avait tenu tête au coronel Apreu, qui avait participé au soulèvement d'une région ? J'étais dominée, seule, morte socialement. Oue faire ?