- C'est la foi qui donne des racines, ma fille, lui cria son père depuis le quai.
- Ce ne sont pas des racines que je veux, papa, murmura-t-elle. Ce sont des ailes.
« Rappelle-toi que les actes sont plus importants que les croyances », lui avait dit son père.
- « Si je prends les ailes de l’aube, et si je vais habiter au bout de la mer, même là, Ta main me guidera…. »
- Papa, pourquoi nous haïssent-ils ?
Son père soupira.
- Oh, il y a trop de raisons pour que je puisse te les expliquer en si peu de temps.
- Essaie, papa.
- Eh bien, nous descendons tous d'Abraham - les chrétiens, les juifs, les musulmans. Ce sont les chrétiens qui croient que Jésus est le Messie. Les juifs croient que Jésus était un prophète, et que le Messie n'est pas encore venu.
- Jésus, il était juif ?
- Oui, bien sur.
- Et sa mère, Marie, elle était juive ?
- Oui, bien sûr, Marie était juive, comme l'étaient tous les disciples de Jésus.
- Alors, pourquoi les gentils nous détestent-ils si leur Messie était l'un de nous ?
Esther regarda autour d'elle. En dehors de certains sourcils froncés et de regards durs, personne dans la foule ne leur prêtait attention. Ils n'étaient pas invisibles, ils étaient ignorés.
- Les chrétiens pensent que Jésus a été exécuté par un juif.
- C'est vrai, papa ?
- Les Juifs n'ont jamais eu un tel pouvoir à Rome, et les juifs n'ont jamais, jamais mis un homme en croix. Peut-être que si le peuple juif avait eu un peu de pouvoir, à l'époque, il aurait pu empêcher que des centaines de milliers de juifs meurent sur la croix comme Jésus. Tuer un homme de cette manière était une coutume romaine.
Il parlait lentement, doucement, tristement.
Il n'y avait rien dans son passé qui puisse la réconforter, et rien dans son avenir qui lui donne le moindre espoir. Mais il y avait un maintenant, et pour le moment cela devait lui suffire.
Il y eut un silence, puis maman parla d'une voix basse et mesurée.
- J'ai souvent pensé qu'Esther n'avait pas d'amies à cause des bruits qui couraient sur elle. Quand ils sont maltraités par les autres, les enfants changent, ils changent profondément.
La voix de maman était douce et compréhensive.
Elle se rappela que Marie De La Grange lui avait dit : « Ma chère enfant, c’est faire preuve de courage que de suivre son cœur. »
Que n’ai-je appris d’Esther Brandeau que la vie est une longue suite de possibilités ! Si seulement j’avais compris ce que cette jeune fille avait compris depuis toujours, à savoir que, quelles que soient les suites de circonstances qui puissent changer notre destin, le plus grand don de Dieu reste la liberté de choix.
Esther se dirigea d'un pas hésitant vers un mur éloigné. Une main constellée de croûtes, appartenant à un homme couvert de plaies suintantes, se tendit brusquement vers elle. Elle recula le long de la rangée, jusqu'à ce qu'elle trouve enfin un endroit où s'asseoir. Elle se laissa glisser sur le sol, le dos contre le mur qui suintait la crasse.
Il n'y eut pas de larmes. Personne ne pleure en enfer.
- J’ai appris que je peux vivre sans amour, sans nourriture, et même sans toi, mais je ne peux vivre sans espoir.