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Critiques de Pierre Dardot (15)
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Ce cauchemar qui n'en finit pas

Se nourrissant des crises, la logique dominante accélère les processus économiques et sécuritaires, transformant en profondeur nos sociétés, les rapports entre gouvernés et gouvernants, et la « sortie de la démocratie ». Pierre Dardot et Christian Laval dénonce ici la radicalisation néolibérale qui étend et impose « la logique du capital à toutes les relations sociales jusqu’à en faire la forme même de nos vies », insécurise et discipline la population, désactive la démocratie et fragmente la société. Le ressentiment s’accumule, faute de réponse alternative crédible, et s’exprime par l’envie de « renverser la table », le retrait indifférent ou la xénophobie. « L’austérité en Europe mène à une catastrophe politique aujourd’hui parfaitement envisageable. La victoire du néo-fascisme est maintenant devenue une possibilité avec laquelle il faut compter. » Les autorités politiques, semblant n’avoir rien retenu de l’histoire, n’ont d’autres réponses que de fourbir l’arsenal juridique des tyrannies qui s’annoncent, accentuant toujours plus l’érosion de l’État de droit. Et la gauche critique se complait dans les incantations stériles.

(...)

Indiscutablement indispensable !



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Le choix de la guerre civile

Dès ses origines, le néolibéralisme a fait le choix de « la guerre civile contre l'égalité au nom de la “liberté“ » en vue de réaliser le projet d'une pure société de marché, prenant des formes diverses, selon les circonstances, pour écraser ses ennemis : se dotant des moyens de la coercition militaire et policière ou se confondant avec l'exercice du pouvoir gouvernemental et se menant par le droit et la loi. « Relire le néolibéralisme sous l'angle de la rationalité stratégique et de la violence qui lui est intrinsèque, c'est remettre en question son interprétation théorique comme ensemble de doctrines ou positions purement idéologiques, et c'est par conséquent analyser le terrain sur lequel il se déploie et qui n'est autre que celui d'une lutte sociale et politique pour imposer sa domination. »

(...)

Cette savante généalogie du néolibéralisme met en lumière les mécanismes scrupuleusement occultés de celui-ci. Si l’esquisse d’une stratégie pour les saboter semblera sans doute un peu légère (ce n’était toutefois pas l’intention annoncée des auteurs), la simple mise-à-nue est déjà fort inspirante. Pierre Dardot, Haud Guéguen, Christian Laval et Pierre Sauvêtre contribuent néanmoins à échapper au piège sémantique dans lequel nous enferment les tenants du néolibéralisme de droite comme de gauche en accusant les opposants à leurs politiques, de menacer l’ordre établi par la « guerre civile ». Cet ouvrage s’emploie à renverser le stigmate. Indispensable, assurément.



Article (très) complet sur le blog :
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Ce cauchemar qui n'en finit pas

Ce cauchemar qui n’en finira pas …



Dans cet essai collaboratif, le sociologue Christian Laval et le philosophe Pierre Dardot s’intéressent au plus que fameux « néolibéralisme » (d’une manière assez européano-centrée), terme ô combien polysémique, qui, couramment usité sans réelle caractérisation finit par ne plus signifier grand chose.



Nonobstant cet aspect général, les deux auteurs, eux, s’arrêtent sur leur définition du néolibéralisme. Contrairement à ce qu’on entend la plupart du temps, le néolibéralisme n’est pas pour eux une simple doctrine prônant un affaiblissement de l’Etat mais est bien un véritable système politico-institutionnel qui s’appuie sur des institutions financières, politiques possédant des moyens tant administratifs que législatifs et qui finalement se différencierait du « libéralisme » dans le sens où il aurait recours aux moyens et instruments de l’Etat, ce que j’appelle personnellement depuis pas mal de temps du « libéral-étatisme ». Celui-ci serait tourné vers une forme d’antidémocratisme, ou comme les auteurs le caractérise dans le livre, un système basé sur un « évidement de la démocratie ».

Deux modèles en quelque sorte sont mis en exergue par les deux penseurs. D’une part un néolibéralisme qu’on pourrait qualifier d’Hayekien, du nom du grand théoricien de l’école autrichienne (grand défenseur d’une « constitutionnalisation » du droit privé qui prendrait le pas sur le droit public), et un système ordolibéral, bien connu des européens et d’inspiration allemande qui nous intéressera plus, nous autres européens.

Contrairement à des nombreux ouvrages du genre, Laval et Dardot reviennent avec application, argumentation et exposition sur les principales idées de ces deux courants de pensée avec notamment, en partant des écrits, un déroulement jusqu’à leur finalité, sur ce que ces idées impliquent concrètement pour nos sociétés.

Pour résumer grossièrement l’implication globale du néolibéralisme et qui explique son caractère antidémocratique, c’est qu’il conduit à extraire de la décision politique, du débat politique des domaines qui l’étaient auparavant (en particulier l’économie). L’objectif principal serait comme le dit Hayek (cité dans l’ouvrage) de « détrôner la politique ». Et évidemment, comme chacun peut s’en rendre compte, l’idée qu’il n’existe qu’une seule voie possible, une sorte de « There is no alternative ! » est une caractéristique forte des séides du néolibéralisme.

Par exemple, concernant le fonctionnement du marché, les principales règles économiques doivent perdurer aux mutations politiques. Les gouvernements se succédants les règles doivent rester les mêmes. C’est notamment un des points importants de l’ordolibéralisme allemand, pour qui certes le marché doit être encadré par l’Etat (ce n’est pas un ordre naturel comme chez Hayek), mais l’Etat lui même doit le protéger en quelque sorte de l’action de ses représentants, en garantissant la stabilité monétaire, maîtrisant l’inflation et surtout en protégeant la sacro sainte « Concurrence » érigée en valeur quasi divine. Analogie intéressante, dans le modèle ordolibéral allemand, et notamment le statut de la Bundesbank, celle-ci doit être indépendante (du pouvoir « politique », entre guillemets car bien entendu pour moi l’économie est politique) car son indépendance (monétaire) dans le champ économique serait finalement semblable à l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir politique ! Cette dernière devient d'ailleurs en quelque sorte une « Cour constitutionnelle économique ».



Bien évidemment, les auteurs en profitent ensuite pour aborder le cas de l’Union européenne, qui comme chacun le sait s’est construite sur une dépossession constante de la « souveraineté populaire » et bien entendu, sans réellement demander l’avis des « peuples » (ou en passant outre). Procédé qui d’ailleurs fait immédiatement penser à la célèbre phrase attribuée à Gandhi qui disait en substance : si tu fais quelque chose pour moi, sans moi, tu le fais contre moi. L’Union européenne est pour les auteurs une très bonne illustration de cette idéologie néolibérale (dans son versant ordolibéral), qui rime avec inflation de normes économiques, juridiques et mise sur un pied d’estale de la Concurrence. Ceci dans le cadre plus global de l’instauration de l’économie de marché comme principe de légitimité de l’édification européenne (alors que la voie d’une légitimation par la coopération politique ou celle la solidarité sociale auraient pu être choisies), et s’accompagnant d’une instance monétaire indépendante (la BCE) du cadre politique traditionnel. De plus, c’est bien en quelque sorte de part cette indépendance du monétaire, de la BCE, ajoutée à la monnaie unique que peut s’expliquer cette course au moins disant social et des coûts salariaux (salut l'ami Schroder !), car ne pouvant dévaluer lorsque cela pouvait s’avérer nécessaire, les marges de manœuvres sociales demeurent une des voies possibles …

Néanmoins, il ne faudrait pas clouer au pilori nos chers amis allemands, déjà parce que leur idéologie peut sans doute être expliquée par leur culture, leur histoire et finalement être logique (ou compréhensible) de leur point de vue, mais bien parce que ce développement du caractère néolibéral est aussi explicable par la forte volonté des élites françaises, comme il l’est rappelé une énième fois dans l’ouvrage, avec d’une part notamment les fameux « pères de l’Union européenne » que sont Monnet et Schuman (plus que) méfiants du parlementarisme traditionnel parce que notamment trop idéologique (alors que leur vision à eux ne l’est évidemment pas du tout …) et d’autre part des principaux acteurs français de la construction européennes à partir des années Mitterrand (oui oui ceux qui ont accompagné la financiarisation de l’économie). Ce n’est donc pas une Union européenne façonnée par les allemands, mais bien une idéologie allemande rejoint et poussée par (notamment) les élites décisionnelles françaises que nous avons et dont nous sommes les héritiers.

On parlait de « gauche » juste au-dessus et bien entendu, les deux auteurs signifient bien l’aveuglement (plus ou moins volontaire) des partis de gauche ou des citoyens de gauche à chercher sans fin une Europe sociale, car de part ses traités, ses fondations mêmes, il ne peut y avoir de « politique de gauche » véritable. En quelque sorte, le cadre structurel est trop fort pour que cette possibilité puisse voir le jour. On a encore entendu récemment ce genre de conneries après le Brexit… Une idée encore plus amusante quand on voit que l’Europe actuelle est finalement plus un résultat des sociaux démocrates que des partis classiques de droite … Finalement, comme disait Barthes : « la fonction du mythe, c’est d’évacuer le réel ».



Evidemment, les deux auteurs abordent dans leur ouvrage d’autres thèmes comme au début un propos centré sur la démocratie et ses caractéristiques ou encore sur les liens entre le développement du néolibéralisme et du capitalisme avec une base de réflexion très centrée sur les thèses de Michel Foucault, sur l’influence grandissante des grandes entreprises et du poids de la finance, sur l’outil de la dette comme instrument de gouvernance de l’Union européenne ou comme outil de transformation néolibérale dans un cadre plus globale (prêts contre réformes avec la Banque mondiale ou le FMI) car comme les auteurs le disent « la dette est une arme de guerre politique des plus efficaces ».

D’une manière plus globale, les auteurs insistent sur le fait que le projet néolibéral ne s’incarne pas dans l’imaginaire vague de la financiarisation et du capitalisme essentialisés, mais qu’il s’incarne concrètement dans tout un tas d’institutions et de personnalités (économiques, politiques, sociales …) menés par des intérêts communs. Cet ensemble forme ce que Dardot et Laval appellent « la nouvelle aristocratie » ou « bloc oligarchique néolibéral ».



Un des aspects que j’apprécie le plus de l’essai, est qu’il évite le piège du complotiste, de la planification machiavélique. Ce qui pervers est que finalement cette construction politico-institutionnelle s’auto-construit et s’auto-entraine, s’auto-renforce.



D’une manière générale, l’ouvrage, je trouve, évite de tomber dans certains écueils de certains ouvrages semblables. Certes, il ne s’agit pas de recherche pointue, le propos garde un aspect généraliste, mais Dardot et Laval arrivent à apporter une base théorique, une réflexion de fond en appuie de leurs propos, ce qui en fait un ouvrage stimulant intellectuellement.

J’aurais par contre apprécié avoir quelques contrepoids illustrés, car même si le néolibéralisme est un système global et sans doute adapté à certains contextes locaux les auteurs ne nous donnent pas réellement des exemples différents de son application suivant les pays.

Pour revenir sur les points appréciables, leur écrit se base sur une importante bibliographie qui permet ensuite au lecteur d’aller approfondir certains points (des articles accessibles en ligne mais aussi des ouvrages intéressants mais très onéreux …).

En somme l’ouvrage peut se destiner à plusieurs catégories de lecteurs, ceux qui comme moi sont depuis un certain temps intéressés par le sujet, qui ne feront pas de grandes découvertes mais arriveront à enrichir leur vision par des arguments théoriques et des démonstrations pertinentes, ou à l’inverse aux profanes qui trouveront là un très bon bilan et un exposé complet.

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L'ombre d'Octobre

Octobre 1917 : Révolution ? Le mythe bat de l’aile depuis longtemps. Ce livre l’achève. Octobre 1917 : confiscation de la Révolution par un parti, les bolcheviks, et par un homme, Lénine. La thèse n’est pas originale, l’histoire semble lui donner raison. Ce qui est intéressant ici, ce n’est pas ce constat, c’est que celui-ci n’implique pas l’idée que le communisme, le marxisme et la révolution trouvent leur seule expression dans le totalitarisme soviétique. Une autre Révolution était possible, un autre communisme, un autre marxisme. Il aurait fallu s’appuyer sur les soviets au lieu de les noyauter, il aurait fallu renoncer au parti et à l’Etat, il aurait fallu faire confiance dans le peuple, si glorifié et si méprisé par l’URSS naissante. Non seulement, prétend ce livre, une autre Révolution était possible, mais elle a existé, au Mexique et – mais sacrifiée finalement par les staliniens – en Espagne. Bref, identifier bolchévisme et communisme est une erreur. L’espoir peut renaître – un peu, le Grand Soir s’étiole – de ses cendres. À quand donc – si elle est encore possible – la vraie Révolution ?
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Commun : Essai sur la révolution au XXIè siècle

Commun est un ouvrage de réflexion, philosophique, politique, très dense, copieusement documenté, qui s'appuie sur les "classiques" (depuis l'Antiquité jusqu'au XXème siècle) et embrasse les mouvements du début du XXIème siècle (les printemps, ou les "mouvements des places"). Très inspiré, il exige du lecteur une belle concentration, ainsi qu'une motivation non feinte.

Il démontre comment une petite oligarchie, partout dans le monde, a accaparé les espaces et les services publics, les réseaux de connaissance et de communication, les ressources naturelles. Il montre pourquoi le principe du Commun s'impose aujourd'hui comme le terme de l'alternative politique et de la lutte contre le capitalisme et pour l'écologie démocratique. Il désigne des formes nouvelles de pratiques démocratiques pour prendre la relève des partis monopolisant la représentation. Il désigne des formes nouvelles de gouvernement des ressources naturelles, qui soient celles d'un autogouvernement collectif pour édifier une société nouvelle.

Ouvrage utopique ? Non, car la réflexion et l'analyse sont construites minutieusement et rigoureusement argumentées. Non, parce que je vois, j'entends surtout en ce 1er avril 2020, le désastre de ce monde.

Le livre est construit en trois parties, - L'émergence du commun, - Droit et institution du commun, - Propositions politiques. Cette dernière partie est donc composée de neuf propositions. Si la lecture complète de l'ouvrage paraît à certain(e)s fastidieuse voire rébarbative, ils - elles peuvent passer directement aux propositions qui constituent des pistes encourageantes et enthousiasmantes pour un avenir tout proche.
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Ce cauchemar qui n'en finit pas

Certains extraits valent mieux que tous les résumés, que toutes les critiques, que tous les éloges...

"L’heure est sombre. Il n’est pas encore « minuit dans le siècle », mais on conviendra que le nouveau siècle, à peine né, commence sous de bien mauvais auspices : le nationalisme exacerbé, la xénophobie fièrement assumée, le fondamentalisme religieux belliqueux, dont les avatars les plus inquiétants prennent la forme d’un désir de mort, autant de phénomènes qui rappellent les horreurs du siècle passé dans leur aspect le plus tragique (…) La mondialisation néolibérale, loin d’accoucher d’un monde pacifié par le commerce, comme le voulait l’évangile irénique de ses prêcheurs, est le terreau d’une sanglante confrontation des identités qui fait apparaître les « fondamentalismes » religieux et marchand comme deux versions complémentaires de la réaction postmoderne. Retour aux origines, repli sur la communauté d’appartenance, soumission absolue à la transcendance : la grande régression à travers laquelle nous assistons est à n’en pas doutée lourde de nouveaux désastres.." (page 215-216)
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L'ombre d'Octobre

Cet ouvrage n'apprendra sans doute que peu de choses à ceux qui se sont penchés sérieusement sur ce que fut l'Union (dite) Soviétique, et dès ses origines, au Vingtième siècle. Pour qui veut bien y consacrer le temps nécessaire, les témoignages, analyses - le tout fort peu réfutable - abondent et permettent de se faire une idée assez claire de ce qui fut pendant longtemps l'objet d'une opacité entretenue. Et je parle ici, bien sur, des témoignages et analyses d'incontestables partisans de l'émancipation et non pas de ceux, intéressés, qui en sont les ennemis.

Néanmoins, ce livre présente une sorte de bilan appréciable de ce qui fut la cause de l'échec de la plupart des révolutions de vingtième siècle. Et tout particulièrement pour ce qui concerne ce moment d'illusion collective que fut la soi-disant révolution d'octobre 1917 qui se révèle pleinement, dans les faits, comme ayant été une contre-révolution. Une contre-révolution qui mit un terme au formidable mouvement d'auto-émancipation que furent les Soviets (assemblées de base en démocratie directe) entre février 1917 et octobre 1917. "L'usurpation du terme de "soviet" est sans doute au coeur du mensonge que fut le communisme bureaucratique d'État pendant presque tout le XXe siècle. " "Il n'y a pas, il n'y a jamais eu de "lumière d'Octobre". Celle-ci n'est qu'une illusion provoquée par la capture de la lumière des soviets par le pouvoir bolchevik."

Ce livre est donc à conseiller à tous ceux qui pourraient encore rester dans l'expectative. Un livre parfaitement honnête dont le but n'est rien d'autre que de nous réouvrir des horizons enfin débarrassés de l'Ombre d'Octobre.

Le printemps reviendra, débarrassé des chefs, des partis, des États et des miasmes putrides de L'Économie politique qui mondialement partout nous écrase et nous vole nos vies.







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La nouvelle raison du monde : Essai sur la ..

« La nouvelle raison du monde » est une somme qu'il est impossible de résumer en quelques lignes. Il faut ici brosser à gros traits la démarche et donner seulement quelques-unes des conclusions. D'une grande érudition, ce livre, qui réclame une véritable attention de la part du lecteur, est une invitation pressante à pousser la critique théorique et sociale de l'ordre néolibéral au-delà des analyses les plus ordinaires.





Ce qui est en jeu avec le néolibéralisme, c'est la forme même de nos existences, absorbées tout entières qu'elles sont par l'odieux totalitarisme de la concurrence généralisée. Pour arracher nos vies aux vies de travail auxquelles elles sont si médiocrement rabaissées, il convient aujourd'hui de penser le milieu dans lequel nous vivons, agissons et nous transformons ; penser l'environnement où nos activités reproduisent les conditions mêmes de l'aliénation. Nous ne sommes pas en effet en face du néolibéralisme mais dans son monde, dans un univers global qui intègre toutes les dimensions de l'existence humaine, nous sommes « dans la mer sans savoir la mer ». de ce milieu enveloppant, avec Pierre Dardot et Christian Laval, il convient de faire l'inventaire et, si faire se peut, il convient aussi de s'en extraire.





Les deux auteurs dans ces pages conçoivent les libéralismes comme des dispositifs globaux, c'est-à-dire discursifs, institutionnels, politiques, juridiques et économiques ; des machines complexes, mouvantes, susceptibles de reprises et d'ajustements en fonction du surgissement éventuel d'effets indésirables. Les libéralismes sont pour les deux essayistes des mécaniques de nature essentiellement stratégique (comme l'entend M. Foucault). C'est-à-dire qu'elles se constituent à partir d'interventions concertées destinées à modifier les rapports de force dans une direction donnée. Ces efforts ont naturellement pour but d'atteindre des objectifs donnés, objectifs qui ne relèvent cependant en rien d'intentions préétablies et qui semblent au contraire s'imposer aux acteurs. C'est cette lanterne-là qui éclaire tout le nécessaire travail « universitaire » entrepris dans « La nouvelle raison du monde ».





Dans un premier temps, les auteurs exposent de manière extrêmement détaillée les travaux du libéralisme des origines. Ils les décrivent comme obsessionnellement préoccupés de droit de propriété et de limites à opposer aux gouvernements. Quatre siècles ainsi de pensée libérale sont passés au crible soulignant ses permanences et ses écarts théoriques.





Dans un second temps, ce sont les raisons d'une rupture avec le premier libéralisme en crise et les nouveaux modèles qui sont examinées par Christian Laval et Pierre Dardot. le modèle atomistique de l'individu et du marché parfaitement concurrentiel ne correspondant pas au système existant, les néolibéralismes (ordo-libéralisme allemand et néolibéralisme austro-américain) théorisent et mettent donc empiriquement en place, contre le laisser-faire, un interventionnisme proprement libéral. Ils créent pour ce faire consciemment un ordre légal à l'intérieur duquel l'initiative privée soumise à la concurrence puisse se déployer en toute liberté. Il n'y a pas pour eux en effet de subordination à un ordre naturel ; il n'y a pas d'avantage d'indépendance de l'économie à l'égard des institutions sociales et politiques ; il y a un caractère construit du marché. le capitalisme concurrentiel nécessite pour les néolibéraux une surveillance et une régulation constantes ; une adaptation aux conditions changeantes ainsi qu'une politique d'aide à la réalisation des équilibres. L'économie fondée sur la division du travail et réglée par le marché est un système de production qui ne peut pas être, croient-ils, fondamentalement modifié. Aussi, à la révolution permanente des méthodes et des structures de production doit répondre pour les néolibéraux une adaptation permanente des hommes (modes de vie et des mentalités) et des institutions (entretenir les conditions de fonctionnement du système concurrentiel) qui nécessite une intervention de tous les instants de la puissance publique.





Dans un dernier temps enfin, il est question de la nouvelle rationalité néolibérale. La concurrence, nouvelle raison du monde, est désormais la norme de la construction du marché, la norme de l'activité des agents économiques ; elle est aussi celle de la construction des états et de leurs actions pour être celle enfin des sujets-entreprises d’eux-mêmes. Elle efface ainsi la séparation entre la sphère privée et la sphère publique. Cette nouvelle rationalité est a-démocratique parce qu'il y a dans ce nouveau monde une dilution du droit publique au profit du droit privé, une conformation de l'action publique aux critères de rentabilité, une dévaluation de la loi comme acte propre du législatif, un renforcement de l'exécutif et des pouvoirs de police, une promotion du citoyen consommateur d'offres politiques concurrentes … Dans ce monde l'administration publique est technicisée à outrance au détriment des considérations politiques et sociales. L'égalité de traitement et l'universalité des bénéfices sont remis drastiquement en cause. Les sujets n'ont pas de droits mais bénéficient, en échange d'un comportement attendu ou d'un coût direct pour eux, de prestations. La société néolibérale en effet ne doit rien au citoyen qui n'a dorénavant rien sans rien. La nouvelle rationalité prône ses propres critères étrangers aux principes moraux et juridiques de la démocratie. L'état d'exception est maintenant un état permanent. Lorsque la performance est le seul critère d'une politique qu'importent en effet le respect des consciences, la liberté de pensée et d'expression, qu'importe le respect des procédures démocratiques. Dans ce monde, la démocratie est réduite à une procédure unique de sélection des dirigeants, elle doit être jugée sur ses résultats et non sur les valeurs qui prétendument la fondent. le néolibéralisme s'élève contre la soi-disant tyrannie de la majorité. Cette nouvelle rationalité est toujours a-démocratique parce que sa valeur suprême est la liberté individuelle comprise comme la faculté laissée aux individus de se créer pour eux-mêmes un domaine protégé et non la liberté politique comme participation directe aux choix.





Faute de pouvoir rendre compte ici de la totalité de l'ouvrage, retenons simplement quelques-unes de ses conclusions. Il est possible de relever quatre grands traits qui caractérisent la raison néolibérale. Premièrement, le marché est une réalité construite qui requière l'intervention active de l'état ainsi que la mise en place d'un système spécifique. le discours libéral n'est pas articulé à une ontologie quelconque de l'ordre marchand. Deuxièmement, l'ordre de marché ne réside pas dans l'échange mais dans la concurrence définie comme une relation d'inégalité entre différentes unités de production. Construire le marché implique donc de faire valoir la concurrence comme norme générale des pratiques économiques et de veiller à son respect. le rôle de l'état est de mettre en place l'ordre-cadre constituant la concurrence et de le superviser. Troisièmement, l'état est soumis dans sa propre action à la norme de la concurrence avec primauté absolue du droit privé. L'état est tenu de se regarder comme une entreprise en ce qui concerne son fonctionnement interne et sa relation aux états. Quatrièmement enfin, la norme de la concurrence atteint directement les individus dans les rapports qu'ils entretiennent avec eux-mêmes. Chacun est une entreprise avec un capital à faire fructifier.

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Tous dans la rue : Le mouvement social de l..

Cet ouvrage collectif permet de réfléchir sur l’automne 2010 (grèves, blocages et manifestations en opposition à la contre réforme des retraites) et replacer cette séquence historique dans perspective plus large.



Je ne présente que quelques éléments.



Alain Supiot et Robert Castel analysent « Le prix de l’insécurité sociale », ce que révèlent les conceptions du pouvoir en termes de « mépris de la démocratie sociale ».



Le texte de Frédéric Lordon « Le point de fusion des retraites » a été antérieurement publié dans le Monde Diplomatique. L’auteur analyse « Désormais bien établie, la stratégie de la paupérisation préalable et délibérée des services publics (lato sensu) se montre autrement plus efficace puisqu’il n’est en effet pas de plus sûr moyen de jeter les usagers dans les bras des opérateurs privés que d’avoir auparavant méthodiquement dégradé les prestations des opérateurs publics » et souligne que « Les »réformateurs » comptent bien sur les effets de l’individualisme comme condition solitaire… »



Arnaud Lechevalier traite « L’Europe et nos retraites » et analyse, entre autres, les enjeux des directives européennes favorisant le développement des régimes par capitalisation. Dans une comparaison, prenant en compte de nombreux paramètres, l’auteur souligne que la réforme française est « parmi les plus drastiques et les plus injustes de toute l’Union européenne ».



Le dialogue entre Christophe Aguiton et Lilian Mathieu permet de se faire un point de vue sur la combativité, la place des syndicats, les nouveaux modes d’engagement, les « capacités organisationnelles de résistance plus réduites » que dans les années 80.



Camille Peugny interroge « Une jeunesse sans espoir ? », Yves Sintomer et Emmanuel Renault « Un néolibéralisme à bout de souffle ? ». Ces auteurs démontent « Le mensonge de l’argument de nature : »On vit plus vieux, on travaille plus vieux » » et nous rappellent que « L’expérience de l’injustice sociale ne suffit pas à produire la lutte sociale »



L’article de Pierre Dardot et Christian Laval « Le retour de la guerre sociale » souligne le basculement des discours et l’utilisation de la crise « comme principal levier du renforcement des politiques néolibérales » et la mise en place d’un « gigantesque plan d’ajustement structurel »



Enfin Bastien François discute de « Crise sociale ou crise politique ? »



Les articles sont inégaux mais ce petit livre, écrit à chaud, élargit les débats.
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Tous dans la rue : Le mouvement social de l..

Un recul impressionnant pour une analyse presque "à chaud" du mouvement social français de l'automne 2010.



Paru en janvier 2011, donc relativement « à chaud », ce recueil de 8 articles ou entretiens sur le mouvement social de l'automne 2010 impressionne d'emblée par le recul analytique dont il témoigne.



Le juriste Alain Supiot et le sociologue Robert Castel, avec leur dialogue « Le prix de l'insécurité sociale », nous rappellent à quel point le besoin de protestation puis de lutte sont enracinés dans la dégradation du contrat social accélérée depuis 1990 environ. Alain Supiot précise le contexte de ce « grand retournement », « pour désigner l'inversion des moyens et des fins opérée par la révolution ultralibérale, [...] qui a imposé exactement le contraire de ce que préconisaient le principe de dignité et la déclaration de Philadelphie après la seconde guerre mondiale : le rendement financier est devenu la mesure exclusive de la réussite économique et les hommes, réifiés en « ressources » ou en « capital humain », sont sacrifiés sur l'autel de cet objectif, moyennant des « politiques d'accompagnement » visant à éviter qu'ils ne se révoltent. » Et on appréciera cette petite incise glissée au passage : « À cette différence près que nous étions gouvernés alors par des énarques, qui avaient un certain sens de l'Etat, alors que nous le sommes aujourd'hui par des avocats d'affaires. Différence sociologique de grande portée lorsqu'il s'agit de justice sociale. » (Et pardon à mes ami(e)s avocat(e)s d'affaires qui ne sont pas visé(e)s ici !



L'économiste Frédéric Lordon, avec son article « Le point de fusion des retraites », revient sur le rôle des agences de notation, et insiste sur les véritables destinataires ou commanditaires de cette réforme, avec notamment cette phrase terrible : « On aperçoit comme jamais, à l'occasion de la réforme des retraites que, contrairement à de stupides idées reçues, le pouvoir politique ne gouverne pas pour ceux dont il a reçu la « légitimité » - mais pour d'autres. » Et ce n'est évidemment pas M. Woerth qui fera mentir ici Frédéric Lordon...



L'économiste Arnaud Lechevalier, avec « L'Europe et nos retraites », livre une précieuse analyse comparative européenne, non tant sur les systèmes de retraite eux-mêmes, que sur les dynamiques de leurs réformes et adaptations, en creusant l'élaboration préalable d'un « paradigme des réformes » par les instances inféodées de près ou de loin au dogme néolibéral.



L'historien Christophe Aguiton et le sociologue Lilian Mathieu, dans leur dialogue « Une combativité intacte », décryptent avec bonheur les nouveaux comportements de lutte, dont beaucoup surprirent les observateurs, apparus en cet automne mouvementé. Ils notent avec attention comment on est sans doute enfin entré, après dix ans de doutes, dans une « défatalisation du discours néolibéral », dans lequel une part croissante de la population ne croit plus au fameux « There Is No Alternative » thatchérien...



La sociologue Camille Peugny, dans un entretien intitulé « Une jeunesse sans espoir ? », analyse très pertinemment les clés de l'engagement lycéen dans un mouvement de ce type, loin des procès en manipulation trop vite aventurés par des politiciens aux abois.



Les philosophes Yves Sintomer et Emmanuel Renault, en échangeant dans « Un néolibéralisme à bout de souffle ? » replacent le mouvement dans le cadre de la lutte plus ou moins globale contre les errances du système actuellement dominant. Ils reviennent notamment sur le rôle, dans ces errances, de l'émergence d'une « super-classe » (grands propriétaires de capitaux et franges supérieures du salariat aux intérêts étroitement liés à ceux des premiers), « parce qu'elle se fonde objectivement sur un type d'inégalités que rien ne semble pouvoir justifier du point de vue des consensus moraux ordinaires, et parce qu'elle se vit comme séparée de la société, comme absorbée dans un monde supérieur. »



Le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval signent un article décisif sur « Le retour de la guerre sociale ». Reprenant à leur tour l'aphorisme devenu maintenant célèbre du multi-milliardaire Warren Buffett (sur la guerre des classes qui est bien là, et que les riches sont en train de gagner), ils notent « l'ironie du sort qui voit le grand retour de la lutte des classes d'abord du fait de la guerre ouverte et déclarée, méthodiquement conduite par le gouvernement contre les travailleurs salariés. »



Le constitutionnaliste Bastien François effectue une remarquable analyse, dans « Crise sociale ou crise politique ? », de l'incapacité désormais avérée du politique, dans le cadre français actuel, à se saisir des seules problématiques réellement pertinentes au plan social. « Comment penser que l'Assemblée nationale pourrait jouer un rôle politique majeur demain si elle reste ce qu'elle est : un club de mâles blancs bourgeois et sexagénaires choisis par la moitié de la population ? ».



Au total, une très précieuse mise en perspective de ces événements, dans laquelle on ne peut s'empêcher de lire l'annonce presque fatale de prochains développements... Et la préface de Gérard Mordillat est aussi bien agréable à lire, incluant ce joli : « Contrairement à ce que proclament les laudateurs du marché, l'État n'a pas à être gouverné comme une entreprise. »

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Le choix de la guerre civile

Le néolibéralisme est-il d’essence martiale ? C’est la thèse que défendent les auteurs de cet ouvrage et qui s’appuient à la fois sur des expériences historiques (comme le Chili sous Pinochet) et sur l’analyse de textes considérés comme fondateurs. Stimulante, la proposition peine cependant toujours à convaincre.
Lien : https://laviedesidees.fr/Fic..
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Dominer

Cet ouvrage généalogique établit les événements précis qui ont institué l’État moderne. Il réinterprète les sources qui l'ont justifié, saisissant les détours qui ont naturalisé ce produit historique.




Lien : http://www.nonfiction.fr/art..
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Commun : Essai sur la révolution au XXIè siècle

Le livre de P. Dardot et de C. Laval entend placer la question du commun au cœur de la réflexion politique contemporaine. Mais il ne faut pas simplement le concevoir comme une forme spécifique de propriété : c’est une politique que le commun définit.
Lien : http://www.laviedesidees.fr/..
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Commun : Essai sur la révolution au XXIè siècle

Le commun est conçu par P. Dardot et C. Laval comme le principe d’une démocratie radicale opposée aux évolutions du capitalisme contemporain. Mais ils négligent les stratégies de subversion du droit de propriété, telles qu’elles se manifestent notamment dans les Creative Commons.
Lien : http://www.laviedesidees.fr/..
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Marx, prénom Karl

Le livre montre les hésitations, les allers-retours d'une intelligence dans son mouvement, sans rien cacher des erreurs ou masquer la part des "légendes marxistes" qui émailleront l'histoire des idées.
Lien : http://www.lepoint.fr/livres..
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