Philippe Mercurio

Pourquoi ne l’ont-ils pas coffré ? S’énerva la pilote.
Alrine soupira.
J’ai posé la question. Tiens-toi bien, la réponse va te plaire : en tant qu’agne vohrn, tu as priorité sur la police locale, car il s’agit de leur ambassadeur… Comme tu le devines, ils ont traduit « priorité » par « démerde-toi toute seule ».

Lorsqu’il s’arrima à la station spatiale, une vibration à peine perceptible parcourut la membrure du Sirgan, le vaisseau-courrier de Mallory Sajean. Elle abandonna le cockpit et dévala l’étroite coursive traversant son navire pour se rendre au sas. Aussitôt la pression d’air équilibrée, la porte s’ouvrit sur un véritable chaos.

Examinant Mallory « nouvelle version », il ne put s’empêcher de remarquer une prise d’ampleur inattendue de sa poitrine.
Ce soudain intérêt l’agaça : ellesoupira en se disant que les hommes et les seins, c’était comme les alcooliques et le whisky. Plus la bouteille était grosse, plus ils savouraient à l’avance…

Une tête de dur, aux traits caricaturaux. Prognathe, il avait un front bas, une carrure de déménageur de piano et des mains telles des planches. Le genre de type dont le patrimoine génétique crie haut et fort : je ne réfléchis pas beaucoup, mais je peux faire très mal.

Sur ces mots, elle enfonça brutalement l’aiguille de la seringue géante et en libéra le contenu. Stupéfaite, elle se rendit compte qu’elle venait de jouer la survie d’une ville entière sur le conseils d’un grand ver à poils multicolores.

Des sirènes d’alarme retentirent, ameutant les quelques policiers en service à l’astroport. Avant même de comprendre ce qui se passait, plusieurs d’entre eux furent fauchés. Au milieu de ce tumulte jaillit une silhouette, recouverte de la tête aux pieds d’une combinaison bleu sombre. Les tirs à répétition se concentraient en vain sur elle.
— Oh, merde ! Non ! s’écria Mallory.
Elle vit l’ombre bleue se précipiter vers son navire en tenant l’attaché-case qu’elle avait remarqué plus tôt.
— Je rêve ou quoi ! Laorcq ! C’est Laorcq !
Les coups de feu traçaient un sillage destructeur dans ses pas. Touchés de plein fouet, les propulseurs d’un appareil à quai furent éventrés. Leur équilibre brutalement rompu, ils générèrent une boule de plasma. Elle remplit la moitié de l’astroport et carbonisa des malheureux sur plusieurs centaines de mètres. Luttant contre les flammes, des jets de mousse carbonique giclèrent de toutes parts.
Médusée, Mallory contemplait la catastrophe à l’écran. En dépit du déluge de plomb qui s’abattait sur lui, Laorcq courait toujours vers eux.
Elle se reprit et ordonna :
— Jazz ! Verrouille la soute ! Avec un peu de chance, notre encombrant passager se fera descendre.
— Trop tard ! lui répondit l’Intelligence Naturelle. Il sera là avant la fermeture du hayon.

Le système anti-incendie s’activa brusquement. Mallory se demanda ce qui prenait Jazz, avant de réaliser qu’il venait d’avoir une idée de génie : surpris par les jets de gaz carbonique à moins cinquante degrés, Sodoye écarta malgré lui son poignard.
Ce simple sursaut signa sa fin. Laorcq ouvrit le feu. La pilote sentit le corps du mercenaire s’écrouler derrière elle. Elle tourna la tête pour observer le résultat et le regretta aussitôt : la balle s’était logée entre les yeux de Sodoye, sa boîte crânienne avait volé en éclats et aspergé le tableau de bord du vaisseau de matière cérébrale.
Contournant la flaque écarlate qui s’étalait à ses pieds, Mallory s’éloigna du mort.

Martelant le sol à chaque pas, le maslik aux membres métalliques se précipita sur Torg. Ce dernier n’eut que le temps de s’incliner un peu vers l’avant et de tendre ses bras épais pour bloquer son opposant. Les deux géants se heurtèrent avec fracas. Torg encaissa de justesse la charge brutale du maslik.
— Sale créature impie, meurs ! hurla l’alien fanatique à travers un boîtier traducteur.
Torg ne se laissa pas intimider.
— Tu t’es pas regardé, jeta-t-il. Au moins, mes concepteurs ont fait le boulot correctement…
Il repoussa l’alien globuleux et enchaîna en lui assenant un coup de pied capable de briser un morceau de béton. Il le toucha en plein dans la partie inférieure du corps, équivalent à l’abdomen. Le maslik cracha un filet de bave verdâtre, sans paraître incommodé.
Torg s’inquiéta de cette insensibilité à la douleur. L’extraterrestre lui fournit l’explication de lui-même :
— Tu ne peux me vaincre. Mon enveloppe charnelle est déjà morte et mon esprit promis au sorfal. Il le guidera vers le fadipa ! Je connaîtrai alors la béatitude ultime…

Par contre, je vais probablement griller ton navcom et ça donne une minuscule chance au maslik explosif de te péter à la figure…
Elle consulta le compte à rebours qui défilait toujours dans un coin de son champ de vision et grommela :
— Trente-cinq minutes. Bon. C’est réglé ! On n’a pas le temps de trouver mieux. Est-ce que Torg a pu entrer ?
— Oui.
— Parfait, dit lui qu’il peut percer la cloison extérieure. Toi, tu commences à saboter la centrale à fusion.
— Avec plaisir, ma capitaine, répondit Jazz avec entrain : il adorait s’introduire dans un système pour y semer la pagaille, surtout si un grand « boom » concluait son intervention.
Entre la fuite d’air et le réacteur en état critique, les masliks seraient forcés de sortir de leur planque. Pendant que Torg leur tomberait dessus, elle allait pouvoir désactiver la bombe.

Cantonnée au rôle de simple passagère par le guidage automatique, elle repensa au « projet insensé » de son oncle Max : prouver l’innocence de Kyle, le père de Mallory. Disparu au cours d’un conflit entre humains et extraterrestres, il fut jugé coupable de crime de guerre et de désertion. En apprenant le verdict, Max était devenu fou de rage.
Dès que sa nièce fut assez âgée pour comprendre, il lui avait expliqué pourquoi :
« Ton père a été envoyé en mission dans le système d’Éridane-E. Il n’a pas déserté. On l’a forcé à détruire une station civile, et ses supérieurs l’ont trahi en niant l’avoir ordonné ! Nous étions au plus fort des affrontements avec les orcants, il savait que les choses risquaient de mal tourner. Dans son ultime message, il m’a indiqué où est dissimulée une copie des instructions transmises par l’état-major. Seuls toi et moi pouvons y accéder : elles sont protégées par un codage ADN. J’ai trouvé quelqu’un pour me prêter de l’argent. Ajouté à mes économies, j’aurai juste assez pour me procurer un navire et me rendre sur place. Cela ne nous ramènera pas Kyle, mais je rétablirai la vérité, je te le jure ! »