AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Bibliographie de Revue Carnets de Chaminadour   (3)Voir plus

étiquettes

Citations et extraits (10) Ajouter une citation
Blaise Cendrars raconte qu’il aimait, dans ses vieux jours, aller chercher un ami à l’aéroport : il se tenait debout à la porte, et regardait sortir les passagers. Il pensait aux destinations colorées, d’où ils arriveraient, aux noms des lieux lointains qu’ils ramenaient avec eux, à la longue liste d’objets rares ou communs que recelaient leurs bagages, à la vibration du monde qui lui parvenait avec le froufrou des hélices ou le bruissement des réacteurs et plus que tout, il était capable, disait-il, de reconnaître l’origine de la foule à son odeur : regardez, disait-il, ce monsieur arrive de Pernambouc, il sent le bois exotique, une odeur de perroquet qui donne de la couleur à son complet blanc. Cette dame revient du Maroc, elle a le parfum de sable infini de la grande caravane, celle de Tombouctou, du fleuve Niger. Ce garçon ? Ce garçon est un mécanicien ou un artilleur – un artilleur non, finalement, il aurait l’air bien plus prétentieux – un mécanicien ou plus précisément un diéséliste marin qui empeste l’huile, le gasoil et les embruns. Vous voyez, disait Blaise Cendrars dans le Terminal de voyageurs d’Orly, à deux pas des Invalides, il suffit de renifler ! Et lorsqu’on lui demandait qui il attendait il répondait : je n’attends personne. J’attends tout le monde.
Célébrons l’ami Blaise à la main unique, célébrons le monde avec lui, le monde en lui : une plui d’étoiles pour le manchot céleste !
(Mathias Énard)
Commenter  J’apprécie          20
(…) Il serait vain, bien sûr, de chercher à déterminer très précisément l’influence de Claude Simon sur chacun des écrivains contemporains que nous lisons. Car cela ne se mesure pas en termes de ressemblances ni d’analogies, encore moins de serviles copies. Aucun d’entre eux ne fait, ni ne cherche à faire du Simon. Cela n’aurait pas de sens. Et du reste chacun dit et dira ici lui-même quels effets la lecture de Simon a pu produire sur son propre travail.
Car il est vrai, cependant, que l’écrivain a ouvert des voies, libéré des talents, stimulé des innovations.
Ce qui, d’ailleurs, peut surprendre. On a beaucoup entendu, dans les années 80, cette antienne : « comment écrire après Simon ? comment écrire après Beckett ? »… Eux et leur génération, les écrivains d’alors, les Blanchot, des Forêts, Sarraute et Duras, ceux du Nouveau Roman, ceux de Tel quel, les Sollers ou les Guyotat, paraissaient avoir, avec des talents divers et des réussites inégales, labouré tout le champ des possibles, exploré toutes les explorations, expérimenté toutes les expérimentations, achevé le cycle de la modernité. Ils n’auraient laissé derrière eux que ce que Michon appelle « le fier arpent ravagé du moderne, où rien peut-être ne pousse, mais moderne ». C’est bien là la plaie des jeunes écrivains : allez planter votre graine là-dedans, allez construire votre œuvre sur ces terres épuisées !
Mais justement : l’arpent cultivé par Simon n’est pas stérile, ni asséché. Il broussaille au contraire. Ce n’est certes pas un jardin à la française, loin de là, mais il y a de quoi faire ! Et l’on peut sans doute y greffer sa bouture.
Car, d’entre tous, il a laissé de la chair aux mots. Quoi qu’il en dise, et dieu sait qu’il le répète, ses formes ne sont pas simplement « arrangements, permutations, combinaisons » abstraites. Ces propos trop réitérés, trop rapportés peut-être, sont l’obole qu’il fait aux discours à la mode de son temps. Et peut-être y croit-il un peu lui-même, un temps. Mais non : ses formes sont aux prises avec le chaos du monde, avec sa diversité, les mémoires enchevêtrées, les images hypnotiques ou incertaines, l’Histoire tumultueuse d’un siècle, l’irréductible différence des héritages familiaux, la profusion des mondes traversés, l’inépuisable enchevêtrement des détails aperçus…
Car les romans de Simon ne sont pas de purs exercices formels : voici, non pas racontés ni discourus mais véritablement rendus tangibles : l’irruption d’un étranger dans un village confit sur lui-même (Le Vent, 1957), l’agonie d’une vieille femme (L’Herbe, 1958), l’expérience de la guerre militaire moderne (La Route des Flandres, 1960 ; L’Acacia, 1989), napoléonienne (Les Géorgiques, 1991) ou de la guerre civile (Le Palace, 1962)… etc.
C’est dire combien il y a à lire, à prendre dans cette œuvre. À prendre mais aussi, et peut-être plus encore, à perdre : car, pour la lire, il faut abandonner toute prétention de comprendre, se défaire de l’illusion de pouvoir résumer ce que l’on a lu. Il faut en finir avec le distingo cartésien, avec l’ordonnancement logique. Laisser la sensation déborder la raison, et accepter, cependant, de voir la raison s’obstiner malgré elle : comment c’était (formule récurrente du Palace) ? comment savoir, mais comment savoir (formule réitérée dans La Route des Flandres) ?
Si bien que lire Simon, c’est voir les analogies se multiplier, proliférer les allusions, les crypto-souvenirs, les hypothèses et les visions au mépris de tout ordre et de toutes lois, sinon celles qu’on n’en finit pas de supposer et de désapprendre au fil du texte. Renoncer au « bien écrire », aux apprentissages académiques et scolaires, au profit d’une écriture égarée, égarante, obstinée dans son effort et son élan. (Dominique Viart)
Commenter  J’apprécie          00
Jean Kaempfer : (…) Dominique rappelait tout à l’heure qu’il y a des choses qui ont été autorisées par cette longue phrase simonienne, non conclusive, non hiérarchisée. Il y a là quelque chose dont il me semble que vous héritez…
Mathias Énard : Oui, tout à fait, même si ce n’est pas forcément un héritage conscient au moment où je décide de l’univers ou de la forme narrative de Zone. Je ne me dis pas : « Tiens, c’est Claude Simon qui m’a ouvert ces espaces ». Mais ce qui est sûr, c’est ceci : Qu’apprend-on en lisant, et surtout quand on lit Claude Simon ? C’est « la possibilité de ». Quand je lis justement La Route des Flandres, qu’est-ce qui me fascine ? La très grande liberté qu’on y trouve, en fait, et la possibilité de me dire : « Mais on peut écrire ainsi, construire un roman ainsi, c’est possible ». Je pense que si je ne l’avais pas lu… Je n’aurais pas osé. Vous me parlez de Butor. Le voyage de Zone n’a pas grand-chose à voir en fait avec celui de La Modification, mais disons que sans Simon, Butor, même Sarraute dans une autre mesure et d’une façon très différente, je pense que je n’aurais jamais trouvé la liberté d’écrire quelque chose comme Zone. Ce sont ces espaces-là qui m’ont été ouverts.
Commenter  J’apprécie          10
On ne naît pas traducteur, on le devient, on le devient sans cesse, et ce devenir se traduit à son tour par une danse perpétuelle entre deux activités jumelles : la lecture et l’écriture. Traduire, et là j’avoue ignorer encore si cette hypothèse est pertinente, banale ou niaise, c’est peut-être redécouvrir la lecture dans l’écriture et l’écriture dans la lecture. (…)
Ce désir qu’aurait le texte fini de recommencer, est-il fantasmatique, projeté à sa propre surface par l’étranger que je deviens et qui en fait l’épreuve, ou n’est-ce pas au contraire l’une des conditions de sa survie ? Comprenez-moi bien : je ne dis pas que le texte aspire à être traduit – ce serait lui prêter une ambition contraire à la culture de l’échec sur laquelle il se fonde -, mais plutôt que la traduction déjà le somme, l’aspire opérant une sorte d’appel d’air, entendant ou guettant en lui des vibrations qu’on supposait imperceptibles, parce que cadenassées à son contexte originel. Or la lecture, le travail du lecteur, a remis en branle le texte, et celui-ci a besoin pour perdurer d’être sans cesse déformé, malaxé, oublié, célébré, trahi, adapté, etc.
Ma lecture d’un texte, quand je vais le traduire, relève donc d’une écriture invisible, pour ainsi dire palimpseste, car la parole étrangère a déjà commencé à migrer ; en elle, des pulsions linguistiques exigent une nouvelle surface à bombarder, tels des électrons chassés d’une matière et qui se cherchent de nouvelles attractions inédites. Migrer est la grande affaire, s’enliser le grand danger. Les grands textes aiment à fuir, et il revient au traducteur de ne pas les traiter en fiers diplomates mais en ce qu’ils sont : des transfuges, des clandestins, venus nous secouer dans nos habitudes. (Claro)
Commenter  J’apprécie          00
Certains écrivains se posent la question de l’Histoire ; ils veulent comprendre le sens de la pièce dont ils sont les figurants, voire, pour certains, des acteurs de premier plan. Chateaubriand fut l’un et l’autre, par exemple, en son temps. Mais si nous le lisons toujours, c’est d’abord parce qu’il sut voir quelles forces faisaient disapraître la société dont il était un des hérauts, et parce qu’il sut également saluer le monde qu’il voyait naître. Ce rapport à l’Histoire et à l’actualité me fascine au plus haut point : je fais partie d’une vaste représentation que nous jouons à l’aveugle, dont j’aimerais connaître le mouvement général. Écrire est le moyen dont je dispose pour essayer – les livres ont le pouvoir de nous rendre voyants, ou incandescents. Pour le monde soviétique, Svetlana Alexievitch est parvenue, à force d’obstination, à percevoir et à décrire cette lame de fond – en peu de livres. Pasternak disait qu’on ne voit pas plus l’Histoire en train de se faire que l’herbe en train de pousser. Peut-être n’est-ce pas complètement juste, peut-être est-il donné à certaines œuvres d’être portées par le souffle des empires que l’on bâtit, ou par l’onde de choc de ceux qui s’effondrent sous nos yeux.
C’est ce rendez-vous là que nous aimerions décrire, à Guéret, entre une œuvre et son temps, s’il explique la puissance de certains livres, et l’énergie folle qu’ils nous transmettent.
(Arno Bertina)
Commenter  J’apprécie          00
Pour parler un peu d’Arno et de son livre Des châteaux qui brûlent – parce que je pense que c’est assez lié à ce que vient de raconter Jean-Charles – j’ai l’impression que la question face à ces fictions assez écrasantes qui sont celles du storytelling, des entreprises, de certains dirigeants politiques, une question très ouverte et très irrésolue, est de savoir si on doit sortir de la fiction. Peut-être, c’est une première voie. Une deuxième serait de développer des contre-narrations qui pourraient être de même taille, de même ampleur, c’est-à-dire d’autres grands récits, mais orientés dans un sens tout à fait différent, et portés par des valeurs différentes. Ce n’est pas facile, mais ça pourrait donner le sentiment de lutter à armes égales. Ou, troisième possibilité, aller plus dans du micro. Je pense que le travail de Deleuze et Guattari allait aussi dans ce sens-là, c’est-à-dire penser qu’on va localement, et malgré ce côté plus nomade ou déterritorialisé, constituer des microrésistances, des petites zones, avec la croyance que dans un monde très très connecté, il y a une portée de l’exemple à l’ère de sa reproduction médiatique. C’est-à-dire que ce qui est fait à un endroit devient reproductible à d’autres. Il me semble que le dernier roman d’Arno brasse ces questions-là. C’est-à-dire : De quoi a-t-on besoin pour alimenter un mouvement social ? (Vincent Message)
Commenter  J’apprécie          00
Accorder l’égalité énonciative comme une aumône, c’est la fausse issue du « donner la parole », donner la parole tout en lui refusant toute force. Je crois voir quelque chose de cet ordre aujourd’hui, même avec la meilleure volonté du monde, dans les moments publics où l’on réserve un temps de parole aux migrants lorsqu’il est question d’eux, qui est toujours un temps de témoignage, jamais l’attente d’une pensée. (Marielle Macé)
Commenter  J’apprécie          10
Je reviens sur ce que disait Pierre, sur cette histoire d’écrire en Faulkner. Moi je pense qu’on écrit à travers ce qu’on a lu. J’ai la conviction que j’écris parce que j’ai lu, que si je n’avais pas lu je n’écrirais pas, et surtout que plus je lis et plus j’écris, et que moins je lis et moins je peux écrire. Le carburant de mon écriture ce sont mes lectures, j’ai vraiment le sentiment d’écrire à travers ces langues, à travers ces voix. Ce n’est pas du tout étonnant que la lecture de Pierre Michon, ou la lecture de Claude Simon, ou la lecture d’autres auteurs qui m’ont impressionnée – impressionnée au sens de l’impression, de l’imprimerie – jouent dans mes livres, et ce n’est pas me dénier de la singularité. C’est accepter de m’être construite, comme auteur, à travers ces voix dont j’ai fait l’expérience. Des voix qui ont été pour moi des expériences d’abandon, et pas seulement des aventures intellectuelles. (Maylis de Kerangal)
Commenter  J’apprécie          00
La lecture de Claude Simon traverse mes derniers écrits, elle y ouvre des pistes sur lesquelles j’avance, sur lesquelles je chemine. Qu’elle les creuse à la manière d’une empreinte, ou qu’elle y fasse entendre sa rumeur éloignée, métamorphosée. Écrivant, on ne sait pas qu’une influence s’exerce, ou bien on ne sait pas le savoir, mais elle est là, et dans un après-coup, elle émane. La phrase de Claude Simon – et ils s’agit très précisément ici de son risque -, la synesthésie qu’elle me demande, la réplique sensorielle qu’elle déclenche, le paysage mental qu’elle instaure, se manifeste dans mon travail, elle infuse, comme archive du livre qui s’écrit, comme épaulement, et comme étonnement. (Maylis de Kerangal, en exergue de l’ouvrage)
Commenter  J’apprécie          00
L’écriture de Claude Simon ne relève pas d’une compétence, elle est d’abord une expérience : on est soudain placé devant le langage – « devant » au sens visuel du terme, au sens de la frontalité, au sens d’être en face, dans un face à face. C’est un moment impressionnant. Le langage est là, un soulèvement, et de l’épaule je m’y avance, et me désaxant j’y entre. C’est un moment charnel. Plus rien ne m’est caché, il n’y a plus de secret, pas de double-fond : tout est là. (Maylis de Kerangal)
Commenter  J’apprécie          00

Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Revue Carnets de Chaminadour (1)Voir plus

Quiz Voir plus

Kaamelott : À chacun sa question (1)

Avant toute chose, de quoi a peur Yvain ?

Des serpents
Des oiseaux
Des guêpes
Des loups

10 questions
239 lecteurs ont répondu
Thèmes : kaamelott , fantasy historique , humourCréer un quiz sur cet auteur
¤¤

{* *}