Je m’étais assoupie, peut-être quelques minutes, peut-être quelques heures. A mon réveil, rien n’avait changé à part le ciel qui s’était un peu dégagé. Sans que je sache pourquoi, la luminosité, crépusculaire et fluctuante même en pleine journée, me donnait plus que jamais l’impression que nous étions seuls au monde, pris au piège sous une cloche de verre.
Quand les ténèbres se sont abattues sur moi, elles m’ont percuté violemment et m’ont expédié dans un lieu vide de toute pensée.
Un vrai soulagement.
Les beaux endroits, c’est comme partout ailleurs. On y souffre quand même.
Il parlait du camp de prisonniers, ai-je compris, penchée au dessus du congélateur d’où je sortais des palets roses de viande hachées. (...) Je n’y étais jamais allée en hiver, mais en été les lieux ressemblaient à une jungle aux ruines mélancoliques et mystérieuses, temple disparu dédié à quelque divinité païenne.
Ce jeune homme taiseux et secret, avais-je constaté, qui remarquait tout et gardait ses réflexions pour lui, possédait un don - un instinct déconcertant - pour rabaisser les autres. Il savait pointer la faille, un défaut que l'on soupçonnait chez soi tout en espérant de tromper. Il lâchait sa pique si doucement, sans la moindre colère ni trace d'émotion, qu'on était convaincu d'entendre la vérité.
Je ne suis pas trop partisane du pardon. Ce qui compte, c'est d'être juste.
Les beaux endroits, c'est comme partout ailleurs. On y souffre quand même.
Chaque fois que j'essaie de comprendre, chaque fois que je suis sûre de moi, tout se dérobe. Qu'on me dise quoi faire. Si seulement on me disait quoi faire.
Les beaux endroits, c'est comme prtout ailleurs. On y souffre quand même.
Les derniers chasseurs de cerfs de la journée repartis, j'ai fermé le magasin, compté la caisse en gardant un oeil sur le parking de gravier, que la neige transformait en une étendue grise tachetée de blanc. On y avait abandonné une voiture quelques semaines plus tôt, une Subaru marron antédiluvienne qui disparaissait petit à petit sous un linceul immaculé et dont les pneus se dégonflaient. Un profond silence se déversait de la forêt, se frayait un chemin parmi les pins, glissait sur les ruisseaux gelés et cachés, dérivait sous les bourrasques. Les chasseurs le rapportaient sur leurs bottes, l'époussetaient de leurs casquettes, en gardaient les vestiges sur leurs lèvres et leurs doigts. Lorsqu'ils passaient commande, c'était d'une voix basse et bourrue comme si les sons n'avaient plus leur place.