Citations de Robert Momeux (22)
Postérité du chêne
Innocence de l’arbre
Que des oiseaux visitent
On ne saura jamais
Quelle heure est la plus longue
Cependant que dans des couloirs
Où des générations de mères ont passé
Le bois poli par tant de mains
Se souvient des orages
Et des longues neiges d’hiver
Lorsqu’il était au cœur de la forêt
Pareil à tant de ses frères si hauts
Et non cette barre d’appui
Que plus personne ne regarde
Tant d’habitude on la sait là.
Ignorance éternelle des aurores
Ignorance éternelle des aurores
On ne sait pas ce qui surgit
Entre le vent et les nuages
On ne sait pas ce qui fulgure
Des yeux qu’on soupçonne aux montagnes
On pressent que l’aube tressaille
À des remuements dans les branches
On devine des horizons
À ce qui se colore d’or pâle
Pour peu qu’une femme surgisse
Dans le sentier ou un oiseau
Et l’on éprouve que le jour
Encore une fois va chanter
Mais on est incertain de tout
On méconnaît ces gestes lents
Qui se font d’une rive à l’autre
On ignore s’ils sont présages
On va prudemment aux limites
On scrute l’horizon tendu
Si jamais le ciel se figeait
S’il advenait que la nuit remonte
MELANCOLIE DES AGRESTES COUCHANTS
Ce n’est pas la noirceur de l’étang
Ce n’est pas l’immobilité
De ces grands arbres nus et sereins
Ce n’est pas l’air
Dans le soir calme poursuivant
Des ondes qui lentement rêvent
Ce n’est pas la première étoile
Pâle qu’on voit à peine
À l’horizon
Ce n’est pas l’ombre qui hésite
Entre les chiens les loups du crépuscule
C’est le silence étonné qui se fait
C’est l’heure c’est son dénuement
Devant l’obscurité énorme qui s’annonce
Solitude partagée
Une femme, qui a un visage comme une lampe, te regarde.
Elle te regarde comme l’aube éclaire, éveille et nourrit.
Son visage est comme ces clartés irréelles qu’on devine
au loin sur la mer,
au moment où les dernières obscurités se défont.
Tout est tout proche et très loin.
Elle prend tes mains de loin.
Elle pose ta tête sur ses seins, tu entends battre son cœur :
c’est le sang des espaces qui ruisselle.
Elle met les mains sur tes yeux,
c’est alors que l’horizon s’épaissit,
la nuit bascule dans un ouragan de douceur silencieuse.
C’est l’oubli du sablier, la défaite des fantômes.
Tout, pour quelques instants, dans le parfum d’une mort
heureuse,
se cache dans les plis de la robe des anges.
INÉGALE RESPIRATION DES JOURS
On fait son miel avec si peu
Un mot un rien une poussière
On croit que naissent des merveilles
Pour une main cueillant un fruit
Un lever de soleil heureux
Mais toujours tout nous déconcerte
L'eau est plus pure à l'autre rive
Et l'horizon ferme la nuit
Les fanfares ne vont pas loin
Ce qu'on entend dans le sous–bois
C'est l'écho d'une fête morte
Au moment des premières pluies
Si tu crois que l'heure
Est à tous les vents
Si tu crois Fauvette
Et si pour passer
Il suffit d'un rêve
D'un rêve et d'un peu
D'amour sur la plaie
Si tu crois Fauvette
A la courte paille
Si tu crois au vent
Qui dit des merveilles
Et aux voiliers bleus
Cachés dans la main
Alors nous aurons
Des saisons entières
Et un fil de soie
Pour tisser des nuits.
Poème
Nous avons marché lentement
Dans le soir gris dans le soir noir
Nous avons perdu conscience du temps
L’amour est passé par là sans nous voir
Et quand nous nous sommes quittés
Les rues sont entrées dans l’ombre silencieuse
Testament
Cet oiseau qui volait
Emiettant ses couleurs
Et la chaleur vivante
Dans un immense été
Avait peur
passa très vite
Et nous aussi peut-être
Nous laisserons
De la douceur.
En revenant
extrait 1
Voici pour vous aimer je n’ai que des rivières
Et les ponts et les sentiers et puis d’autres sentiers
Voici les routes qui mènent
Où il ferait bon peut-être aller
Voici la brume de la vallée
Voici la mousse de ce jour
Où il fit bon dormir dans le fossé
Voici l’oiseau que vous vouliez
Voici la branche qui fut cueillie
Voici la branche qui fut cassée
Ce soir où il fit si bon longtemps marcher
Voici cette baguette il n’y a plus de fées
…
La vie
La vie est un diamant étonné
dans la main rêveuse
du hasard
Le jardin …
Le jardin a toujours cette allure
À laquelle je n’ai jamais pu me faire
D’être immense et sauvage
Alors qu’il est sage et petit à tout prendre
Le gravier a cet air que je lui connais
d’avoir conservé la chaleur de l’été
Même si le ciel est couvert de nuages .
À une femme triste qui penche la tête.
COMPTER POUR DU BEURRE
Nous ne serons jamais du côté du manche
Nous ne croyons pas en Dieu mais comme Miatlev nous affirmons
Qu'il n'est pas avec ceux qui réussissent
Car nous ne voulons pas réussir en ce monde
Nous n'avons rien apporté nous ne laisserons rien
Les mains nues c'est à mains nues
Que nous avons combattu et toujours
Nous avons été battus et c'est notre seule gloire
Comme c'est les mains nues
Que nous avons allumé notre feu
Et que nous avons entrepris toute chose
Nous n'avons pas inventé le fil à couper le beurre
Et nous savons que celui qui l'a inventé
N'a fait cela que pour ceux qui avaient du beurre
Nous sommes de ceux
Qui n'ont pas toujours eu du beurre
Et nous ne voulons pas l'oublier
En revenant
extrait 2
Voici le lait le pain la table
Et le banc poli et la lampe sage
Était-ce bien cela que vous vouliez
Voici le chien qui ne vous connaît pas
Voici les nuits depuis longtemps passées
Voici l’oubli et nos mains fatiguées
Voici les étoiles que vous vouliez
Voici ce feu qui vint mourir chez moi.
Un mot encore
extrait 2
Ensuite, ce sera à nouveau cette angoisse
qui pèse plus lourd que toutes les tristesses.
Des fenêtres s’allumeront encore
mais nous savons bien qu’il reste peu d’espoir.
Je t’aime.
Il me reste tes mains que je voudrais briser.
La vie ce serait d’être autre chose que ce fantôme malhabile.
Ces bulles légères qui éclatent sont des rêves qui n’ont pas su.
En avons-nous rencontré de ces errants splendides !
Des nappes de musique déferlent
et rien ne reste qu’une petite lampe qui clignote dans la brume.
Des enfants marchent dans les sentiers pleins d’ombre.
On sait bien qu’ils n’atteindront pas le but, pourtant une ardente
nostalgie les mène.
Peut-être qu’ils iront où nous n’avons pas su aller.
Un mot encore
extrait 1
Je t’aime.
Ce matin il n’y a plus de fleurs.
Le ciel s’est renversé.
Les statues sont mortes une seconde fois.
O destin !
Malheureux destin !
Il me reste tes mains que je ne puis baiser.
Je marche vers cet horizon qui bouge,
on dirait des rameurs.
Le vent qui s’est levé fait battre des cœurs
dans le frémissement des arbres.
Mais personne ne sait que je t’ai attendue.
Pourtant j’ai patienté si longtemps, les rues étaient
très sombres.
Au couchant les peupliers devenaient roses
et mon enfance s’est toute entière
passée derrière ces meules de froid dures et noires.
C’est comme des vendanges qu’on n’oserait plus faire.
À présent, tu es là pour quelques instants encore.
…
C’est le jour…
C’est le jour
Le ciel est immense
On entend des voix
À cause de toutes ces fenêtres
Qui sont ouvertes sur l’azur
Il s’en faudrait d’un rien
Pour que la paix entre tout droit
Et que le temps étouffe ses pulsations
Alors la ville
Baignerait dans le calme
Et une très grande douceur
Nous poignerait le cœur lentement
La faute du temps
Elle était venue dans l’été
Et sa robe était si légère
Le gravier crissait sous ses pas
Il y a longtemps il y a longtemps déjà
Je ne sais plus si la vie me connaît
Par la faute du temps
J’erre dans ma mémoire
Je ne sais plus où sont les choses
Que je croyais rangées
À tout jamais entre l’espoir
Et le passé encore vivant
Elle était belle comme le jour
Où je l’ai rencontrée
Les pierres de la nuit étaient chaudes
De soleil et de baisers
Et déjà elle est morte
Je crois que la vie n’en sait rien
Toucher terre
Nous ne savions pas qu’il te fallait cela
Village
Nous ignorions
Que la pluie t’était nécessaire
Et ces roseaux dans ta rivière
Et aussi ces pétales de roses
Epandus par le vent
Nous ne savions pas
Qu’il te fallait que la nuit tombe droit
Sur les pentes d’en face
Et que le puits dont la chaîne grince
Interminablement dans l’aube douloureuse
Est un signe attendu
Par tous les arbres de ta place
Nous ne savions pas village
Qu’il te fallait savoir le nom
Et le prénom de tous les enfants dans tes rues
Pour que le ciel ait la juste couleur
Oui t’est nécessaire inéluctablement.
La route communale
Le vieux cantonnier sur le bord de la route
Dont la moustache est grise
Et qui sait tant de choses
Il coupe son lard sur son pouce
Et mâche lentement son pain
En regardant rêveusement devant lui
Là-bas très loin la forêt
semble une bête qui dort
Et il vient dans le brouillard de l’été
Des visions qui ne sont pas
Tout à fait irréelles
Le vieux cantonnier referme son couteau
Dont la lame luit un moment
Et cela fait un bref éclair
Oui dure plus longtemps que son geste
Des oiseaux noirs s’envolent pesamment
Chanson
Tu me donnes des mots
Pour que je t’invente
Des mots usés et sourds
D’avoir longtemps servi
Ce sont toujours les mêmes
Des mots qui n’ont plus rien
Que leur air de toujours
Et leurs mains bleues pourtant
S’agrippent à des rocailles
Machinalement
Et trouvent des oiseaux
À jeter dans le vent
Toujours le même vent
Et les mêmes oiseaux
Pour faire une musique
Chaque fois différente