Citations de Pierre Ouellet (25)
Commence
par naître : tu as
tout le temps de
mourir...
regarde la mer dans la
goutte d'eau qu'elle laisse au creux de
ta main quand tu l'y plonges pour te ra-
fraîchir:
tu vois la trans-
parence dont les noyés sont re-
couverts comme d'une larme plus grosse que
leur peine... qui leur sert de
linceul
mes morts n'ont pas
de noms ou les por-
tent tous : je les appelle
Qui va là mais ils ne ré-
pondent pas.
je sais
enfin qu'ils sont morts pour
de bon
mémoire
à bout de souffle :
bâillon qui se noue
au cœur
le silence où tu
retombes avec la nuit
sur le jour
— tu ne parles
qu’à ceux qui lisent
sur tes lèvres
le signe
jamais donné
d’anciens baisers que l’on t’enlève
— pensées volées
Vivre de la même manière que les autres, c’est là où se trouve la vraie vie, sa splendeur et sa platitude. C’est là que j’aimerais vivre. Il me semble que j’y serais heureux avec ce devoir obsédant de boucler les fins de mois qui vous accapare l’esprit. J’aimerais ça vivre ça, moi. Le vivre tout de suite.
[...] j’étais un enfant normal, un enfant qui rêvait de bâtir une cabane dans un arbre comme bien des enfants en ont rêvé. Je crois que le moule était bon. Pourquoi s’est-il brisé?
l’accent du chant
sur le moindre mot
ouvre la bouche
sur les silences du cœur
c’est dans
ses yeux que montrent
— d’heure
en heure — les grandes
marées de l’épanchement
retenues là —
larmes de fond
au bord de l’œil —
derrière les digues de la peur :
les bras croisés sur le regard
la vérité dort
à l’ombre des voix
venues au monde
par les yeux : la source
d’en-bas
comme vont au bois
les promeneurs d’âmes
que leur ombre égare
au milieu du jour
le cœur étourdi
d’avoir en vain
fait le tour
de ses rêves
— jusqu’au matin
on se réveille
dans ses restes
un peu de fièvre
glaciale comme l’aube
à la place du cœur
L'ombre de Dieu sinon Dieu lui-même représentent l'unique support d'un tel phénomène, le seul média qui ne soit ni message ni canal mais assure à tout moment la médiation entre l'impossible et le tout-puissant, autre façon de définir l'art en l'absence du divin dont il perpétue la mémoire.
La Mort de Dieu fut aussi traumatisant que sa naissance.
On ne se pose pas la question du désenchantement du monde sans la nostalgie plus ou moins consciente d'un monde enchanté, même quand on croit qu'il n'a jamais existé.
Parler, peindre, écrire, graver, voilà sans doute la chose la plus étrange qui soit arrivée à une espèce vivante : vivre, souffire, ne suffisait plus, être n'était plus assez, devenir ne comblait pas, même apparaître n'était plus satisfaisant.
la terre regarde le ciel
seulement : c’est son
miroir
— tu changes
les mots en choses :
ricochet contre
les reflets où la terre
se mue en chimères —
face
cachée du vent
où l’être passe
son temps
tu toucheras l’air
que prend le réel
dans tes miroitements
l’amour a froid
entre elle et moi
— une
main dans la main
réchauffe le cœur :
feu pris — le
rêve égare
loin de chez soi :
dans la forêt de l’autre
— rien ne m’abrite :
le corps aimé
laisse —
pendant la nuit
— passer de l’air
entre ses doigts
on attend sur la berge
les reflets revenus :
le reflux de la crue —
le miroir d étale et sûr
comme la mer après l'orage
où les barques
sont des îles
à nouveau vierges : immuables
épaves de la beauté
à l'ancre dans l'angoisse
Le poème se moque de la vie en gros, de la vie en général : il ne survit que dans les détails, les plus infimes et les plus crus, les plus intimes et les plus nus – une simple virgule, le poids d’une lettre, le grain d’une voix.
On peut ainsi remarquer, dans notre contexte historique en apparence déliquescent, une résurgence du mythe et de l'épique comme du conte et de la fable, du chant populaire et de la légende comme de la parole ritualisée et de la transe chamanique, dans les oeuvres littéraires les plus innovatrices [...], qui renouent avec la mémoire ancestrale des "premières visions" et proférations humaines, par lesquelles on n'a jamais cessé d'être hantés.
S'en sortir, unique définition qu'il nous reste de ce qu'on appelle l'avenir.
le silence est clair :
eau de roche
entre les roches
sur les débris
d’une vie ramenée
à son mystère :
ru d’heures
que le torrent
refoule jusqu’à sa source
entre les pierres : le pas
que le désert calcifiera —
le long cordon de la durée : coupé
le ciel
à bout de branches
soulevé :
l’arbre en fait
offrande au vent
âme des dieux
envolée haut
tu dis : les yeux
émerveillés reçoivent
à chaque regard
le don du ciel
— ravi au bleu