Puis, alors que je fixe cet océan noir, la Terre entre en tournoyant dans mon champ de vision. Sphère ardente d'un feu bleuté. Le ciel, la terre et les mers tourbillonnent en arc de cercle, chatoiement de bandes orageuses tournant dans l'obscurité.
Pyjama Boy, en partie dans l'ombre, brandit la BD que je viens de balancer derrière moi. Avec ses cheveux ébouriffés, on dirait qu'il attend que sa bonne lui apporte le petit déjeuner.
Voir Peyto dans cet état me rappelle ma propre mère. Je me souviens de ce que j'ai ressenti quand elle morte. On se replie sur soi, on se recroqueville, mais dans sa tête, on se laisse emporter dans des rêveries, parmi des souvenirs, à la recherche de ce visage qu'on sait qu'on ne reverra. Et quand on retrouve ses esprits, on est un poil plus vieux, un poil plus endurci.
Je suis complètement cassée d'avoir couru, alors je reprends mon souffle une minute, en observant la tour solitaire. Et elle me fait une drôle d'impression, dressée au-dessus de moi dans le smog couleur tilleul, prise dans les projecteurs du fleuve, à la fois flippante et de toute beauté.
Je lui montre le volet du fourneau qui rougeoie.
- Ne t'approche pas de trop près. C'est cap de te souffler des pépites de lave à la figure.
Peyto a un haussement de sourcils vers moi, et je me sens rougir tellement que c'est une bonne chose que le plafond m'ait poudrée de plâtre.