Citations de Romane Bladou (19)
Camille est soulagée, mais aussi impressionnée de la grandeur de cœur et d’esprit de son amie. Jamais elle ne pourrait être aussi compréhensive et tolérante qu’elle, à cause de son impulsivité probablement, mais de son caractère rancunier aussi. Elle a beaucoup à apprendre de Mary.
Parfois, on prétend regarder le paysage pour reprendre notre souffle ; parfois, on prétend reprendre notre souffle pour regarder le paysage. Camille est partisane des deux écoles, ses promenades ont ainsi des rythmes différents , qui dépendent de son énergie, de son niveau de contemplation.
Le vent s'est levé et lorsque Camille sort de chez sa collègue, elle marche jusqu'à chez elle avec beaucoup de difficulté. Chez moi. Elle rit de ce terme, mais n'en a pas d'autre, sur ce territoire qui ne lui est pas familier, elle s'est créé un refuge, un espace. Sa maison qui n'est pas à elle et dans laquelle elle a posé ses quelques trésors, ses grands pulls de laine, ses boucles d'oreilles et ses cahiers presque vides dans lesquels elle écrit des phrases comme on porte un toast, des monuments pour des moments.
Le lendemain matin, ou peut-être est-ce juste un autre matin, une semaine, un mois, une année plus tard, Camille se réveille en s'étirant longuement. Elle se touche le bras, c'est son check-in matinal. Oui, c'est moi ça. Elle est bien qui elle veut être. Elle pense à sa vie ici, retourner à une vie passée, la retrouver là où on l'a garée, comme sa voiture dans le stationnement de l'aéroport après un long voyage ? On s'installe au volant, tourne la clé dans le contact et la chanson qui jouait il y a des semaines de cela reprend comme si de rien ne s'était passé. Ni temps, ni lieu, ni distance. Camille a compris maintenant qu'elle est venue ici en fuite plus que par ennui, que ce n'est pas comme cela qu'on avance, en se défilant, en montrant le dos. Mais peut-être, juste peut-être, par chance, que l'on peut se retrouver là ou on s'est évadée ? Peut-être que l'on peut prendre racine dans un sol mouillé, demeurer partie, familière d'un ailleurs ou on ne sera jamais famille. Peut-être pas. Peut-être qu'on ne se perd dans le vaste que pour le plaisir de retrouver son chemin, du sel dans les poumons, et ça tousse, et ça tousse. Pour une histoire à raconter, puis on reprend le volant et la chanson. Ce sont des questions pour plus tard. Pour l'instant, Camille étend son linge sur des cordes et fait des randonnées. Elle va se baigner, défier la falaise et s'asseoir à la brasserie locale. Les journées ou elle ne travaille pas, elle se dit que c'est doucement agréable, se demander quoi faire après sa sieste.
« Il me semble que nous faisons toujours partie du paysage, dans le champ de vision de quelqu’un d’autre. »,
Elle a cette forte impression que tout le monde est seul, mais chacun d'une manière unique, différente de celle du voisin. Au fil des années, elle a accumulé de nombreux adjectifs décrivant les solitudes dont elle était témoin. A Montréal, elle a laissé l'homme à la solitude fiévreuse, la dame à la solitude docile, celle à la solitude lasse.
William a tendance à confondre certains mots et expressions, mais ses parents et son grand-père ne le corrigent pas toujours. Pour lui, les collines sont des tortues, le vent devient drame et, lorsqu’il se réveille, il déboule dans la cuisine avec le visage d’un enfant endormi et dit : « Ça y est, maman, je suis vivant ! »
Sean adore les collections de William et Le Grand Atlas, mais il l’encourage également à créer des collections dans sa tête, des archives intangibles, comme lorsque, ensemble, ils collectionnent les histoires vraiment vraies.
Au café cet après-midi, cinq clients sont assis. Camille les connaît tous. Elle se dit que c’est sûrement comme cela que l’on reste coincé quelque part : on finit par faire partie du paysage.
Parfois, si une situation est frustrante, pas satisfaisante, il s’agit peut-être de notre position : où nous nous trouvons nous donne une certaine perspective sur la chose.
Les clients sont des réguliers, elle les observe depuis le comptoir. Son jeu préféré est d’essayer de deviner leur quotidien et de nommer leur solitude. Elle a cette forte impression que tout le monde est seul, mais chacun d’une manière unique, différente de celle du voisin. Au fil des années, elle a accumulé de nombreux adjectifs décrivant les solitudes dont elle était témoin. À Montréal, elle a laissé l’homme à la solitude fiévreuse, la dame à la solitude docile, celle à la solitude lasse.
Elle se perd dans son archive de l’éphémère, cherche ses mots classés dans son index du futile.
Sean lui dit qu’il fait déjà tout cela sans s’en rendre compte et que c’est là toute la beauté de la mémoire : on se souvient des noms de nos amis et des odeurs des jours mouillés, et c’est une forme de collection. Il lui dit que plus il vieillira plus sa vie ne sera qu’une grande compilation de sentiments et de couleurs, de toiles d’araignées faites de mots le ramenant à des souvenirs.
Quand on veut rentrer chez soi, il faut d’abord le quitter. Ce sont les paysages que l’on reconnaît qui nous restent dans la chair.
Elle s’est dit que dans les longues distances des chiens errants, il y a ceux qui savent où ils vont, et ceux qui vont partout sans raison.
Elle se dit que si un désert est défini par son vide, par son rien, son manque d’eau, un océan est comme un désert de tout-plein ; les deux sont bien trop vastes pour elle.
Comme sa mère lui dit souvent, on peut changer d’avis et prendre le chemin de gauche à la dernière minute sans avoir besoin de freiner sec, de s’écorcher les mains, les genoux et le cœur ni de tourner son dos pour toujours au chemin de droite.
Est-ce qu’on épouse la tempête, anticipant ses humeurs et suivant ses furies, ou est-ce qu’on lui résiste?
« Je suis la presqu’île, la presqu’elle. »