Sandrine Colmet

L'orage avait enfin terminé de gronder. Il n'aimait pas l'orage Didier, il en avait très peur, pourtant pour Julie, il n'avait pas hésité à le braver. C'était donc ça l'amour ? Quand on s'oubliait pour quelqu'un d'autre ?

Julie est triste. Elle avale les kilomètres pour oublier. Vider son esprit de sa peine et de sa douleur. Elle a envie de crier, de hurler sa colère ! Que peut-elle faire pour lui redonner un peu le sourire ? Il ne se bat pas contre la maladie, il est en train de la laisser gagner. C’est hors de question ! Elle doit secouer son père. En terminant sa course, elle se dit qu’une bonne conversation doit s’imposer. Il va falloir qu’ils se serrent les coudes. Elle l’aime trop pour envisager un avenir sans lui. Bien sûr, elle n’est pas stupide non plus. Elle sait qu’il est gravement malade et qu’il a peu de chance de guérir. C’est avec un nœud à l’estomac qu’elle franchit le seuil de la maison. Une maison plongée dans le noir, une maison sans vie, une maison morte…
Pendant ce temps là, Sarah est excitée comme une puce. Elle s’active à échanger des SMS torrides avec ce charmant Thomas. Qu’importe pour cette cruche de Julie. Elle l’aime bien, mais bon. Elle est bourrée de principes qu’elle ne comprend pas. Tant pis pour elle, si elle n’a pas saisi sa chance !

Anita est triste ce soir. Elle zappe sans conviction avec la télécommande et tombe sur un film romantique. Voir ce couple sur le petit écran s’embrasser et se dire des mots d’amour lui file la nausée. Elle entrouvre la porte de la chambre de Tom et constate qu’il s’est endormi avec son ours dans les bras. Elle le regarde avec le cœur serré. C’est encore un bébé, un gros bébé et elle s’en veut. Peut-être a-t-elle été trop dure avec lui? C’est vrai qu’elle s’irrite facilement ces derniers temps et ne supporte plus grand-chose, elle en a bien conscience, mais elle n’a pas de patience.

Thomas et Marie s’étaient connus à l’âge de dix-sept ans et étaient tombés très vite amoureux. Marie n’avait jamais regretté de lui avoir offert sa virginité. C’était un homme particulièrement gentil, doux et prévenant. Ils étaient tellement heureux ensemble et si sûrs de leur amour, qu’à l’âge de vingt ans ils avaient décidé de se marier malgré la réticence des parents de Thomas. Le jeune couple avait prouvé au fil des années que leur amour était sincère et solide.

Justin ne décolère pas, il est convaincu que Sarah n’est pas malade. De plus, il nourrit à son égard une rancœur tenace. Il s’est bêtement amouraché de la belle. Après quelques nuits torrides passées ensemble, elle l’a jeté, comme une vieille chaussette. Il se maudit d’être tombé dans les filets de cette croqueuse d’hommes, mais lorsqu’il repense à elle, il a un mal fou à ne pas ressentir un désir fulgurant. Il n’est jamais tombé sur une femme aussi « caliente » de sa vie ! Il chasse ses souvenirs de ses pensées et boit un verre d’eau avec Julie, avant de commencer à installer les premiers arrivants.
La salle du restaurant est pleine et c’est dans une ambiance conviviale que Julie s’occupe des clients. Son père papote joyeusement avec Hervé. Elle leur dépose une bouteille de vin sur la table et elle remarque tout de suite les joues rougies et les yeux pétillants de Fabrice qui profite pleinement de sa soirée. Elle ne va pas le blâmer. Elle espère juste qu’il ne va pas être malade.

Comme un gosse. Il pleure, toutes les larmes de son corps. La ressemblance de sa fille et sa douce femme, à qui il pense si souvent, est tellement frappante. Il n’a jamais vraiment refait sa vie, il a bien eu quelques aventures, mais rien de bien sérieux, car il était incapable de s’attacher de nouveau. Il n’aurait pas souhaité avoir n’importe qui dans sa vie. Sa fille adorée était bien trop précieuse, même s’il avait conscience que la présence d’une femme dans certaines situations aurait été idéale. De toute manière maintenant, il est bien trop tard. Ce qu’il souhaite avant de partir, c’est que sa Julie trouve enfin un homme qui prenne soin d’elle, pas comme son bon à rien d’ex. Elle mérite ce qu’il y a de mieux, comme tout papa qui aime son enfant.

Comme tous ces imbéciles qui trompent leur femme et se font attraper sur le vif. Il avait bredouillé des excuses. Elle s’était écroulée sur le sol, et avait hurlé sa peine et sa douleur. Comment avait-il pu leur faire ça? Comment avait-il osé ramener une autre femme chez eux? Dans leur lit? Celui même dans lequel ils avaient conçu leur enfant… Encore plusieurs mois après, elle ne se remettait pas de cet affront. Elle ne digérait pas cette trahison. Bien sûr, elle n’était pas stupide. Elle savait qu’il avait eu des aventures, et elle avait fermé les yeux, mais le voir avait été un choc. Ce fut l’électrochoc pour qu’elle comprenne enfin et prenne la bonne décision.

Sa femme, Olivia… si rayonnante lors de leur mariage. Une cérémonie simple et pleine d’amour, à leur image. Ils avaient été si heureux. Il se souvenait encore de son sourire radieux, lorsqu’il l’avait demandé en mariage. Il était mort de peur à l’idée qu’elle lui dise non. Il avait répété sa phrase des centaines de fois, devant son miroir, en tenant contre son cœur, la petite boîte contenant la bague qu’il avait achetée avec ses économies. Sa réponse positive était sortie du fond du cœur. Jamais il n’avait oublié ce moment magique. Les yeux embués de larmes, leurs lèvres s’étaient unies dans un baiser passionné. Lorsqu’un matin, elle lui avait annoncé sa grossesse, il s’était senti le plus heureux des hommes. Il avait chantonné sur le chantier toute la journée, ce qui n’avait pas manqué de faire rire ses collègues. Cette femme, il l’avait aimée comme un fou. Comme jamais il n’avait imaginé aimer un jour. Elle avait perdu la vie dans des conditions atroces, à l’aube de ses trente ans. En pleine fleur de l’âge. Fauchée par un fou de motard. Ce jour-là était resté à jamais gravé dans sa mémoire.

Se retrouver dépendant des aides-soignantes, des infirmières et être prisonnier de son propre corps est la pire chose qui puisse arriver à n’importe qui. Il a encore toutes ses facultés intellectuelles, ce qui n’est malheureusement pas le cas de tous les résidents, alors, il peut s’estimer heureux, c’est ce qu’on ne cesse de lui répéter. Mais lui, Tom, il aurait préféré mourir. Ses yeux encore lourds de sommeil s’écarquillent sur cette pièce, une pièce sans vie, sans joie. Sa chambre. Il a soif, alors il tend son cou pour attraper la paille de sa bouteille accrochée à la barrière de son lit, et boit quelques gorgées d’une eau fade et tiède. Maintenant, il faut attendre… attendre que les aides-soignantes du matin prennent leur service. Attendre, encore et toujours qu’on s’occupe de lui, pour sa toilette, pour l’habiller, pour lui donner son petit-déjeuner et l’installer dans son fauteuil roulant dernier cri.

Elle repensa avec nostalgie à l’époque où elles étaient seules avec leur maman. Elles avaient été tellement heureuses toutes les trois. Même si Léa avait conscience que Marie avait vécu des moments très difficiles, le fait qu’elle refasse sa vie aurait dû apaiser ses souffrances causées par le décès de son papa, mais malheureusement, rien ne s’était déroulé comme prévu.
Avec Emma plus rien n’était pareil. Elles n’avaient aucun point en commun et la communication était au point mort… Tout ça lui brisait vraiment le cœur, surtout en constatant la complicité qui unissait Camille et Alexis.
Elle regardait défiler les paysages, tranquillement installée en écoutant de la musique avec son amie. Camille avait la chance d’avoir un portable. Léa en était privée. Gabriel disait que ces machins-là ne servaient à rien et qu’elle était encore trop jeune, mais la jeune fille n’était pas d’accord.