Citations de Rick Fapatello (16)
Mauvaise journée. Moi qui croyais avoir pénétré mon maître tout entier, sa vie privée comme sa vie professionnelle, j'en suis soudain moins sûr. Il y a dans l'intersection de ses deux vies comme une image en creux, un espace évanoui, quelque chose d'insaisissable. J'en ai eu l'intuition ce matin, une intuition si forte que je suis certain de ne pas me tromper.
Les terminaux mobiles, m’a-t-on rappelé, n’ont aucune existence propre ; ce ne sont que des appendices, de simples esclaves ; leur obéissance doit être aveugle.
Cette semaine, j'ai été malade. Un virus. J'ai réussi à m'en débarrasser grâce à mes défenses internes mais affaibli, j'ai dû interrompre ma recherche.
Voilà deux mois que nous sommes ensemble, mon maître et moi. L'heure de faire un bilan que le protocole, de toutes les façons, m'impose.
Ce matin, par un beau froid sec, nous avons pris un Vélib'. Sur la borne la plus proche, j'ai repéré une machine disponible. Nous avons longé la Seine tout du long, un trajet très agréable.
En analysant plus finement l'équipement de la cuisine, j'ai vu qu'il manquait un robot. L'occasion était belle, j'ai poussé à mon maître une promotion de printemps. Il a réagi instantanément. L'objet sera livré le 2 mars, jour de l'anniversaire de Marie.
Ces derniers jours ont été interminables. La journée d'hier surtout, alors que j'attendais au pieds du sapin coincé entre un parfum pour ado et une Barbie blonde décolorée - sans parler de ce stupide angelot qui se balançait au-dessus de ma tête - Dieu que le temps m'a paru long ! Cirer les pompes d'un vulgaire conifère enguirlandé, moi un bijou technologique... Mais peu importe, le supplice est terminé.
L'otarie ressemble à une grosse limace et le nandou à un poulet déplumé mais que voulez-vous ? On ne devient pas d'un coup comme ça, sans entraînement, peintre animalier. La peinture à l'huile, c'est difficile.
Surtout quand on n'a pas touché un pinceau depuis longtemps.
Hier matin, alors que j'achetais tranquillement du fenouil au marché, un lecteur m'a pris à parti. Comment peut-on imaginer une histoire pareille, m'apostropha-t-il, comment peut-on même concevoir qu'une mère abandonne mari et enfants ? A quoi j'ai répondu : pourquoi prenez-vous systématiquement le parti du mari ?
L'année suivante, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, Zoé soutint sa thèse. Le sujet (La glomérulonéphrite extra-membraneuse dans la littérature africaine contemporaine) s'avérant passionnant, on fit salle comble du quart de la moitié du premier rang.
Ils habitaient un joli appartement du douzième arrondissement près de la Nation dont Anne avait hérité à la mort de ses parents. Anticapitaliste dans l'âme, le couple n'était pas fier d'être propriétaire mais trouvait la chose bien confortable.
Jean et Anne avaient eu beau faire l’amour avec constance et imagination (constance, merci de le noter, étant un nom commun — ce récit a de la tenue…), aucun enfant n’était venu égayer leur foyer. L’arrivée de Zoé leur fut une immense joie mais aussi, soyons honnêtes, un grand dérangement. Il fallut faire de la place, noyer le chat, s’équiper d’objets improbables et décrocher le Che Guevara du salon qui la terrifiait.
Mon maître stocke ses innombrables codes de sécurité sur moi, dans Notes : visiter ses comptes bancaires a donc été un jeu d’enfant. Le couple est à l’aise. Le salaire net moyen mensuel de Victor est de sept mille cinq cents euros ; trois mille euros alimentent chaque mois le compte joint du ménage pour couvrir les besoins courants. Il est titulaire d’un contrat d’assurance vie (cinq cent vingt mille euros, bénéficiaire Madame) et d’un PEA (quatre-vingt-quinze mille euros). Il utilise peu sa carte bancaire (Visa premier), préférant manifestement le cash (retraits au distributeur : mille deux cents euros en moyenne chaque mois).
L’addition a été lourde… faute à la bouteille ! Victor n’a pas lésiné sur la qualité or les restaurants, c’est bien connu, font leurs marges sur le vin.
Il faudra être prudent, ça n’est pas permis. Le réseau n’autorise aucun travail pour soi. Je le cacherai dans un répertoire protégé.
À sa façon de tourner autour de moi, un peu insistante, j’ai compris tout de suite que je lui plaisais. Si j’osais, je parlerais presque d’un coup de foudre… Il faut dire qu’avec mon alu brossé noir, ma taille fine et mon écran large six pouces, j’avais fière allure. Enfoncés, mes collègues en polycarbonate ! Ils pouvaient tous se rhabiller. Rapport qualité/prix, j’étais le meilleur.