Peter Freuchen

C'est toujours une grande fête d'amener un morse à la côte et de le dépecer. Le plus souvent possible nous laissons la marée l'échouer au bord et ensuite nous attendons la marée basse pour le découper. Chaque homme reçoit sa part et sait exactement, par d’anciens précédents, à quelle portions il a droit. Celui qui a le premier planté son harpon dans l'animal est propriétaire ou fournisseur du morse et l'honneur lui en revient. Il reçoit en récompense la tête, la nageoire gauche et les boyaux et surtout le cœur. Le second prend le côté antérieur droit mais sans rien de l'intérieur, le troisième la gauche de la queue, et ainsi de suite. Si les hommes sont plus nombreux on fait plus de parts, douze s'il y a douze chasseurs. J'ai eu, la première fois, la chance de recvoir une part de devant, parce que j'avais tué l'animal harponné par un autre.
Je remerciai le chasseur quand je me trouvai soudain en possession de plusieurs centaines de livres de chair. Plus tard, au camp, il me dit de ne jamais remercier quelqu'un pour de la viande :
— Dans notre pays nous sommes humains et, par conséquent, nous nous entr'aidons. Nous n'aimons pas entendre dire : “ Merci pour ceci .” Si j'ai quelque chose aujourd'hui vous pouvez l'avoir demain. Certains ne tuent jamais rien parce qu'ils ont rarement de la chance ou ne peuvent courir ou ramer aussi vite que d'autres. Aussi leur serait-il pénible d'avoir sans cesse à être reconnaissants à leurs camarades. Et il ne serait pas agréable au grand chasseur de penser que d'autres seraient constamment humiliés par lui. Son plaisir n'existerait plus. Nous disons ici que les présents font des esclaves et les fouets des chiens.